lundi 31 décembre 2018

PANDORA AND THE FLYING DUTCHMAN - Pandora



Pays : Royaume-Uni
Réalisation : Albert Lewin
Genre : Drame, Fantastique
Date de sortie : Février 1951
Scénario : Albert Lewin
Photographie : Jack Cardiff
Musique : Alan Rawsthorne
Durée : 122 min
Casting :                
James Mason : Hendrik van der Zee
Ava Gardner : Pandora Reynolds
Nigel Patrick : Stephen Cameron
Sheila Sim : Janet
Harold Warrender : Geoffrey Fielding
Mario Cabré : Juan Montalvo


L’HISTOIRE

1930. Sur la plage d’un petit port espagnol, deux corps sans vie sont retrouvés dans les filets des pêcheurs. Assistant à la scène, le vieil archéologue George Fielding se remémore comment tout a commencé, quand le chemin de la belle Américaine Pandora Reynolds, fantasme de tous les hommes, a croisé celui du mystérieux Hendrik van der Zee, le marin maudit de la légende…


L’AVIS DU GÉNÉRAL YEN

Dès les premiers instants du film, vous comprenez : la mer qui rejette deux corps, la vue sur une baie ensoleillée, le carillon qui résonne. D’emblée, une tonalité fataliste s’installe, une atmosphère comme je les aime s’impose. Malgré sa longueur, propre aux films d’aventure, le rythme de ce mélodrame imbibé de couleur locale espagnole ne s’amenuise pas, et cette ambiance si singulière reste présente du début à la fin.

La force de Pandora réside dans la confrontation entre deux icônes. Car si le Hollandais Volant est un mythe bien connu qui a fasciné nombre d’auteurs, le film articule à cette première légende une seconde, plus tangible : celle d’une femme fatale, Pandora. Ce nom évoque bien sûr le mythe grec éponyme, ce qui renforce le fatalisme du film ainsi que sa portée symbolique.

Pandora Reynolds est à bien des titres un personnage rare et fascinant. Sa troublante beauté séduit chaque homme qu’elle rencontre, et tous la courtisent, rivalisant pour cela d’audace remplie de symbolisme viril (course automobile, corrida). Les arômes de la tragédie semblent s’animer à son passage : quand un prétendant éconduit se suicide, elle s’éloigne, lasse de cette démonstration de passion vaine ; à un autre qui se dit prêt à tout pour elle, elle le teste en lui demandant de sacrifier ce qu’il a de plus cher au monde après elle. Comme la Pandore de la mythologie, elle semblé vouée à semer le malheur. Son désintérêt presque cruel pour le désir des hommes lui confère une réputation sulfureuse. Il faudra finalement attendre sa rencontre avec l’un des plus grands Maudits de la littérature pour que, paradoxalement, elle puisse s’humaniser : le héros maudit sera la rédemption de la beauté fatale, et vice-versa. Le thème du film est admirablement construit et s’allie parfaitement avec l’atmosphère mélancolique de la réalisation d’Albert Lewin, par ailleurs ponctuée de scènes aux décors somptueux.

Côté acteurs, le choix du couple Ava Gardner / James Mason relève presque de l’évidence, tant il fonctionne à la perfection. Car il faut bien le souligner : la caméra aime Ava Gardner, dont la beauté est sans cesse mise en valeur, magnifiée par l’usage de la couleur (comme il aurait été dommage de s’en priver !). L’actrice est l’interprète idéale de Pandora : sa réserve naturelle sert la construction de son personnage, car tout dans cette femme est ambiguïté. Elle oscille sans cesse entre froideur (l’indifférence apparente, le souci de garder une certaine dignité quoi qu’il en coûte) et chaleur (jeux de séduction subtils, soif d’une passion jusqu’alors inconnue). L’équilibre entre les deux pôles est maîtrisé par l’actrice, dont l’atout majeur est l’intense présence physique, entre élégance et sensualité, mais surtout, entre attitude déterminée face aux hommes et expression du doute dans le sens à donner à sa vie (qui est la clé de compréhension de sa façon d’agir).



Quant à James Mason, il prouve encore une fois (cf. Odd Man Out) qu’il a un don pour incarner avec conviction des héros au destin tracé, maudits. Son aura teintée de charisme désenchanté sied à merveille au marin légendaire, qui est ici voué à parcourir les sept mers jusqu’à ce qu’une femme soit prête à mourir pour lui. Notez que sa présence scénique n’en est que plus forte quand s’installent des clair-obscur d’une grande beauté cinématographique, ce qui n’est pas sans rappeler les techniques du film noir (cf. en particulier le splendide « mélodrame noir » en couleurs LeaveHer to Heaven).

Les autres personnages qui gravitent autour du couple protagoniste servent surtout à mieux faire ressortir leurs personnalités ou à proposer des rebondissements scénaristiques. Leurs interprètes ne sont guère mémorables, à l’exception de deux d'entre eux. Incarnant le torero Montalvo, Mario Cabré livre une prestation solide grâce à son charisme machiste, rempli d'orgueil et de frustration.  Quant au narrateur de notre histoire, l’archéologue Geoffrey Fielding, il est joué par Harold Warrender, un acteur qui évoque le personnage-type du vieux sage (ce qui renforce sa fascination pour le Hollandais Volant), et dont le regard bleu pénétrant couve Pandora d’une bienveillance toute paternelle… non dénuée d’une pointe de désir. Mais pouvait-il en être autrement ?

NOTE : 8/10.

dimanche 25 novembre 2018

PANIQUE


Pays : France
Réalisation : Julien Duvivier
Genre : Drame / Film noir
Date de sortie : Septembre 1946 (Mostra de Venise)
Scénario : Julien Duvivier et Charles Spaak d'après le roman de Georges Simenon, Les Fiançailles de monsieur Hire (1933)
Photographie : Nicolas Hayer
Dialogues : Charles Spaak
Musique : Jean Wiener
Durée : 100 min
Casting :                
Michel Simon : Monsieur Hire
Viviane Romance : Alice
Paul Bernard : Alfred
Charles Dorat : Michelet


L’HISTOIRE

Dans un faubourg de Paris, une femme est retrouvée assassinée. Les gens du quartier soupçonnent Monsieur Hire, un homme asocial qu’ils n’apprécient guère. Pendant ce temps, celui-ci est séduit par les charmes d’Alice, tout juste sortie de prison pour un crime qu’elle n’a pas commis. Car Alice est prête à tout pour aider l’homme qu’elle aime, Alfred...



L’AVIS DU GÉNÉRAL YEN

Vous me donnez ce type de scénario et me citez la période – la fin des années 40 – et vous pouvez être certains de taper dans le mille. Avec Panique, de Julien Duvivier, on combine la France, le pays du réalisme poétique d’avant-guerre, et le film noir « à l’américaine », dont les plus belles heures ont cours à cette même époque.

Vous devez commencer à me connaître, les films que je préfère sont ceux que j’appelle « films à ambiance », et il n’est question que d’ambiance dans ces films noirs, eux qui semblent bâtis uniquement pour développer chez le spectateur ce fameux « frisson » propre au genre. Et Panique ne fait pas exception à la règle : décor de quartier populaire typique, terrain vague, dialogues la nuit tombée, visages à moitié dans l’obscurité… Qui a dit que le sombre n’était pas beau ? L’atmosphère de ce film, c’est aussi le choix de situer l’intrigue dans un environnement de fête foraine, avec ses jeux et ses rires pendant que le drame se noue, et sa musique qui résonne en sourdine et donne une film sa tonalité si particulière.

La construction de l'oeuvre en fait sa richesse, et celle-ci se trouve, comme souvent, dans les détails. Duvivier n’a pas négligé de tracer d'ingénieux parallèles : une même chanson d’amour placée à deux séquences bien différentes du film, comme pour souligner l’ironie du destin d’un couple ; une scène dans le jardin d’une église alors que le même couple discute de son avenir ; un avenir par ailleurs dramatisé chez une diseuse de bonne aventureuse, celle-ci trouvant un écho dans le personnage de Monsieur Hire traçant l’horoscope d’Alice…

La puissance du film réside bien-sûr dans la portée morale de sa dramaturgie, qui illustre les conséquences de la rumeur gratuite et des actions d’une foule qui souhaite se faire justice elle-même, les plus forts en gueule excitant l’orgueil des plus faibles, jusqu’à ce que l’effet de groupe joue son terrible rôle de catalyseur. Si Duvivier voulait montrer la face laide de l’âme humaine, il ne pouvait pas mieux s’y prendre, d’autant qu’il le fait grâce à une œuvre magnifique de beauté.

Côté acteurs, Michel Simon est l’interprète parfait de Monsieur Hire, avec ses airs bourrus et sa grosse barbe, des abords mystérieux et inquiétants que le personnage cultive en « espionnant » sa jolie voisine à sa fenêtre. Mais l’acteur assure avec aisance la transition, afin de briser la glace et de dévoiler l’intimité d’un homme misanthrope mais doux et, dans une certaine mesure, attachant.


Si Paul Bernard, en la personne d’Alfred, n’est pas sans talent pour dépeindre les ambiguïtés d’un homme plus ténébreux qu’il n’y parait – à l’inverse de M. Hire –, c’est bien Viviane Romance qui, au sein du couple d’acteurs, tire la couverture à elle. Il s’agit du deuxième film, et certainement pas le dernier, que je vois de cette actrice, qui est douée pour jouer la femme fatale. Sa voix mielleuse possède un teint « sucré » qui m’avait déjà bien plu dans L’Affaire du collier de la reine (1946), dans lequel elle est une comtesse manipulatrice au charme irrésistible. Ici, son rôle est capital en ce qu’elle figure le pendant opposé de la foule des quidams du quartier : contrairement à eux, elle est empathique ; eux sont passifs, lâches et suiveurs quand elle prend des risques et tente de donner un sens à ses actions. L’actrice est surtout brillante dans les moments de tension, de confrontation, que ce soit avec Monsieur Hire ou son amant, ainsi que dans le finale, car le personnage d’Alice, qui agit par amour, est le plus humain de tous, avec ses forces et ses faiblesses.

NOTE : 9/10.

lundi 22 octobre 2018

PETITES PERLES FRANÇAISES (3) : LES RÉALISATEURS


Au terme d’une traversée transatlantique sans accroc, le Général Yen passe en revue le meilleur de ses découvertes en matière de cinéma classique français, des années 1930 aux années 1950 (Partie 3 sur 4).


Acte Troisième : les réalisateurs

N°1 : Henri-Georges Clouzot
Il est le maître du suspense et du "film noir" à la française. Si Clouzot n'a pas son pareil pour dépeindre avec une misanthropie certaine les vices et malheurs de ses contemporains (ainsi, tous les personnages du Corbeau ont quelque chose à se reprocher), il est aussi et surtout un créateur d'atmosphères comme je les aime. Sa force : savoir conjuguer des dialogues percutants et une mise en scène dynamique destinée à faire "entrer" le spectateur dans son film. A noter également sa réussite dans le registre comique (L'assassin habite au 21), sur fond d'enquête policière (on ne se renie pas !).

N°2 : Jean Grémillon
S'il est presque aussi sombre, l'univers de Grémillon est plus statique et classique que celui de Clouzot. Ses films ont un tempo plus lent, mais ils évitent l'écueil que je reproche par exemple à Renoir ou Ophüls : l'ennui. Car Grémillon est maître dans deux choses, primordiales pour un cinéaste : savoir créer une atmosphère et construire des personnages inoubliables. Pour la première, il semble nous transporter in situ grâce à sa patte naturaliste et son esthétique poétique. Pour les seconds, il leur donne une âme : le caractère taciturne des marins bretons, la mélancolie d'une maîtresse ou la dignité d'une épouse trompée.

N°3 : Marcel Carné
Auteur des grands chefs d'oeuvre du réalisme poétique, Carné est le peintre du lyrisme sur grand écran. Si ses personnages sont moins séduisants que ceux de Grémillon et si ses films n'ont pas la même énergie que ceux de Clouzot, il possède la recette pour multiplier les réussites. Peintre du social, épaulé par les dialogues et scénarios de Prévert, il compose des films à fort impact émotionnel et sait mettre en valeur le charisme de ses acteurs masculins (Jean Gabin) comme féminins (Arletty, Michèle Morgan).


A suivre...

dimanche 14 octobre 2018

PETITES PERLES FRANÇAISES (2) : LES ACTEURS


Au terme d’une traversée transatlantique sans accroc, le Général Yen passe en revue le meilleur de ses découvertes en matière de cinéma classique français, des années 1930 aux années 1950 (Partie 2 sur 4).


Acte Deuxième : les acteurs

N°1 : Charles Boyer
Sa carrière étant essentiellement américaine, son style emprunte beaucoup au stéréotype du "french lover", qu'il met à profit dans des romances d'excellente facture (Love Affair ; All This, and Heaven Too ; Hold Back the Dawn). Son apparence sévère et sobre combiné à un regard d'une grande expressivité lui permet de briller en incarnant des personnages dignes mais sentimentalement torturés. Son chef d'oeuvre est incontestablement sa prestation dans Gaslight, film dans lequel il interprète le mari ténébreux et machiavélique d'Ingrid Bergman. Utilisé à contre-emploi dans Cluny Brown, une comédie de Lubitsch, il y révèle un formidable talent comique, insoupçonné...

N°2 : Jean Gabin
Gabin sera peut-être au sommet de ma hiérarchie un jour, tant il y a à dire, sachant qu'il me reste encore beaucoup à découvrir. Il a pour lui d'avoir joué les grandes figures des chefs d'oeuvre du réalisme poétique d'avant-guerre, des héros prolétaires tragiques auxquels il a prêté un style à la fois sympathique et viril (en particulier dans les légendaires Le quai des brumes et Le jour se lève). Il parvient pour moi à un sommet dans Remorques, avec sa manière de débiter les dialogues de Prévert et de peindre les relations de son personnage, taciturne, avec sa femme et sa maîtresse.

N°3 : Maurice Chevalier
A l'opposé de Boyer et Gabin, Maurice Chevalier s'est bâti outre-atlantique une solide réputation de comique charmeur et enjoué, ambassadeur du rêve français fantasmé à Hollywood dans l'entre-deux-guerres. Contant fleurette à la belle Jeanette MacDonald dans ses meilleurs films, des comédies musicales signées Lubitsch (The Love Parade, The Merry Widow) ou Mamoulian (Love Me Tonight), il n'a pas son pareil pour caricaturer le "french lover" en chantant des mélodies d'opérette à grand renfort d'un accent français très prononcé. Egalement excellent, si comme moi vous aimez son style, dans The Smiling Lieutenant, face à Claudette Colbert et Miriam Hopkins, et plus tard, en détective privé / père bienveillant d'Audrey Hepburn dans Love in the Afternoon.


A suivre...

jeudi 11 octobre 2018

PETITES PERLES FRANÇAISES (1) : LES ACTRICES


Au terme d’une traversée transatlantique sans accroc, le Général Yen passe en revue le meilleur de ses découvertes en matière de cinéma classique français, des années 1930 aux années 1950 (Partie 1 sur 4).


Acte Premier : les actrices

N°1 : Danielle Darrieux
La Reine du cinéma français. Si je ne suis pas un grand enthousiaste de la qualité de ses films (Ophüls me laisse de marbre), elle ne m'a elle-même jamais déçu. Élégante et gracieuse, elle s'est érigée à mes yeux comme une référence absolue grâce à son style inimitable, en particulier dans le registre comique (Battement de cœur). Dans les années 1950, elle développe une présence scénique divine et empreinte de noblesse, qui parvient à sublimer jusqu'à l'ennui (Madame de...) !

N°2 : Michèle Morgan
Un style très différent de Darrieux, plus froid, qui sied parfaitement au genre dramatique par la fatalité exprimée par ses immenses yeux clairs (c'est un lieu commun, mais comment les éviter ?). Sa principale qualité est d'inonder d'une classe incomparable, que l'on retrouve d'ailleurs chez une Lauren Bacall, des films à forte atmosphère, de type "film noir" ou "réalisme poétique" (Le quai des brumes, Remorques, The Fallen Idol).

N°3 : Suzy Delair
L'une des grandes muses de Clouzot. Son charme canaille la rend irrésistible dans deux registres, où elle excelle : "l'enquiquineuse" comique (L'assassin habite au 21) et la femme fatale délicieusement scandaleuse (Pattes blanches). Grâce à sa personnalité pétillante, elle est passée maîtresse dans l'art de rendre attachantes des héroïnes à la moralité parfois plus que douteuse...


A suivre...

dimanche 22 juillet 2018

MEILLEURE ACTRICE 1933


Accomplissant un saut temporel de plus de vingt ans, le Général Yen est de retour dans la période phare des grandes actrices classiques, juste à temps pour passer en revue ses favorites de 1933. Oubliez la surcotée 1939 : s'il n'y avait qu'une année à retenir dans cette décennie, ce serait celle-ci.


La favorite du Général 

MIRIAM HOPKINS pour The Stranger's Return

Au sein d'une année 1933 qui voit Miriam Hopkins enchaîner trois performances toutes dignes des plus grands éloges, c'est bien ce rôle de fille prodigue de retour chez elle qui retient le plus mon admiration. Il faut bien comprendre que, parmi toutes les actrices du début des années 30  (l'ère Pré-Code), Miriam Hopkins est celle qui s'échine le plus à dépeindre des personnages marginaux, regardés de travers par la bonne société, tout en les faisant aimer du public par sa force de caractère explosive et joviale, sa repartie mordante et amorale, sans oublier une frivolité très séduisante. Si dans ce film l'actrice reste sur un rôle de jeune femme "déviante" (une divorcée qui revient de la ville dans sa ferme familiale), elle surprend en renouvelant sa personnalité à l'écran : toute l'explosivité qui faisait sa marque de fabrique est ici contenue par Miriam, qui canalise toute la tension latente (haineuse ou sexuelle) entre les protagonistes pour dégager une sensibilité extraordinaire, souvent par son regard. Si l'immense Lionel Barrymore n'est pas en reste en grand-père un peu bourru, sa façon tendre de la regarder et de lui parler met en valeur le charme tranquille (donc insoupçonné !) développé par l'actrice, tandis que leur alchimie crève l'écran. En définitive, l'identification à l'héroïne et l'envie de l'aimer sont si fortement ressenties par le spectateur que, à l'évidence, la place de Miriam Hopkins cette année-là ne pouvait être que tout en haut de la hiérarchie.


Le tableau d'honneur

Elles l'ont courtisé, il ne les a pas élues. Mais le Général est magnanime, voyez plutôt :

GRETA GARBO pour Queen Christina : Le mythe Greta Garbo prend tout son sens avec ce film : jamais l'actrice ne m'a semblé autant mériter son surnom de "Divine". Il faut dire que son fameux jeu théâtral, qui dans d'autres films peut me sembler hors de propos, convient ici parfaitement pour incarner une reine, suédoise qui plus est. Fière et froide d'abord, la reine Christine version Garbo dévoile dans l'intimité un romantisme passionné, révélé par l'alchimie retrouvée de l'actrice avec John Gilbert. Certes, le film est d'une qualité exceptionnelle pour l'époque, mais elle ne le porte pas moins sur ses épaules grâce à cette performance fascinante. Cependant, je la place derrière Hopkins principalement pour deux raisons : comme d'habitude, Garbo reste dans son registre et n'innove pas ; et l'émotion suscitée est moins forte car plus distante, moins personnelle. 

BARBARA STANWYCK pour Baby Face : Ce film pourrait être une ode tout entière à la capacité de séduction de l'immense Barbara Stanwyck, qui électrifie la pellicule à chacun de ses regards de braise. C'est oublier bien vite toute la dimension tragique que l'actrice apporte au personnage de Lily, une jeune femme sans scrupules prête à tout pour grimper dans la hiérarchie sociale. Si Barbara compose admirablement la détermination froide du personnage, le chef d'oeuvre de sa performance est sans conteste de parvenir à nous rendre sympathique une anti-héroïne, grâce à sa capacité à émouvoir. Elle fait ainsi de Lily une jeune femme terriblement humaine et proche de nous.

LORETTA YOUNG pour Midnight Mary : Aux côtés de Barbara Stanwyck et Miriam Hopkins, Loretta Young est l'autre actrice prolifique de 1933. Ici, Loretta interprète un personnage adorable malmené par un destin implacable, qui lutte pour survivre dans la rue puis dans les salons de la pègre. La sublime présence scénique de l'actrice, lumineuse dans un décor sombre et contrasté, symbolise la vie de l'héroïne. Dans un film qui joue sur l'opposition nuit / jour, le jeu de Loretta s'accorde parfaitement avec les choix de réalisation. Bouleversante sous les traits de Mary, jeune fille maudite, l'actrice s'amuse avec les nuances qu'elle apporte à son jeu : d'une candeur désarmante, elle est capable de se transformer à dessein en séductrice effrontée, sans perdre pour autant le charme constant qui se dégage de l'attitude de Mary. 

JOAN BLONDELL pour Gold Diggers of 1933 : Joan Blondell incarne ici son personnage type, celui d'une chorus girl sans le sou mais combative à l'époque de la Grande Dépression. Elle s'impose sans conteste comme la plus marquante des "gold diggers" grâce à la vivacité de son jeu, qui lui permet de composer une jeune femme séduisante, entreprenante mais aussi comique. Mais surtout, elle saupoudre à merveille sa performance de moments d'émotion, rendant son personnage très humain, ce qui conforte le propos non seulement du film, mais aussi celui du producteur des différents spectacles dans le film, à savoir décrire le sentiment des hommes et femmes ancrés dans une époque difficile.  A ce titre, son moment de gloire est sans conteste le beau numéro final sur "Remember my forgotten man".


La revue terminée, le Général prend une pause bien méritée. Son célèbre thé recèle comme toujours bien des mystères...

Le Thé du Général

**** Miriam Hopkins (Design for Living)un ménage à trois scandaleux pour l'époque, délicieux pour nous, surtout avec une pétillante Miriam Hopkins au milieu 
**** Joan Blondell (Blondie Johnson), l'un des meilleurs rôles d'une actrice que j'apprécie beaucoup, qui donne de la profondeur, de la crédibilité et une grande humanité à une femme dirigeant la pègre locale 
**** Miriam Hopkins (The Story of Temple Drake), toujours explosive, mais avec une part plus sombre et tragique, dans un film marquant émotionnellement
*** Barbara Stanwyck (The Bitter Tea of General Yen), un rôle très intéressant en ce qu'il amène une jeune Occidentale à revoir ses préjugés sur un général chinois qui parvient à la fasciner
*** Barbara Stanwyck (Ladies They Talk About), une intrigue un peu facile et peu réaliste, mais une héroïne combative et charmante à souhait, qui apprend à se débrouiller dans une prison pour femmes
*** Katharine Hepburn (Little Women), quelques lenteurs dans l'intrigue, mais l'actrice parvient à le rendre plaisant en peignant une Jo March vigoureuse et inoubliable
*** Jean Harlow (Bombshell), une performance explosive et sexy, si vous voulez découvrir le phénomène Jean Harlow (avec ses qualités comme ses faiblesses), commencez par ici
*** Constance Bennett (Our Betters), à nouveau une de mes actrices fétiches, ici délicieusement mondaine, manipulatrice, et dont la séduction toute hypocrite n'a d'égale que le charisme brodé de sophistication
** Ann Harding (Double Harness), une actrice que j'apprécie de plus en plus, et qui séduit forcément, mise en valeur par la classe de William Powell
** Loretta Young (Employee's Entrance), un rôle charmant et bouleversant d'une jeune et jolie employée sous l'emprise de son patron
** Loretta Young (Man's Castle), le contrepoids idéal à la virilité de Spencer Tracy, permettant de ne pas briser la magie d'une réalisation épurée et comme hors du temps
** Fay Wray (Ann Carver's Profession), un film daté, mais une performance de femme moderne adorable, et toujours cette belle expressivité au fort impact visuel
Lillian Gish (His Double Life), la reine du cinéma muet qui parle, l'événement est de taille, le film l'est moins ; cependant, l'actrice y révèle un timbre de voix qui fait regretter de ne pas l'avoir vue plus souvent sur les écrans dans cette décennie 1930
* Fay Wray (One Sunday Afternoon), encore un film qui semble émerger des limbes du temps, avec un mauvais Gary Cooper mais une Fay au pouvoir de séduction intact, qui plus est amusante dans la variation vulgaire de son personnage
* Loretta Young (Zoo in Budapest), dont l'innocence est l'une des forces d'un film au charme hors du temps, malgré un scénario très vide
Constance Bennett (Bed of Roses), un film étrange que j'ai pourtant vu une seconde fois : pas de doute, même si elle est ici moins à son avantage, Constance n'en a pas fini d'être fascinante

lundi 23 avril 2018

MEILLEURE ACTRICE 1957


Le Général Yen passe en revue les meilleures actrices de 1957, l'une des années les plus riches de la décennie, les grandes actrices de la fin de l'ère classique s'y étant donné rendez-vous. On notera en particulier la présence de deux performances "sœurs", dans deux films ayant le même sujet...


La favorite du Général 

ELEANOR PARKER pour Lizzie

Dans Lizzie, Eleanor Parker incarne une jeune femme à la triple personnalité, et se révèle absolument éblouissante dans son art d'actrice. Le passage d’une facette à l’autre lui permet de livrer une palette variée et nuancée d’expressions et de tonalités contraires. La grande force de sa performance est de bâtir une opposition angoissante entre Elizabeth et Lizzie, l'imprévisibilité de cette dernière transformant le film en un thriller psychologique haletant. Eleanor parvient cependant à intégrer dans Lizzie une part du charme d'Elizabeth, ce qui permet au spectateur d'être séduit par l'antagoniste du film. Même si la troisième personnalité n'est pas assez exploitée par le film, ses apparitions sporadiques ajoutent au suspense oppressant du film. La dernière partie permet à l'actrice de déchirer la carapace réservée d'Elizabeth pour lui faire vivre un torrent d'émotions en cascades. En somme, il s'agit d'une performance magnifique, l'une de celles qui font d'Eleanor Parker l'une des actrices phares des années 50.


Le tableau d'honneur

Elles l'ont courtisé, il ne les a pas élues. Mais le Général est magnanime, voyez plutôt :

DEBORAH KERR pour Heaven Knows, Mr Allison Deborah Kerr s'impose de plus en plus comme l'une de mes actrices favorites, et ce n'est pas sa performance dans ce film qui va contrecarrer son ascension. La rencontre entre le soldat Mitchum et la nonne Deborah dans ce petit coin de paradis sous la menace de l'armée japonaise est non seulement une explosion d'alchimie entre deux acteurs au puissant charisme intérieur, mais cela leur permet surtout d'explorer le thème de l'opposition apparente de leurs caractères et de leurs vocations. Deborah comme toujours brille dans la subtilité : la sensualité refrénée de son personnage de religieuse  affleure peu à peu, à mesure que l'actrice dévoile la personnalité cachée de l'héroïne. 

JOANNE WOODWARD pour The Three Faces of Eve : L'approche de type documentaire du film le rend moins intense et inférieur à Lizzie, qui traite de la même histoire de manière plus scénarisée et prenante. Mais que dire de la performance de Joanne, qui lui a valu l'Oscar de l'année, sinon qu'elle est merveilleuse ? Dans le petit jeu des comparaisons, "Eve Black" est moins nocive que "Lizzie", ce qui retire de la tension au jeu de l'actrice. En revanche, Joanne développe mieux la troisième personnalité qu'Eleanor, ce qui donne un sentiment d'équilibre et de crédibilité. Le rôle est malheureusement moins bien construit, et le contraste entre les deux premières personnalités, qui faisait tout le charme de la performance d'Eleanor, n'est pas assez exploité ici. Le rôle reste cependant l'un des sommets de la belle carrière de l'actrice.

AUDREY HEPBURN pour Funny Face : Même si la pétillante Kay Thompson excelle, dans son propre style, dans le rôle de la patronne du magazine de mode, je n'ai eu d'yeux que pour l'interprétation d'Audrey Hepburn, qui donne sa crédibilité au film en incarnant avec une grande justesse une jeune libraire, puis son passage au mannequinat. Le film aurait été bancal sans sa capacité à briller dans les deux registres, qu'elle relie en construisant une personnalité d'intellectuelle décalée, rêveuse et sophistiquée. 

ANNA MAGNANI pour Wild Is the Wind : L'Italienne Anna Magnani frappe fort dans ce rôle d'épouse "importée" d'Italie pour remplacer sa sœur décédée, auprès d'un mari qui lui renvoie sans cesse l'image idéalisée d'une ex-femme portée aux nues. L'actrice est épatante dès ses premiers pas en Amérique, où son sentiment d'étouffement touche droit au cœur. Puis elle dévoile progressivement son immense charisme et son pouvoir de séduction, qui bouleversent autant le spectateur que le cœur des hommes du film.


La revue terminée, le Général prend une pause bien méritée. Son célèbre thé recèle comme toujours bien des mystères...

Le Thé du Général

- Après-midi : Audrey Hepburn (Love in the Afternoon) ; j'aurais pu remplacer dans ma liste sa performance de Funny Face par celle-ci, tant son charme drôle et innocent y est à l'oeuvre, ce qu'elle rend avec un naturel déconcertant. Si le film est très agréable et reste l'un de ses meilleurs, le scénario est cependant trop conventionnel, ce qui amène l'actrice a être moins détonante et originale.


- Soirée : Deborah Kerr (An Affair to Remember), qui aurait elle aussi pu figurer plus haut sans son autre grand rôle de l'année ; il n'empêche, Deborah fait encore une fois du grand Deborah et n'a rien à envier à Irene Dunne dans ce remake du film de 1937. Son personnage est extrêmement sympathique, grâce à son jeu fait de sourires et de coups d’œils subtils, un "grand classique" de l'actrice qu'elle porte ici à la perfection. 

- Matinée : Mitzi Gaynor (Les Girls). Parmi les trois "girls", Mitzi  est pour moi la plus séduisante par sa personnalité, tantôt pétillante, tantôt mélancolique, et son jeu plus nuancé, en contraste avec ses deux camarades qui ont tendance à surjouer.

- Floral : Lauren Bacall (Designing Woman). Je n'aime pas tout dans cette performance, mais les bons côtés l'emportent et prouvent que Lauren sait être une actrice de comédie. Sans se départir de sa classe habituelle, qui plus est.

- Fleuri : Kay Kendall (Les Girls). Une déferlante charismatique et comique à la Rosalind Russell dans The Women. Mais elle en fait beaucoup trop pour que j'y adhère pleinement.

- Vert : Hope Lange (Peyton Place). Une performance bouleversante et attachante, qui fait beaucoup pour un film que je ne m'attendais pas du tout à aimer autant.

- Rouge : Lana Turner (Peyton Place). Son rôle reste assez classique et sobre, néanmoins le thème de la sensualité refoulée, qui donne du sens au film, est largement porté par son personnage, ce qui rend sa prestation très intense.

- Noir : Elizabeth Taylor (Raintree County). Un personnage de "Southern Belle" ambigu et au charme ténébreux et au caractère tempétueux, qu'Elizabeth Taylor interprète de manière si humaine qu'elle la rend attachante. Même si elle est parfois à la limite du surjeu, elle parvient à un équilibre salvateur en dévoilant le point de vue d'une anti-héroïne tragique qui aurait pu être dépeinte comme maléfique.

- Corsé : Patricia Neal (A Face in the Crowd). Si le film m'a déçu, ce n'est en rien à cause d'une Patricia Neal toujours aussi charismatique.

dimanche 25 février 2018

MEILLEURE ACTRICE 1961


Le Général Yen passe en revue les meilleures actrices de 1961, une année qui regorge de films ayant pour objet le désir féminin, sous toutes ses formes, mettant ainsi en valeur des actrices sachant jouer de leur sensualité, qu'elle soit explosive ou plus subtile.


La favorite du Général 

NATALIE WOOD pour Splendor in the Grass

Dans ce beau film d'Elia Kazan, centré sur l'éveil des sentiments amoureux et du désir à l'adolescence, Natalie Wood réalise une performance que l'on ne peut que qualifier de chef d'œuvre. L'enfant star des années 1940-50 est devenue une petite boule de sensualité refrénée, qui ne demande qu'à se libérer des contraintes étouffantes de la société de l'époque. Au fur et à mesure que les minutes passent, on peut voir son personnage, Deanie, se transformer, passant d'une jeune fille d'apparence sage à une jeune femme torturée par un désir qu'elle ne peut assouvir. L'actrice entre littéralement en transe sur la pellicule pour délivrer une explosion d'émotions, entre hystérie et dépression, tout en évitant l'écueil du sur-jeu. Le contraste entre les deux états est saisissant et permet de donner son réalisme à la construction du personnage, qu'elle parvient par ailleurs à rendre terriblement attachant grâce à sa personnalité et à son charme.


Le tableau d'honneur

Elles l'ont courtisé, il ne les a pas élues. Mais le Général est magnanime, voyez plutôt :

DEBORAH KERR pour The Innocents Dans un film à ambiance gothico-horrifique sublimé par sa photographie en noir et blanc, Deborah semble comme une lumière dans l'obscurité, dont la lueur vacille en même temps que son âme. Belle à couper le souffle dans sa maturité, elle hante le spectateur comme elle est hantée par des fantômes en gouvernante tantôt bienveillante, tantôt au bord de l'hystérie (elle aussi !). Comme dans tous ses meilleurs rôles, son jeu plein de classe laisse entrevoir un érotisme latent et refoulé (et ici plutôt malsain !), dont la subtilité ne cesse de me surprendre.

SHIRLEY MACLAINE pour The Children's Hour Comme dans la version de 1936, il m'est difficile de départager les deux protagonistes, qui brillent chacune à leur manière. C'est néanmoins Shirley MacLaine qui gagne ma préférence pour son beau portrait de la passionnée Martha Dobie. Dégageant une personnalité et des émotions d'une puissance rare, l'actrice parvient à construire un personnage fort et inoubliable, allant jusqu'à éclipser Audrey Hepburn sur la première partie du film grâce à sa remarquable composition des sentiments contrariés et ambigus de Martha.

LOLA ALBRIGHT pour A Cold Wind in August Incarnant une femme mûre qui séduit un adolescent, Lola Albright s'empare avec aisance de ce rôle particulièrement délicat. Loin de rester sur le seul créneau de la sensualité débordante, qu'elle maîtrise d'ailleurs à merveille, elle est aussi et surtout séduisante et convaincante dans toutes les étapes de sa relation avec le protagoniste masculin, son jeu indiquant avec finesse la passion, les doutes ou les craintes qu'elle éprouve, construisant ainsi un personnage complexe.

GERALDINE PAGE pour Summer and Smoke Une performance techniquement impressionnante, qui permet à l'actrice de développer en profondeur la personnalité complexe d'Alma, une "vieille fille" qui refrène ses passions charnelles mais qui aime de tout son âme, depuis sa plus tendre enfance, son voisin, un homme bien plus porté sur les plaisirs matériels de la vie. Geraldine Page a beau être excellente, je n'arrive pas à aimer assez son personnage, ce qui me pose problème pour apprécier plus ce film. Alma est une rêveuse, qui ne jure que par la puissance de l'amour qui résulte de la rencontre de deux âmes ; il me faut donc retrouver le charme des mots qu'elle prononce dans l'attitude de l'actrice, ce qui me manque ici, malgré des fulgurances, en particulier sur la fin, qui me décident à l'intégrer dans les cinq de l'année.


La revue terminée, le Général prend une pause bien méritée. Son célèbre thé recèle comme toujours bien des mystères...


Le Thé du Général

- Classique : Audrey Hepburn (The Children's Hour), qui compose une Karen pleine de dignité et de classe ; elle règne sur la seconde partie du film, qui lui permet de développer à merveille la posture droite, calme et déterminée de son personnage, jusqu'à la magnifique scène finale.

- Irish : Piper Laurie (The Hustler), qui séduit dès le premier regard lancé à Paul Newman ; son interprétation d'une jeune femme qui comble le vide de son existence par la boisson est excellente, et le couple formé par ces deux âmes en peine est déchirant d'humanité, même si leur relation reste secondaire dans le film.

- Corsé : Natalie Wood (West Side Story), qui délivre une performance de caractère dans ce film mythique (même s'il a beaucoup vieilli), sans pour autant se démarquer autant que je l'aurais souhaité. 

- Amer : Audrey Hepburn (Breakfast at Tiffany's), dont le charme et le classe ne peuvent rattraper les défauts d'un film qui m'a beaucoup déçu : outre la pauvreté du scénario, Audrey n'est pas bien castée dans un rôle de prostituée mondaine qu'elle ne parvient pas à rendre crédible, malgré tous ses efforts pour incarner un personnage extraverti, à contre-emploi de ses rôles habituels.