lundi 11 mars 2019

PETITES PERLES FRANÇAISES (4) : LES FILMS


Au terme d’une traversée transatlantique sans accroc, le Général Yen passe en revue le meilleur de ses découvertes en matière de cinéma classique français, des années 1930 aux années 1950 (Partie 4 sur 4).

Acte Quatrième : les films

Cette liste a été la plus longue à venir. Et pour cause, après quelques découvertes majeures, j'ai bouleversé mon classement et mon top 5 est devenu un top 10. Au vu des paragraphes ci-dessous, un lecteur avisé imaginera assez facilement quelles modifications pourraient impacter à l'avenir mes trois précédents articles sur le sujet. Il est possible que je republie des listes actualisées, mais pas avant quelques mois, histoire de me laisser le temps de transformer mon "caveau" en caverne...

N°1 : Le quai des brumes (1938), de Marcel Carné
Ce n°1 n'est pas aussi évident qu'il pourrait l'être, et la lutte entre les quatre premiers de ce classement est encore serrée dans mon esprit à l'heure où j'écris. Cependant, la quasi perfection de ce qu'il faut bien appeler un chef d'oeuvre lui permet de se placer fièrement au sommet : plus illustre film de mon genre favori du cinéma français, le réalisme poétique, ce Monument se distingue par son intrigue puissante et pessimiste, la beauté de son ambiance portuaire et de ses terrains vagues, et, surtout, par l'espoir (vain, mais sublime) incarné par le couple légendaire Michèle Morgan / Jean Gabin. Et d'ailleurs, je suis toujours autant jaloux de ce dernier.

N°2 : Panique (1946), de Julien Duvivier
Ce film noir d'une portée morale tragique fabuleuse, articulé autour du thème des méfaits de la rumeur populaire, est porté par un Michel Simon mystérieux et ambigu à souhait, et surtout par une Viviane Romance en femme fatale irrésistible et, surprise, pleine d'empathie. Admirablement bien construit, le film possède une ambiance de petit quartier et de fête foraine qui lui donne une grande beauté. Pour une analyse plus en détail, vous pouvez lire ma critique parue il y a peu sur le blog.

N°3 : Remorques (1941), de Jean Grémillon
Si elle n'est pas dénuée de quelques longueurs, cette pépite remplie de mélancolie est le modèle du "film à atmosphère" dont j'aime faire l'éloge sur ce blog. Les sentiments des personnages sont matérialisés à l'écran, les vagues et le vent reflètent leur tempérament ou la contrariété de leurs destins. Le trio "maudit" composé par le marin héroïque Jean Gabin, l'amante magnétique Michèle Morgan (voir ici à propos de son personnage) et l'épouse courageuse Madeleine Renaud est remarquable.

N°4 : Pépé le Moko (1937), de Julien Duvivier
La "couleur locale" dégagée par le second film de Duvivier à apparaître dans mon classement n'est pas étrangère à sa place ici : l'exotisme de la casbah d'Alger, de ses vieilles ruelles, le duel mythique entre la police et la pègre... Et des portraits d'hommes et de femmes qui semblent pris sur le vif, à commencer par "Pépé" lui-même, un parrain plus grand que nature campé par l'inévitable Gabin ; Slimane l'inspecteur ambigu ; sans oublier les femmes, entre l'exotique Ines et la mondaine Gaby (Mireille Balin). Il ressort de tout cela un fatalisme et une nostalgie qui ne peuvent laisser indifférents ceux d'entre-vous qui ont l'âme poétesse.

N°5 : Quai des Orfèvres (1947), d'Henri-Georges Clouzot
Un grand film noir à la française, tant par son intrigue que par sa réalisation. Peinture sociale fataliste de l'univers du music-hall, où le crime frappe à l'improviste, il bénéficie d'une riche galerie de personnages aux relations complexes, parmi lesquels on remarque forcément la gouailleuse Suzy Delair chanteuse de cabaret, dans l'un de ses meilleurs rôles, Bernard Blier, son mari jaloux, Louis Jouvet bien-sûr, en inspecteur sévère, ou encore la très attachante Simone Renant.

N°6 : Le Corbeau (1943), d'Henri-Georges Clouzot
Film brillant, ce huis-clos baigne dans l'atmosphère pesante d'un petit village rongé par la rumeur et le soupçon. Outre le fait qu'il se déroule et a été tourné pendant l'Occupation, sa dimension mythique tient en ce qu'il dépeint les mille et une nuances de gris, et bien souvent tirant vers le noir, du caractère de l'Homme :  tous les personnages du film ont quelque chose à se reprocher, ce qui maintient un suspense implacable, magnifié par la performance d'un Pierre Fresnay au sommet dans le rôle d'un instituteur mis sous pression par la rumeur.

N°7 : Pattes blanches (1949), de Jean Grémillon
Le thème a beau être classique, sa prise en main par Grémillon en fait une splendide fresque tragique. Ici, il est question de l'arrivée d'une femme fatale dans le quotidien de villageois bretons. Le cinéaste tourne ce scénario au sublime en accentuant les contrastes : entre la beauté féminine aguicheuse de Suzy Delair et la virilité fruste des hommes du village, ou entre les attraits du marchand aisé mais peu cultivé et ceux de l'aristocrate désargenté. La dimension lyrique du film est en outre soulignée par les inspirations presque fantastiques de certaines scènes.

N°8 : Hôtel du Nord (1938), de Marcel Carné
La grande réussite de ce film est la constitution par Carné d'une ambiance pittoresque et populaire autour d'un petit hôtel parisien, portée par des dialogues absolument brillants. Attention : si Arletty a été immortalisée par son rôle dans ce film, elle n'est en réalité que très secondaire dans l'intrigue. Elle appartient d'ailleurs à toute une panoplie de personnages également hauts en couleur et qui gravitent autour des protagonistes Annabella (qui est envoûtante), Jean-Pierre Aumont (un peu terne, mais central) et Louis Jouvet (mystérieux, charismatique, et même romantique !).

N°9 : La Main du Diable (1943), de Maurice Tourneur
Ce "mythe de Faust" revisité est un pur bonheur pour les amateurs du genre : le suspense est excellemment introduit et monte au fur et à mesure de l'intrigue, la mise en scène est remarquable, passant de la comédie au drame sans écueil, et la photographie expressionniste de certaines scènes laisse sans voix. Et que dire de la performance majuscule de Pierre Fresnay en homme maudit par un choix funeste, mais aussi des apparitions jouissives du Diable sous la forme d'un petit bourgeois à chapeau, interprété par Pierre Palau.

N°10 : Entre onze heures et minuit (1949), de Henri Decoin
La lutte pour les dernières places a été terrible, mais je ne peux m'empêcher de sélectionner cette perle noire au titre délicieusement évocateur. Ici, Louis Jouvet, encore lui, porte le film sur les épaules de son charisme à voix grave et aux yeux tristes. Le scénario est aguicheur : le commissaire Jouvet mène l'enquête sur le meurtre d'un homme qui lui ressemble comme deux gouttes d'eau, en se faisant passer pour lui...