Affichage des articles dont le libellé est Petites Perles. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Petites Perles. Afficher tous les articles

lundi 22 octobre 2018

PETITES PERLES FRANÇAISES (3) : LES RÉALISATEURS


Au terme d’une traversée transatlantique sans accroc, le Général Yen passe en revue le meilleur de ses découvertes en matière de cinéma classique français, des années 1930 aux années 1950 (Partie 3 sur 4).


Acte Troisième : les réalisateurs

N°1 : Henri-Georges Clouzot
Il est le maître du suspense et du "film noir" à la française. Si Clouzot n'a pas son pareil pour dépeindre avec une misanthropie certaine les vices et malheurs de ses contemporains (ainsi, tous les personnages du Corbeau ont quelque chose à se reprocher), il est aussi et surtout un créateur d'atmosphères comme je les aime. Sa force : savoir conjuguer des dialogues percutants et une mise en scène dynamique destinée à faire "entrer" le spectateur dans son film. A noter également sa réussite dans le registre comique (L'assassin habite au 21), sur fond d'enquête policière (on ne se renie pas !).

N°2 : Jean Grémillon
S'il est presque aussi sombre, l'univers de Grémillon est plus statique et classique que celui de Clouzot. Ses films ont un tempo plus lent, mais ils évitent l'écueil que je reproche par exemple à Renoir ou Ophüls : l'ennui. Car Grémillon est maître dans deux choses, primordiales pour un cinéaste : savoir créer une atmosphère et construire des personnages inoubliables. Pour la première, il semble nous transporter in situ grâce à sa patte naturaliste et son esthétique poétique. Pour les seconds, il leur donne une âme : le caractère taciturne des marins bretons, la mélancolie d'une maîtresse ou la dignité d'une épouse trompée.

N°3 : Marcel Carné
Auteur des grands chefs d'oeuvre du réalisme poétique, Carné est le peintre du lyrisme sur grand écran. Si ses personnages sont moins séduisants que ceux de Grémillon et si ses films n'ont pas la même énergie que ceux de Clouzot, il possède la recette pour multiplier les réussites. Peintre du social, épaulé par les dialogues et scénarios de Prévert, il compose des films à fort impact émotionnel et sait mettre en valeur le charisme de ses acteurs masculins (Jean Gabin) comme féminins (Arletty, Michèle Morgan).


A suivre...

dimanche 14 octobre 2018

PETITES PERLES FRANÇAISES (2) : LES ACTEURS


Au terme d’une traversée transatlantique sans accroc, le Général Yen passe en revue le meilleur de ses découvertes en matière de cinéma classique français, des années 1930 aux années 1950 (Partie 2 sur 4).


Acte Deuxième : les acteurs

N°1 : Charles Boyer
Sa carrière étant essentiellement américaine, son style emprunte beaucoup au stéréotype du "french lover", qu'il met à profit dans des romances d'excellente facture (Love Affair ; All This, and Heaven Too ; Hold Back the Dawn). Son apparence sévère et sobre combiné à un regard d'une grande expressivité lui permet de briller en incarnant des personnages dignes mais sentimentalement torturés. Son chef d'oeuvre est incontestablement sa prestation dans Gaslight, film dans lequel il interprète le mari ténébreux et machiavélique d'Ingrid Bergman. Utilisé à contre-emploi dans Cluny Brown, une comédie de Lubitsch, il y révèle un formidable talent comique, insoupçonné...

N°2 : Jean Gabin
Gabin sera peut-être au sommet de ma hiérarchie un jour, tant il y a à dire, sachant qu'il me reste encore beaucoup à découvrir. Il a pour lui d'avoir joué les grandes figures des chefs d'oeuvre du réalisme poétique d'avant-guerre, des héros prolétaires tragiques auxquels il a prêté un style à la fois sympathique et viril (en particulier dans les légendaires Le quai des brumes et Le jour se lève). Il parvient pour moi à un sommet dans Remorques, avec sa manière de débiter les dialogues de Prévert et de peindre les relations de son personnage, taciturne, avec sa femme et sa maîtresse.

N°3 : Maurice Chevalier
A l'opposé de Boyer et Gabin, Maurice Chevalier s'est bâti outre-atlantique une solide réputation de comique charmeur et enjoué, ambassadeur du rêve français fantasmé à Hollywood dans l'entre-deux-guerres. Contant fleurette à la belle Jeanette MacDonald dans ses meilleurs films, des comédies musicales signées Lubitsch (The Love Parade, The Merry Widow) ou Mamoulian (Love Me Tonight), il n'a pas son pareil pour caricaturer le "french lover" en chantant des mélodies d'opérette à grand renfort d'un accent français très prononcé. Egalement excellent, si comme moi vous aimez son style, dans The Smiling Lieutenant, face à Claudette Colbert et Miriam Hopkins, et plus tard, en détective privé / père bienveillant d'Audrey Hepburn dans Love in the Afternoon.


A suivre...

jeudi 11 octobre 2018

PETITES PERLES FRANÇAISES (1) : LES ACTRICES


Au terme d’une traversée transatlantique sans accroc, le Général Yen passe en revue le meilleur de ses découvertes en matière de cinéma classique français, des années 1930 aux années 1950 (Partie 1 sur 4).


Acte Premier : les actrices

N°1 : Danielle Darrieux
La Reine du cinéma français. Si je ne suis pas un grand enthousiaste de la qualité de ses films (Ophüls me laisse de marbre), elle ne m'a elle-même jamais déçu. Élégante et gracieuse, elle s'est érigée à mes yeux comme une référence absolue grâce à son style inimitable, en particulier dans le registre comique (Battement de cœur). Dans les années 1950, elle développe une présence scénique divine et empreinte de noblesse, qui parvient à sublimer jusqu'à l'ennui (Madame de...) !

N°2 : Michèle Morgan
Un style très différent de Darrieux, plus froid, qui sied parfaitement au genre dramatique par la fatalité exprimée par ses immenses yeux clairs (c'est un lieu commun, mais comment les éviter ?). Sa principale qualité est d'inonder d'une classe incomparable, que l'on retrouve d'ailleurs chez une Lauren Bacall, des films à forte atmosphère, de type "film noir" ou "réalisme poétique" (Le quai des brumes, Remorques, The Fallen Idol).

N°3 : Suzy Delair
L'une des grandes muses de Clouzot. Son charme canaille la rend irrésistible dans deux registres, où elle excelle : "l'enquiquineuse" comique (L'assassin habite au 21) et la femme fatale délicieusement scandaleuse (Pattes blanches). Grâce à sa personnalité pétillante, elle est passée maîtresse dans l'art de rendre attachantes des héroïnes à la moralité parfois plus que douteuse...


A suivre...

jeudi 23 avril 2015

Les Petites Perles (3) : Trois joyaux venimeux



Le Général Yen, gai cavalier, poursuit son voyage et arpente les contrées florissantes des années 40 et 50. En guise de perles, il a déniché tout heureux trois véritables joyaux. Et ce au péril de sa vie, car une morsure n’est jamais loin avec…


THE LITTLE FOXES – La vipère

Film de 1941, réalisé par William Wyler, avec Bette Davis, Herbert Marshall, Teresa Wright et Dan Duryea.


L’histoire : Dans le Vieux Sud du début du 20ème siècle, Regina et ses deux frères tentent d’assouvir leur ambition et leur cupidité par tous les moyens. Pour parvenir à ses fins, elle n’hésite pas à manipuler ses proches, à commencer par sa propre fille, la naïve Alexandra.

Avouons-le d'entrée, je suis loin d’être le plus grand fan de Bette Davis, une actrice qui, par son jeu, me laisse souvent assez indifférent, quoique son talent ne fasse objectivement aucun doute. Mais il arrive – et ce n’est pas rien – qu’elle dégage une étincelle, un je-ne-sais-quoi de plus que dans la majorité de ses films, qui me fait totalement adhérer à sa performance. Cette étincelle, je la retrouve dans The Little Foxes, au titre français pour une fois bien inspiré : « La Vipère ».

Alors bien sûr, si cette grande actrice me plait dans ce film, la palme en revient en grande partie au réalisateur, sans oublier le reste du casting. William Wyler est certainement un des cinéastes classiques que je préfère. On lui doit ainsi des pépites comme The Best Years of Our Lives, Wuthering Heights, Roman Holiday, mais aussi, puisque l’on parle de Bette Davis, Jezebel, le premier rôle stratosphérique de la dame.  

“You'll wreck the town, you and your brothers. You'll wreck the country, you and your kind.”

Dans The Little Foxes, Wyler nous brosse un tableau familial comme je les aime, sis dans une petite ville provinciale sudiste. La famille dont il s’agit, les Hubbard, est dépeinte comme un véritable clan aristocratique, qui plus est honni par ses voisins, qui en font à vrai dire une bête maléfique tapie dans leur contrée. A sa tête, Regina et ses deux frères : des ambitieux, des malins, des cyniques. Les « éléments rajoutés » de la famille (épouses, mari) sont des victimes qui ont été pris dans les filets de ces vampires modernes. Bette Davis domine la fratrie de toute sa splendeur en incarnant cette marâtre sudiste froide et calculatrice aux faux airs de belle-mère de Cendrillon. D’un charisme détonnant, son personnage est jouissif dans ses confrontations avec ses frères et ses petites manigances. On la croit tantôt vaincue, tantôt invincible, et j’adore ça.


“The world is open for people like you and me. There is thousands of us all over the world. We'll own the country some day. They won't try to stop us.”

Mais il n’y a pas que Bette Davis dans un film qui regorge de grandes performances et de dialogues croustillants (« Do you like me? / Not today. / I’ll come back tomorrow! »). Herbert Marshall lui vole presque la vedette dans le rôle de son mari, un homme malade et pourtant fort. Il est brillant dans son incarnation d’une figure sage, tranquille mais déterminée. L’opposant parfait à Davis. Il est aussi touchant avec sa fille, Alexandra (surnommée « Zan »), jouée par une adorable Teresa Wright, très convaincante dans le tout premier rôle de sa carrière – et l’un de ses meilleurs. Car Alexandra est la fille sous influence, couvée par sa mère, mais pas encore « corrompue ». Au sortir de l’adolescence, elle commence à découvrir le monde. Son évolution et ses choix forment l’autre trame motrice du film.

Pour finir, mention spéciale à la scène finale, un chef d’œuvre absolu…


CAT ON A HOT TIN ROOF – La chatte sur un toit brûlant

Film de 1958, réalisé par Richard Brooks, avec Elizabeth Taylor, Paul Newman et Burl Ives.


L’histoire : Dans le Sud des Etats-Unis, une riche famille se déchire. Rien ne va plus entre Maggie et Brick, un jeune sportif à la carrière brisée, alcoolique et repoussant les ardeurs de sa femme. En brouille avec son père, il apprend que celui-ci, qui ignore son sort, est mourant...

Cat on a Hot Tin Roof a des allures de huis-clos, et ce n’est certainement pas un hasard pour un film basé sur une pièce de théâtre. Ambiance étrange que celle de cette villa du Sud profond (encore !), où les vieux chants confédérés de garnements insupportables s’allient aux couleurs un peu désuètes des robes des femmes et des décorations de la petite fête donnée en l’honneur du patriarche. L’ambiance est lourde, le temps est à l’orage. Et l’orage va éclater.

“You know what I feel like? I feel all the time like a cat on a hot tin roof.”

Toute la richesse du scénario est de déclencher la tempête sur plusieurs fronts. Tout dans cette famille semble surfait, les relations ne sont cordiales qu’en surface, et l’hypocrisie règne en maître. Le frère de Brick et sa femme ne sont-ils pas venus pour préserver leur part d’héritage ? Le personnage de Brick, justement, est central à l’histoire : chouchou de son père, il est pourtant en froid avec lui et le critique ouvertement ; son couple est en crise, et il rejette sa femme Maggie pour des raisons qu’elle ignore.

“And you say he left you nothing but a suitcase with a uniform in it?”

La relation père – fils est pour moi la plus grande réussite de Cat on a Hot Tin Roof. Paul Newman (Brick) et Burl Ives (le père, « Big Daddy ») sont absolument grandioses quand ils s’adressent l’un à l’autre, en particulier lors d’une scène sublime à la cave, sur une musique fabuleuse. Un de mes plus grands moments de cinéma, qui justifie à lui-seul de voir un film qui abuse parfois d’un rythme d’escargot.

L’autre atout du film est bien entendu « Maggie the Cat », jouée par Elizabeth Taylor, un rôle fait sur mesure pour l’actrice qui « miaule » presque à l’écran en usant d’une petite voix suraiguë. Elle est plus sensuelle que jamais pour incarner une épouse frustrée sexuellement par son mari. Ce chat-là se hisse à la hauteur des deux protagonistes masculins, et la féminité exacerbée de Taylor répond aux débordements machos et à la violence à peine contenue des hommes.


THE SNAKE PIT – La fosse aux serpents

Film de 1948, réalisé par Anatole Litvak, avec Olivia de Havilland, Leo Genn, Celeste Holm et Mark Stevens.


L’histoire : Une femme se retrouve internée dans un hôpital psychiatrique sans avoir le souvenir d’y être jamais entrée.

The Snake Pit est le film qui m’a définitivement fait aimer Olivia de Havilland. Film assez dur, il raconte la vie d’une détenue internée psychiatrique, Virginia Cunningham. Cet asile ne diffère d’une prison qu’au vu des médecins et infirmières qui gèrent tant bien que mal les patients. Ce film est passionnant pour l’immersion dans cet univers clos divisé en de multiples « zones » où cohabitent des individus à l’état similaire. Les personnes proches de la réinsertion sont en zone 1. Ils pourront bientôt sortir. Mais tout en bas de l’échelle, c’est l’enfer pour une personne saine : la cauchemardesque « fosse aux serpents ».

“Here I was among all those people, and at the same time I felt as if I were looking at them from some place far away.”

Si j’ai apprécié ce film, c’est d’abord parce que la réalisation brille : on nous laisse « respirer » par des flashbacks révélateurs ; l’état psychique de l’héroïne est constamment comparé à celui des autres patients ; la mise en scène des temps forts du film est révélatrice de la perte de repères de Virginia, ainsi que de ses émotions.

“When there are more sick ones than well ones, the sick ones will lock the well ones up.”

Bien évidemment, ce film est ce qu’il est grâce à la performance de son interprète principale. Olivia de Havilland est sensationnelle dans un rôle tout sauf glamour, ce à quoi elle m’a habitué. Mais ici, elle nous peint une Virginia déroutée et déroutante : on ressent, on vit même, ce que son personnage lui-même éprouve. Et pourtant, on la voit aussi de l’extérieur, à travers les yeux de son médecin et de son mari. C’est là la force du film et de l’actrice : nous faire voir de l’intérieur ce qui d’ordinaire n’est concevable que d’un point de vue externe. Il est très difficile pour le public de s’identifier à une personne en perte de repères, anormale ou même déviante. Il faut donc une grande performance émotionnelle pour faire intérioriser au spectateur le point de vue de Virginia. C’est le cas ici, et je ne peux qu’applaudir l’artiste.

mardi 16 décembre 2014

Les Petites Perles : Pré-Code



Cette deuxième série se concentre sur trois films de l’ère Pré-Code (1930-34).

Le 1er juillet 1934, l’entrée en vigueur du Code Hays met fin à une ère d’une grande audace créative à Hollywood. Ce guide de censure va réguler pendant trente-quatre ans l’industrie du cinéma américain : dans le but de préserver la bonne moralité des spectateurs, chaque film devra désormais respecter des règles de décence, ce qui implique de bannir injures, allusions sexuelles et violence. Modernes pour leur temps, les films Pré-Code gagnent aujourd’hui à être redécouverts, tant pour leurs scénarios subversifs que pour les performances d'acteurs désinhibés...


BABY FACE – Liliane

Film de 1933, réalisé par Alfred E. Green, avec Barbara Stanwyck et George Brent.

L’histoire : Abusée par les clients de son père pendant sa jeunesse, la jolie Lily Powers décide de tenter sa chance à New-York. Usant de ses charmes auprès des hommes, elle connait une ascension sociale fulgurante…

“Use men ! Be strong ! Defiant ! Use men to get the things you want !”

Baby Face est souvent considéré comme l’une des causes de l’entrée en vigueur du Code Hays, quelques mois après sa sortie. Typique du Pré-Code, ce film surpasse pour moi ses contemporains, tant par le message qu’il véhicule que par la prestation de son actrice principale. 

Comme un autre grand Pré-Code, Red-Headed Woman (1932, avec Jean Harlow), Baby Face suit les menées d’une belle jeune femme qui utilise à dessein son immense potentiel de séduction pour s’élever dans la société. Mais là où le premier cité enrobe son sujet d’une saveur comique, qui adoucit son ton, Baby Face nous offre un résultat sombre, une claque dramatique, qui le rend plus réaliste et puissant.


Comme toujours, Barbara Stanwyck illumine le film : elle campe une Lily au regard de braise et à la résolution d’acier. Chacun de ses numéros de drague est un morceau d’anthologie, une leçon de séduction. D'un simple regard elle envoûte les hommes et le spectateur avec elle. Car c’est aussi l’intérêt majuscule de ce film : son (anti-) héroïne effrontée parvient à susciter l’empathie malgré des actes condamnables. 


“All the gentleness and kindness in me have been killed.”

Et, comme elle le prouve également dans Double Indemnity, Barbara est parfaite pour produire l’effet voulu. Car l’effet est clairement désiré par le réalisateur, ce qui démarque Baby Face de Red-Headed Woman, où le personnage de Jean Harlow, bien qu’attrayant, n’en reste pas moins irritable. Quand l’on sait que le Code Hays bannira tout procédé visant à attirer la sympathie du spectateur sur un personnage « criminel », on comprend le scandale qu’a pu provoquer un tel film.



THE DIVORCEE – La divorcée

Film de 1930, réalisé par Robert Z. Leonard, avec Norma Shearer, Chester Morris et Conrad Nagel.                                                                                                                                                         
L’histoire : Lorsque Jerry découvre que son mari lui a été infidèle, elle le trompe à son tour. Mais celui-ci ne peut passer outre…

Comme pour Alice Adams, The Divorcee me permet de parler d’un personnage et d’une actrice qui m’ont tout particulièrement plu. Norma Shearer y incarne Jerry, une femme admirablement libre, qui après avoir bâti un couple au sein duquel, pense-t-elle, l’épouse est en tous points l’égale du mari, elle assume un divorce et continue seule son bonhomme de chemin, libre d’esprit parmi les mondaines.
“The truth ? The last thing any man wants to hear from any woman !”

Même si l’on pourra regretter un scénario somme toute très conventionnel, ce film, réalisé en 1930, est considérablement en avance sur son temps. Le divorce est traité comme un sujet banal, il n’est même pas un obstacle moral pour le couple.

Le titre du film n’est pas trompeur : c’est bien de la femme divorcée dont il s’agit : The Divorcee est donc tout naturellement porté par une Norma Shearer brillante dans un rôle complexe qui occupe le devant de la scène. Sa Jerry est à l’aise parmi les hommes, sa parole est respectée. Mieux : convoitée, bien que divorcée, elle est traitée comme une reine. Toute la subtilité de l’actrice lui permet de véritablement composer ce rôle, et de dévoiler comme nulle autre les facettes de cette femme. Norma a remporté l’Oscar de la meilleure actrice pour ce rôle, et à l’aune de sa prestation, c’est amplement mérité.




EMPLOYEES’ ENTRANCE – Entrée des employés

Film de 1933, réalisé par Roy Del Ruth, avec Loretta Young, Warren William et Wallace Ford.

L’histoire : Par ses méthodes de management dures et brutales, Kurt Anderson connait le succès en tant que directeur d’un grand magasin new-yorkais. Profitant de la détresse de la jeune Madeleine, sans emploi, il lui propose un poste de modèle contre une nuit avec elle…

Warren William, qui interprète dans ce film un employeur tyrannique, est surnommé « King of Pre-Code ». A son instar, je déclare sa partenaire d’Employees’ Entrance, Loretta Young, Reine du Pré-Code. Et pourtant, cette même actrice incarnera plus tard des femmes aux mœurs irréprochables et aux valeurs éprouvées, comme dans The Bishop’s Wife ou The Farmer’s Daughter (1947). Au début des années 30, pourtant, Loretta multiplie les rôles de jeune beauté au visage d’ange, ses beaux yeux grands ouverts et la bouche en cœur. Un ange pas toujours si innocent.

“With your looks, you shouldn't have any trouble finding a job.”

J’apprécie Employees’ Entrance pour deux raisons, qui combinées, font de ce film un grand Pré-Code. Je l’ai citée, il y a d’abord l’atout Loretta. Bien qu’elle ne domine pas le film comme dans Born to Be Bad (titre évocateur) par exemple, son personnage, Madeleine, est d’un grand intérêt : sous ses abords candides, elle n’en cède pas moins à la tentation d’avoir un emploi facilement, quel qu’en soit le prix à payer. 

Un rôle féminin, dans un Pré-Code typique, n’est pas là pour décorer comme une plante de salon. Non, le rôle féminin sert à électriser l’intrigue : dans Employees' Entrance, Madeleine est bien malgré elle l'élément perturbateur, qui, par son arrivée dans la vie de deux hommes, va susciter désir de possession pour l'un, amour pour l'autre, jouant ainsi à merveille un rôle de révélateur des personnalités masculines. 

Tantôt vulnérable à l’extrême, tantôt drôle et enjouée, Loretta Young joue ici une partition sage, mais fortement symbolique : dans un Pré-Code, la femme est souvent manipulatrice (et amorale), comme dans la Lily de Baby Face, ou manipulée (et moralement en péril), comme ici Madeleine. Bien au-delà de l’aspect « subversif » d’une paire de jambes dévoilée, la figure féminine est une pièce maîtresse, sur laquelle aiment jouer les réalisateurs audacieux.

L’autre « trait de génie » du film réside dans son traitement du fonctionnement du grand magasin, indissociable du comportement de son directeur, Mr Anderson. Tourné pendant la Grande Dépression, Employees’ Entrance dresse un portrait fin et saisissant d’un homme, obnubilé par son succès personnel, prêt à tout pour garantir le développement comme la survie de l’entreprise qui est devenue sa vie… et sa proie. Sur ce plan, le film n’épargne rien à son spectateur. Cru et féroce, cet aspect du film est très éloigné des attentes « screwballiennes » que le public manifeste alors pour s’évader de son contexte difficile. Mais le rire est bien présent. Il coule même à flots par le biais de personnages secondaires qui sont autant de « comic reliefs », et bien sûr de l’inévitable Loretta Young.

vendredi 7 novembre 2014

Les Petites Perles du Général Yen


S’en revenant d’un voyage au cœur des années 30, le Général Yen rapporte dans sa besace quelques jolies œuvres sauvées des eaux. Films souvent oubliés, mais pas sans qualités, ces « petites perles » trouvent leur juste place dans ce blog, au côté de nos films préférés.


TRADE WINDS – La Femme aux cigarettes blondes

Film de 1938, réalisé par Tay Garnett, avec Joan Bennett et Fredric March.

L’histoire : un détective privé fanfaron et coureur de jupons suit la piste semée de « cigarettes blondes » d’une femme accusée de meurtre.

Longue et belle croisière à travers le Pacifique, Trade Winds possède ce petit quelque chose en plus des « films de voyage » de l’avant-guerre. Comme un film que j’apprécie beaucoup, One Way Passage, avec Kay Francis et William Powell, il joue avec un charme exotique désuet qui rend son ambiance tout à fait irrésistible.

Comédie basée sur un scénario de drame – le meurtre d’un millionnaire et ses conséquences, le film joue habilement de cette tension entre le comique perçu par le spectateur et le tragique vécu par les personnages.

Côté acteurs, j’ai apprécié comme souvent la capacité de Joan Bennett à jouer à la perfection les personnages ambigus au fort potentiel de séduction, quand, face à elle, se dresse un Fredric March dans un rôle de Sherlock comique, sûr de lui, surprenant et insaisissable. Mention spéciale pour Ann Sothern en secrétaire rebelle, un des personnages féminins les plus drôles que j’ai pu voir, mises à part les perfs de l’incomparable Rosalind Russell.


ALICE ADAMS – Désirs secrets

Film de 1935, réalisé par George Stevens, avec Katharine Hepburn et Fred MacMurray.

L’histoire : au début du XXème siècle, une jeune femme de classe moyenne rêve de s’élever socialement en intégrant l’univers bourgeois d’une petite ville de l’Amérique profonde.

Au vu de son intrigue de départ, je ne pensais pas que ce film me plairait à ce point. Mais il possède un atout qui se résume en deux mots : Katharine Hepburn. Face à Fred MacMurray qui campe un blanc-bec sympathique mais encore éloigné du génie du Walter Neff de Double Indemnity, elle porte un film qui semble n’être fait que pour elle, tant elle l’illumine.

Par son jeu contrasté, qui peint toute la palette des émotions, des pleurs de l’enfant gâtée au courage de la grande dame, cette Alice Adams m’a totalement conquis. Ce personnage est très certainement mon préféré de Kate, devant même sa géniale prestation dans Holiday, film magique qui mérite que je lui consacre un jour un article. 

Alice Adams, c’est pour moi une Elizabeth Bennett en herbe. Aux portes d’un monde austenien, Alice s’efforce de ressembler à ses « amies » mieux loties qu’elle, et nous sont dévoilés ses doutes et ses peines, la rendant chaque minute plus charmante et attachante.  

En dehors de son héroïne, ce film est une jolie fable sociale, et gagne à être (re-)découvert.


JEWEL ROBBERY

Film de 1932, réalisé par William Dieterle, avec Kay Francis et William Powell.        

L’histoire : à Vienne, une jeune et riche aristocrate s’éprend d’un célèbre cambrioleur.

Classe et élégance tout du long avec cette pépite oubliée. Kay Francis s’avère délicieuse dans un rôle qui combine raffinement, fausse naïveté et séduction, tandis que William Powell confirme tout le bien que je pense de lui en jouant les gentlemen cambrioleurs, dans une nouvelle version réussie de son sempiternel personnage de dandy comique.

Jewel Robbery est pour moi la meilleure adaptation d’un scénario beaucoup utilisé à Hollywood à cette époque, à savoir la romance entre une riche dame et un voleur de bijoux. Dans ce registre, Kay Francis n’en est pas à son coup d’essai, puisqu’elle incarne la même année un personnage très semblable dans Trouble in Paradise d’Ernst Lubitsch, qui, malgré une plus grande notoriété, reste pour moi en dessous de Jewel Robbery.

Ce film trouve grâce à mes yeux par l’alchimie de son couple star, qui me rappelle les envolées comiques et complices du duo Myrna Loy – William Powell, et une trame scénaristique bien construite, qui met parfaitement en valeur les personnalités de nos deux héros.