lundi 18 septembre 2017

JOAN BLONDELL, LA DAME EN OR DE LA DÉPRESSION


La sémillante Joan Blondell (1906-1979) est l’une des actrices les plus représentatives du début des années 1930, marquées par deux phénomènes : l’ère Pré-Code dans l’industrie holywoodienne et la Grande Dépression dans le monde « réel ». Ainsi, elle connait son heure de gloire dans des films de gangsters ou d’escrocs, brillant notamment par son association comique et sentimentale avec James Cagney, ou encore dans des comédies musicales figurant le personnage-type de la chorus-girl désœuvrée et manipulatrice. Actrice joviale à la gouaille aguicheuse, elle s’est fait une spécialité des rôles de femmes au tempérament affirmé qui ne s’en laissent pas compter face aux hommes, sans pour autant se départir d’une féminité très sensuelle et surtout, d’une capacité à susciter l’émotion, bien aidée en cela par ses grands yeux bleus au pouvoir quasi hypnotique.


Blonde Crazy, la Belle et le Truand


Un film de Roy Del Ruth (1931), avec Joan Blondell, James Cagney et Ray Milland.

L’histoire : Après l’avoir aidée à obtenir un emploi dans un hôtel, Bert, un groom entreprenant, embarque Anne, une femme de chambre, dans un engrenage de petites escroqueries, tout en s’efforçant de la séduire.

Blonde Crazy est le film qui permet au duo James Cagney / Joan Blondell d’exprimer tout son potentiel, offrant au cinéma Pré-Code l’une de ses plus belles perles. L’alchimie entre les deux jeunes acteurs est évidente et, s’ils apparaissent ensemble dans pas moins de sept films, leur potentiel n’aura cependant jamais été autant exploité qu’ici. La faute probablement à la fin du Pré-Code, tant leur association en est caractéristique : lui, le petit escroc malin, aventureux et coureur de jupons ; elle, la working girl ambitieuse, sexy et indépendante. Ces profils correspondent aux personnages types des deux acteurs pendant toute la première partie de leur carrière, et pour lesquels ils sont passés à la postérité.

Joan Blondell aura rarement été aussi mise en valeur que dans Blonde Crazy. Des scènes osées pour l'époque renforcent sa capacité d'attraction, tandis que les dialogues lui permettent de montrer l'étendue de sa repartie face à un Cagney plus malicieux que jamais.

Le film oscille entre comédie et drame, alliant l’aura d’impertinence comique qui émane des deux protagonistes au contexte difficile de la Grande Dépression. Omniprésent dans les films de Blondell, cet univers de lendemains qui déchantent voit prospérer les escrocs et amène nos héros à lutter grâce à leur charme et à leur filouterie. Ces armes bien à eux les rendent attachants et leur permettent d’espérer atteindre le but de la plupart des personnages de film américains de cette époque, à savoir une vie meilleure, quoi qu’il puisse leur en coûter.


Blondie Johnson, la patronne de la pègre


Un film de Ray Enright (1933), avec Joan Blondell et Chester Morris.

L’histoire : A la mort de sa mère, Blondie Johnson, une jeune femme sans emploi, décide de s’enrichir par tous les moyens. A la suite de ses premières escroqueries, elle se rapproche de Danny, le bras droit du patron de la pègre locale.

Ici, pas de ressorts comiques, la Dépression produit ses effets les plus noirs, et le ton est donné d’entrée : l’héroïne quitte son emploi parce qu’elle est harcelée sexuellement, elle se voit refuser une aide sociale parce qu’elle a démissionné, et sa mère malade meurt. Difficile de faire plus tragique. « Blondie » Johnson va pourtant se ressaisir en choisissant la « voie de la facilité », pour paraphraser le discours moralisateur d’un prêtre et, après de petites escroqueries, elle se met à fréquenter les parrains de la pègre locale.

Blondie est un personnage assez fascinant, car c’est l’un des personnages de femme les plus dominants de tout le cinéma classique. Au pied du mur, dans un milieu masculin et machiste, elle parvient à devenir indispensable aux hommes les plus dangereux de la ville, et ce de manière crédible. Elle refuse d'utiliser ses charmes pour parvenir à ses fins et, en définitive, se révèle plus maligne que ses comparses masculins, jusqu'à tirer les ficelles elle-même. Evidemment, cela implique des sacrifices, et ses doutes, ses dilemmes et ses choix sont bien soulignés par le scénario.

Joan Blondell, quant à elle, donne une dimension humaine et fondamentalement sympathique à un personnage qui aurait pu se révéler vite désagréable à l'écran, ce qui aurait nui au propos du film. Ce rôle est probablement l’un de ses meilleurs et, fait marquant, bien que sa féminité ne la quitte jamais, elle joue ici surtout sur son charisme, qui a rarement été aussi développé. Avouons-le, l’absence d’un véritable alter ego masculin joue à plein : même si Chester Morris est crédible dans son rôle, son personnage reste au second plan par rapport à la personnalité de Blondie, ce qui permet de conserver jusqu’au bout l’image d’une femme forte mais seule, au milieu de toute une galerie d’hommes sans pitié.


Gold Diggers of 1933, la Dépression fait son show


Un film de Mervyn LeRoy (1933), chorégraphies de Busby Berkeley, avec Joan Blondell, Ruby Keeler, Aline MacMahon, Warren William et Dick Powell.

L’histoire : Quatre actrices de music-hall sans le sou sont embauchées par un producteur grâce à l’aide d’un jeune compositeur, qui s’implique dans le spectacle. Mais le frère de ce dernier ne l’entend pas de cette oreille...

Film emblématique de la Grande Dépression, Gold Diggers of 1933 l’est à double titre : il donne voix à des personnages qui luttent pour vivre comme ils le désireraient (les quatre comédiennes) et, dans les spectacles de celles-ci, il met en lumière l’état d’esprit de leur public, qui est aussi celui du film. Certaines phrases ou refrains sont frappants, tels « we want jobs » (nous voulons du travail) ou « remember my forgotten man » (« rappelez-vous de mon mari / fils / père que vous avez oublié », autrement dit que vous avez laissé tomber).

Bien qu’elle ne soit qu’un des nombreux personnages principaux, Joan détonne dans ce film : sa personnalité est la plus pétillante, ce qui lui permet de séduire son audience ; le numéro de fin du « forgotten man », l’un des meilleurs du genre, doit amplement son succès à sa capacité à émouvoir par son regard et sa voix d’une mélancolie à faire pleurer dans les chaumières.

Gold Diggers of 1933 est un bon film car bien équilibré : les numéros musicaux sont marquants pour le spectateur et participent à l’objet du film, qui est de parler de son époque de manière ludique ; chacune des héroïnes a son propre rôle dans le spectacle, en lien avec sa personnalité ; enfin, les personnages masculins possèdent tous un certain intérêt, et ne sont donc pas de simples supplétifs (Guy Kibbee apporte la performance comique, Warren William trouve un juste milieu entre sévérité et empathie, et Dick Powell est au centre de l’intrigue, à la fois intérêt amoureux d’une des actrices et pièce maîtresse du spectacle).


Et aussi…

- Night Nurse (1931), de William A. Wellman, avec Barbara Stanwyck : un second rôle qui permet à Joan Blondell de se mesurer au cocktail explosif du charme et du charisme de la jeune Barbara Stanwyck ; pari réussi, grâce à leur complicité de jeunes infirmières qui n’ont pas froid aux yeux.

- Three on a Match (1932), de Mervyn LeRoy, avec Ann Dvorak, Bette Davis et Warren William : un joli drame qui raconte les destins opposés de trois jeunes femmes ; Blondell sort du lot par sa personnalité pétillante ; Davis est un peu en retrait.

- Lawyer Man (1932), de William Dieterle, avec William Powell : un film avec William Powell est toujours un vrai plaisir, et le voir en duo avec une Joan en pleine forme est particulièrement réjouissant. Le scénario est cependant très conventionnel.

- A Tree Grows in Brooklyn (1945), d’Elia Kazan, avec Dorothy McGuire : une tranche de vie exposée ici de belle manière par Kazan ; Joan en tante un peu trop permissive apporte la touche de lumière dans un univers sombre et réaliste.

- Nightmare Alley (1947), d’Edmund Goulding, avec Tyrone Power : un des monuments de la grande année 1947, où Joan est l’une des trois femmes de la vie du personnage principal. Il s’agit d’ailleurs d’une belle performance, l’actrice apportant une dimension tragique au début du film, alors que le héros semble avoir un avenir radieux (voir aussi cet article pour une critique plus approfondie du film sur le blog).

- Lizzie (1957), de Hugo Haas, avec Eleanor Parker : Joan Blondell a pour moi l’avantage d’avoir évolué avec plusieurs de mes acteurs et actrices favoris, dont une Eleanor Parker à la triple personnalité. La performance de Joan a le mérite de souligner le caractère complexe de la relation entre l’héroïne et sa tante, mais le film est sans conteste entièrement dominé par Eleanor, dans l’un de ses meilleurs rôles.



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