dimanche 29 mai 2016

MADELEINE CARROLL, LA REINE DE CŒUR


Ma revue d’actrices se poursuit avec pour cette fin de mai un article sur l’une des premières grandes stars britanniques : Madeleine Carroll (1906-1987). Si sa carrière hollywoodienne est plus fournie que sa période anglaise, elle reste aujourd’hui surtout célèbre pour son rôle dans Les 39 marches d’Hitchcock, l’un des films les plus acclamés du légendaire cinéaste avant son départ en Amérique. En parfait prototype de la « blonde hitchcockienne », Madeleine Carroll développe, sous des abords froids relevés par une élégance sophistiquée et un port de reine, un jeu profond qui appuie sur les émotions, à l’aide d’un regard et d’un sourire aiguisés à la perfection.


The 39 Steps, le premier mythe hitchcockien


VF : Les 39 marches. Un film d’Alfred Hitchcock (1935), avec Madeleine Carroll et Robert Donat.

L’histoire : A Londres, un homme du nom de Richard Hannay accepte d’héberger chez lui une femme qui se dit poursuivie. Son assassinat peu après oblige Hannay à fuir à la fois les meurtriers et la police, qui le soupçonne du crime.

Une intrigue d’espionnage, une fuite en train puis dans la lande écossaise, un homme affable au petit doigt coupé. The 39 Steps regorge de moments mythiques et, si le scénario lui-même est relativement simple, il donne l’occasion au réalisateur – un Hitchcock aux prémices d’un talent qui, en 1935, n’a pas encore donné sa pleine mesure – de s’amuser à créer un climat de thriller. L’atmosphère belle et sombre du film est clairement son point fort. Le film accuse cependant quelques petits flottements, de légères longueurs, heureusement compensées par des revirements de situation bien amenés.

Course poursuite, course contre la montre aussi, le destin d’un personnage qui bascule en quelques instants. Voilà ce qui advient à Richard Hannay, interprété par un Robert Donat dont le brio est d’exprimer parfaitement l’angoisse puis la détermination et même le cynisme d'un homme aux abois. Son physique très dandy anglais, la moustache fine et le sourcil arqué, joue pour lui et imprime un certain style.

Robert Donat fait le film, mais celui-ci ne serait plus le même sans Madeleine Carroll, dont le rôle est certes secondaire, mais apporte une fantastique fraîcheur à l’intrigue en amenant le film sur une tonalité plus légère, voir comique : le couple Donat / Carroll pétille d’alchimie, et leurs scènes dans la chambre d’hôtel sont mes préférées (leur manège les mains liées par des menottes a des airs de film muet). Madeleine réussit bien l'évolution de l’attitude de son personnage envers le héros, traduite par des mines très expressives et souvent drôles ou touchantes. De quoi faire pas mal de captures d’écran pour une apparition somme toute relativement réduite par rapport à la durée du film. L’actrice est encore jeune, son rôle n’est pas aristocratique ou de grande dame, mais elle a déjà dans ses cordes la recette qui fait sa spécificité, ce mélange de douceur et de passion, cette expressivité contenue, qui d’ailleurs pave la voie aux futures « blondes hitchcockiennes ».


The General Died at Dawn, conte noir à l’encre de Chine


VF : Le général est mort à l'aube. Un film de Lewis Milestone (1936), avec Madeleine Carroll, Gary Cooper et Akim Tamiroff.

L’histoire : Dans la Chine des années 30, O’Hara, un aventurier américain affronte un « seigneur de la guerre », le Général Yang. Alors qu’il tente de livrer des armes aux ennemis du général, il est piégé par la séduisante Judy Peary...

The General Died At Dawn. Rien que le titre de ce film est fait pour moi. On retrouve ici la Chine fantasmée, déjà vue avec Marlene Dietrich (Shanghai Express de Sternberg) ou Barbara Stanwyck (The Bitter Tea of General Yen de Capra), celle de la guerre civile entre les seigneurs de la guerre, celle des années 1920-30. On y voit même encore des scènes de train, une rengaine dès que l'on montre la Chine à l'écran à l'époque...

Le principal atout de The General Died At Dawn est sa réalisation et sa photographie. Les scènes d’intérieur évoquent tout à la fois l’exotisme asiatique (dans une moindre mesure que dans le General Yen de Capra) et un film noir (un genre qui n’existe pas encore en 1936). On est d’ailleurs ici plus proche de Sternberg que de Capra. L’esthétique du chef opérateur Victor Milner est sublimée par des choix de plan mettant en valeur l’expression des émotions des personnages. Il en ressort un sentiment d’oppression, d’étouffement, bien rendu grâce au jeu des acteurs.

Akim Tamiroff (Yang) et Gary Cooper (O’Hara) campent leurs personnages habituels (le méchant cruel et le héros modèle américain) mais avec suffisamment de nuance pour ne pas être (trop) caricaturaux. La palme de la performance revient ici surtout à Madeleine, magnifiée par une mise en scène avantageuse composée de nombreux gros plans sur son visage. L’actrice apporte au film son cocktail typique de charme et de classe discrète, attirant l’attention par un jeu silencieux captivant, rehaussé par le timbre d’une voix cristalline bien adaptée pour les répliques ironiques ou romantiques. Face à Gary Cooper, le contraste masculin / féminin fait mouche et, encore une fois, l’alchimie est au rendez-vous.  


The Fan, le dernier cadeau de la reine


VF : L'éventail de Lady Windermere. Un film d’Otto Preminger (1949), avec Madeleine Carroll, George Sanders, Jeanne Crain et Richard Greene.

L’histoire : L’arrivée dans la haute-société londonienne d’une aventurière, la sulfureuse Mrs. Erlynne (Madeleine Carroll), met en danger le mariage de l’élégant Lord Windermere et de son épouse, Lady Margaret Windermere (Jeanne Crain).

Ce film est souvent boudé pour son manque de ressemblance avec la pièce d’origine d’Oscar Wilde ou le film muet de Lubitsch. Erreur. Grave erreur ! Car même si l’on est loin de la comédie de mœurs, Otto Preminger, dont le genre de prédilection est le film noir, a choisi d’adapter le scénario d’origine à sa manière. Cela donne un résultat difficilement comparable à l’original et que je trouve pour ma part très réussi.

Si la primauté n’est pas donné à la comédie, les répliques acides ou ironiques fusent, et l’on se retrouve plongé dans l’atmosphère d’un univers aristocratique typique. Le choix de réalisation confère au film une esthétique sombre, qui met l’accent sur le mystère, le soupçon et la jalousie. La tension entre les protagonistes est cependant relevée par les dialogues piquants, qui portent une certaine élégance et parfois une frivolité, authentique (car typique du milieu) et bienvenue (car distrayante).

Toutefois, le film restant basé sur une pièce de théâtre, il confie logiquement au jeu des acteurs les clés de sa réussite. A ce titre, si le couple Jeanne Crain / Richard Greene est vraiment séduisant et si George Sanders ne cesse de me surprendre par sa repartie charismatique, c’est Madeleine Carroll qui tire son épingle (ou plutôt son éventail) du jeu pour nous offrir the performance. Cette Mrs. Erlynne, une « aventurière » menaçant un mariage, est d’ailleurs l’un de mes principaux coups de cœurs pour un personnage de film classique. Madeleine a mûri dans son jeu d’actrice par rapport aux deux films précédents. Non seulement son personnage développe des manières extrêmement sophistiquées, qui donnent l’impression qu’elle se rit de ses interlocuteurs à chaque phrase, mais surtout, elle interprète une femme aux multiples facettes. Tantôt grimée en dame âgée d’une énergie juvénile (et crédible, comme par exemple une Barbara Stanwyck dans The Great Man’s Lady), tantôt élégante et dangereuse tentatrice aux objectifs mystérieux, elle brille enfin en femme protectrice dégageant humilité et tendresse.

Et aussi…

- The Prisoner of Zenda (1937), de John Cromwell, avec Ronald Colman : J’ai déjà mentionné ce film ici, je ne m’attarde donc pas dessus. Il reste sans conteste l’un des fleurons de la carrière de Madeleine, et certainement mon préféré. Jamais son port de reine ne lui a autant servi, et sa grâce, majestueuse, s’en ressent.

- North West Mounted Police (1940), de John Cecil B. DeMille, avec Gary Cooper et Paulette Goddard : Madeleine en couleurs ! L’éternelle “sweetheart” anglaise rayonne de toute sa splendeur dans ce DeMille de facture correcte, même si le rôle, secondaire, ne lui laisse pas l’occasion de faire grand-chose de plus.