dimanche 22 janvier 2017

PLAIDOYER POUR QUATRE BELLES


Dans la vaste galaxie que constitue l’âge doré du cinéma hollywoodien, j’ai pour cet article jeté mon dévolu sur quatre actrices, toutes plus belles les unes que les autres, mais qui malgré ou à cause de cela, n’en sont pas moins sous-estimées, plongées dans l’oubli ou vues simplement par le prisme de leur seule apparence.

La première d’entre-elles est restée célèbre pour sa voix et son visage adolescent qui a fait rêver des millions de petites filles. La suivante est devenue une star pour avoir simplement crié de toutes ses forces. La troisième est injustement méconnue. Et la dernière est vue plus comme un sex-symbol que comme une actrice.

Or, se souvenir ainsi de ces « quatre belles » n’est certainement pas leur faire justice, tant elles ont déployé à travers nombre de leurs prestations un véritable talent, comique ou dramatique, une capacité à émouvoir ou à séduire le spectateur. Et, surtout, un penchant étonnant à dominer quelques films de toute leur présence, leur charme ou leur charisme. Sans prétendre à l’exhaustivité, j’ai choisi ici de retenir trois à quatre performances pour chacune parmi leurs meilleures, pour illustrer les atouts qui leur sont propres.



DEANNA DURBIN : Rossignol sur un volcan d’allégresse


Revue du Général : Si dans les années 1930 Deanna Durbin est devenue une star planétaire, au sortir de l’enfance, dans des comédies musicales construites autour de son talent de chanteuse, c’est dans les années 1940 qu’elle offre ses performances les plus intéressantes. Possédant une capacité comique folle transmise par un regard pétillant et un large sourire, elle a aussi été capable de sortir de sa zone de confort en trouvant sur le tard un rôle dramatique à sa mesure.


It Started with Eve (1941) : S’il fallait que vous choisissiez un premier film à voir de Deanna, ce serait celui-là. Car tout ce qui fait son charme et son talent, tant comique que musical, y est réuni. Véritable pile électrique de bonne humeur, elle n’est plus adolescente et joue enfin réellement sur le mode de la séduction. Son alchimie avec le « beau-père » joué par Charles Laughton est un régal.

Christmas Holiday (1944) : Dans ce drame à ambiance de film noir, Deanna Durbin interprète un personnage très « femme fatale » (et Gene Kelly son époux, un caïd qui croupit en prison !). Le contre-emploi lui réussit bien, et elle prouve ici qu’elle sait sortir de son registre favori. Cela ne l’empêche pas de chanter : son rôle est celui d’une chanteuse de cabaret ! La jeune Deanna des années 1930 laisse ici la place à une véritable femme, charmeuse et sensuelle, mais qui semble damnée, comme prisonnière de l’amour pour son mari sous les verrous. Son jeu est plutôt statique, mais en conservant sa grâce naturelle elle n’en est que plus touchante, en particulier dans le finale.

Lady on a Train (1945) : Film basé sur l’intrigue classique à l’époque du héros (comique) qui mène l’enquête en détective amateur, Lady on a Train offre l’un de ses meilleurs rôles à une Deanna Durbin à l’apogée de sa féminité séductrice et affirmée. Toujours aussi drôle par ses mines caractéristiques, qui ne sont plus du tout enfantines, elle se paye le luxe de dominer de bout en bout le film par son charisme d’enquêtrice déterminée, maligne, mais maladroite.



FAY WRAY : Reine des cris, princesse de l’image


Revue du Général : Première et immortelle « scream queen » d’Hollywood grâce à son rôle mémorable de blonde hurlante dans King Kong (1933), mais aussi dans toute une série de films d’horreur des années 1930, plus ou moins réussis, Fay Wray m’a totalement conquis pour d’autres rôles. Plus que sa capacité vocale, ce qui frappe chez elle est l’immense impression que dégage son jeu physique, non parlé, déjà à son zénith au crépuscule de l’ère du muet. Malgré le peu de chefs d'oeuvre à son actif, la voir à l'écran est toujours gage de qualité...


The Wedding March (1928) : Ce film, l’un des derniers « grands » du cinéma muet, est excellent, élégamment réalisé (la Vienne de la Belle-Epoque), et met en valeur son acteur principal (en somme : c’est du Stroheim !). Mais ce n’est pas tout : lotie d’un personnage très « jeune première » énamourée de Stroheim, Fay Wray livre ici probablement la meilleure prestation de sa carrière. L’expressivité de son visage est sublime, exprime aisément admiration, joie et peur (déjà !), ce qui convient parfaitement au muet.

Ann Carver's Profession (1933) : J'aurais pu prendre ici dix mille captures d’écran tellement Fay adopte dans chaque scène une attitude ou une mine remarquable. Certes, le film est très daté, mais son rôle de femme active est moderne et empreint d’une fraîcheur qu’elle matérialise à l’écran par son jeu, encore une fois, d’une grande expressivité. Fay Wray maîtrise parfaitement l’image et son impact visuel est un immense atout pour le film, qu’elle saupoudre ici d’un certain charisme assez réjouissant…

The Affairs of Cellini (1934) : Un second rôle surprenant au premier abord, mais à bien y regarder, une performance remarquable. Fay Wray joue une jeune fille niaise et sans esprit qui est courtisée par les personnages principaux. Son innocence extrême est rendue par l’actrice d’une manière si spontanée qu’elle déboussole les protagonistes masculins, non moins émoustillés, et qu’elle en devient irrésistiblement comique pour le spectateur.

It Happened in Hollywood (1937) : Comme entre autres The Artist, ce film raconte les difficultés d’une vedette du muet (un héros de westerns) pour obtenir le succès dans le parlant. Sans être un chef d’œuvre, il permet à Fay Wray de dominer chacune de ses scènes dans le rôle de l’actrice qui, elle, monte en gamme avec l’arrivée du parlant, alors même que son temps d’écran est (trop) limité. Son émotivité sert le propos du film, d’autant qu’elle l’accommode d’une prestance sereine qui ajoute à sa beauté élégante, rarement aussi frappante.



JEAN PETERS : Charisme unique et impromptu


Revue du Général : La principale raison de sa faible notoriété est la durée de sa carrière (1947-1954). Et pourtant, la sensuelle brune Jean Peters a su développer sous son charme discret un fort potentiel de « charisme contenu » (qui me rappelle un peu celui de Deborah Kerr, la spécialiste), malheureusement trop peu exploité par Hollywood. Elle laisse néanmoins derrière elle quelques perles, qui toutes sont emplies d'une certaine originalité.


Anne of the Indies (1951) : Dans un rôle étonnant de femme pirate, qui avait tout pour faire trébucher n’importe quelle actrice, Jean Peters s’impose comme une révélation. Non seulement elle est crédible en flibustière, mais en plus elle fait preuve d’un réel charisme de meneuse d’hommes. Elle commande d’une grosse voix, est impitoyable avec les équipages capturés et adopte une démarche très masculine. Le plus remarquable est qu’elle parvient à faire cohabiter cette prestation démonstrative et quasi virile avec des raisonnements et une sensibilité bien plus féminins, sans pour autant faire perdre à son personnage son aura de pirate. Une prestation bien rare pour l’époque.

Niagara (1953) : Film qui permet à Marylin Monroe de briller par son jeu, Niagara donne l’occasion à Jean Peters de prendre le contre-pied de la blonde glamour et fatale, en petite brune dynamique et inquisitrice. Elle parvient à tirer le meilleur d’un rôle a priori assez limité (qui aurait pu se limiter à celui, très conventionnel, de la « brave fille » inintéressante) en donnant à son personnage le caractère nécessaire pour elle aussi dominer ses partenaires masculins. Son regard « spécial Jean Peters » est déployé à merveille et pétille d’intelligence et de défi. Difficile de lui préférer Marylin (pourtant volcanique), ce qui est en soi un petit exploit !

Pickup on South Street (1953) : Coup de cœur personnel, la meilleure prestation de Jean Peters est aussi un coup de maître. Ultrasensuelle (en particulier dans la scène du début du film qui a lieu dans un métro bondé), elle capte l'attention d'un regard hypnotique, charme à la façon d'une femme fatale vénéneuse et populaire, et offre une alchimie intense avec Richard Widmark, qui délivre lui aussi une excellente partition.



LANA TURNER : De voluptueuse à vénéneuse


Revue du Général : Sex-symbol à la vie mouvementée, Lana Turner souffre de la « malédiction des belles », auxquelles on ne concède pas d’autre talent que celui de plaire par leur seul physique. Avatar de Jean Harlow ou, à sa suite, de Marylin Monroe, qui sont mieux appréciées qu’elle, elle a pourtant réussi à élaborer par son jeu d’étonnants profils de personnages. Que l’on parle d’une séductrice frivole, d’une femme fatale ou d’une courtisane intrigante, toutes le sont « à la Lana Turner », à savoir un savoureux mélange de regards séducteurs ou innocents, de sourires équivoques ou déterminés, le tout sous le couvert d’une attitude souvent froide et indolente qui fait tout son charme.


Slightly Dangerous (1943) : Dans cette comédie où elle incarne une jeune vendeuse qui se fait passer pour la fille amnésique d’un millionnaire, Lana offre une prestation qui tient tantôt d’une Marylin Monroe (la capacité de séduction frivole assumée), tantôt d’une jeune Barbara Stanwyck (la scène du début où elle affronte son nouveau patron, qui tombe sous son charme). Elle domine ici son sujet (et les hommes !) comme rarement dans sa carrière. En revanche, le film s’essouffle sur la fin. Dommage.

The Postman Always Rings Twice (1946) : LE rôle mythique à retenir de Lana Turner. Certes, elle souffre de la comparaison au début du film avec les grandes femmes fatales du film noir, quoique son apparition quasi divine laissant sans voix John Garfield vaille son pesant d’or. Mais elle se reprend dans la deuxième partie en stupéfiant le spectateur avec un mélange d’indifférence froide, d’érotisme latent et de défiance dans le regard, qui, conjugué avec l’excellente prestation de Garfield, permet au film de figurer parmi les classiques du genre.

The Three Musketeers (1948) : Lana Turner est Milady de Winter. Après avoir vu ce film, c’est l’évidence même. Sur un style de jeu « turnerien » maintenant bien maîtrisé (froideur travaillée pour accroître son aura, malice dans le regard, séduction érigée en arme) et qui correspond parfaitement à l’une des plus grandes « méchantes » de la littérature, elle semble mystifier ce pauvre Gene Kelly en D’Artagnan, inexorablement pris dans ses filets. Ce rôle aurait pu être mieux valorisé en lui donnant plus de temps d’écran, mais Lana brille suffisamment par son charisme discret pour convaincre.

The Bad and the Beautiful (1952) : Ses rôles des années 1950 sont plus mélodramatiques et me conviennent moins, cependant elle reste la bonne surprise de celui-ci, signé Minnelli, qui est avant tout un morceau de bravoure de Kirk Douglas, impressionnant en producteur de films prêt à tout pour parvenir à ses fins. Jouant une actrice manipulée et désillusionnée, elle apporte à son rôle une émotion juste et vraiment troublante, qui donne de la force au film en faisant contrepoids au personnage de Douglas, monstrueux.