jeudi 30 juillet 2015

MEILLEURE ACTRICE 1940

Premier épisode d'une trilogie dédiée à l'année 1940, cet article met en regard les cinq meilleures performances d'actrices de l'année selon chacun des deux auteurs de ce blog. L'objet de ce type d'article est de comparer nos préférences et d'élire nos films et performances favoris. Rêvons un peu : en lieu et place des Oscars, nous déclarons ouverts les "Films Classiques Awards" 1940 !


Cinquième Place

   - Fu Manchu sélectionne… MARGARET SULLAVAN pour The Shop Around the Corner

The Shop Around the Corner est un de ces films qui excellent sur tous les plans : son atmosphère surannée, ses répliques dotées d’un humour fin qui font mouche à chaque coup… ou encore l’alchimie dont font preuve ses deux acteurs principaux, James Stewart et Margaret Sullavan.

Face à son « Mr Kralik » qu’elle pense à tort insignifiant, Sullavan, dans son interprétation du personnage de Klara Novak, se montre tour à tour pleine d’indifférence, de condescendance, d’espoir ou de compassion. Surtout, ses airs affectés face à la supposée bêtise du pauvre Kralik sont des sommets comiques du film (« Mi-ster KRALIK !... It is true we’re in the same room, but we’re NOT in the same planet ! »), et ses répliques sont un régal.

Une très belle performance pleine de charme et d’esprit qui permet donc à Margaret d’obtenir une nomination bien méritée pour ce qui constitue probablement son meilleur film, malgré une grosse concurrence.


  - Général Yen sélectionne… VIVIEN LEIGH pour Waterloo Bridge

Après le coup de maître interplanétaire de l’année précédente, Vivien Leigh en remet en couche en 1940 en incarnant une héroïne déjà brillamment interprétée par Mae Clarke en 1931. Si j’ai une préférence pour la performance de cette dernière, il n’en reste pas moins que Vivien mérite absolument de figurer dans ce classement, et de devancer (de peu) Katharine Hepburn pour son rôle peut-être un peu trop théâtral dans The Philadelphia Story.

Je retiens surtout l’émotion dégagée par l’actrice, portée par une atmosphère mélodramatique puissante. Je rejoins d’ailleurs Fu Manchu qui dans son article sur le film vantait la capacité de Vivien d’exprimer sur son visage tout ce que son personnage ressent en quelques dixièmes de secondes. Ces instants « spécial Vivien » sont légion dans Waterloo Bridge, pour mon plus grand plaisir.


Quatrième Place

   - Fu Manchu sélectionne… GREER GARSON pour Pride and Prejudice

Greer Garson est l’une de mes actrices préférées, et il est donc assez logique de la retrouver dans cette liste pour l’année 1940. Greer venait d’accéder à la notoriété l’année précédente en incarnant l’adorable Mrs. Chips dans Goodbye Mr. Chips (1939), et c’est dans un rôle tout en continuité qu’on la retrouve en 1940 : son Elizabeth Bennett est une jeune femme belle et vive d’esprit, douce et forte à la fois, intelligente et sachant tenir tête aux hommes.

Face à un Laurence Olivier qui était né pour incarner le gentleman Darcy, Greer se montre à la hauteur d’un rôle qui n’était pas si évident que cela pour elle : incarner une jeune femme à presque 40 ans (et être crédible !) n’est pas chose aisée, et pourtant sa fraîcheur et sa joie de vivre nous conquièrent dès le début du film.

En bref, si cette première version au cinéma d’Orgueil et Préjugés est une vraie réussite malgré les quelques « entorses » faites au récit originel, elle le doit en grande partie - outre le charisme de Laurence Olivier et l’humour de ses personnages secondaires – à la performance pleine de charme de Greer Garson.



   - Général Yen sélectionne… MARGARET SULLAVAN pour The Shop Around the Corner

Le film est un chef d’œuvre, et l’un des piliers de cette œuvre est le couple James Stewart / Margaret Sullavan, dont l'entente fait des merveilles. A l’instar de Stewart, Margaret Sullavan compose une Klara Novak particulièrement attachante. Ce rôle est d’ailleurs probablement le sommet de sa carrière. Notons à ce propos que les deux acteurs apparaissent la même année (1940) dans un autre bon film, The Mortal Storm, de Frank Borzage. Si je les préfère dans ce Lubitsch, la magnificence exquise et légèrement désuète du film aidant, ils sont également très à leur aise chez Borzage.

La performance de Margaret est ici d’autant plus remarquable qu’elle parvient à exceller dans des registres divers : douce et adorable quand elle évoque sa liaison épistolaire, piquante et drôle quand elle titille James Stewart, Klara est façonnée avec le doigté d’une artiste, qui concourt avec sa prestation à renforcer la subtilité et la délicatesse forgées par la réalisation d’Ernst Lubitsch.
 

Troisième Place

  - Fu Manchu sélectionne… BETTE DAVIS pour The Letter

Bette Davis, reine des mélodrames, sévit cette fois dans un véritable film noir avant l'heure, imprégné tout du long par une prenante et étouffante ambiance tropicale qui sied admirablement bien au sujet de l’œuvre. 

C’est dans cette atmosphère pesante que Bette Davis peut dévoiler tout son art, avec un jeu tout en subtilité, où alternent froideur et chaleur humaine, où le mensonge se confond avec la réalité. Si bien que l’on est totalement pris dans l’intrigue : Leslie Crosbie a-t-elle sciemment tué un homme ou était-ce un accident ? Dit-elle la vérité ou manipule-t-elle tout le monde ? Le jeu tout en nuance de Bette Davis sème le doute, au gré des rebondissements de l’intrigue, et rend son personnage fascinant.

Si Bette Davis n’aura pas souvent ma préférence dans mes classements (encore que, des nominations, elle en aura !), il faut reconnaître que ses collaborations avec le réalisateur William Wyler (Jezebel, The Letter et The Little Foxes, dans l’ordre chronologique) ont toutes été des réussites, en grande partie grâce à la performance de Davis, qui démontre à chaque fois quelle grande actrice elle était…

   - Général Yen sélectionne… BETTE DAVIS pour The Letter

J’ai une histoire contrariée avec Bette Davis, puisque loin de l’enthousiasme de la gente cinéphile, qui adore les mélodrames davisiens (où l’actrice joue quasiment à coup sûr une vieille fille à qui va arriver tout plein de malheurs), je reste le plus souvent de marbre, quoique ses films soient de bonne qualité en général. Cependant, au fur et à mesure de mes découvertes cinématographiques, je me suis aperçu d’une chose : William Wyler met en valeur Bette Davis et me fait aimer ses films.

Dans The Letter, Bette Davis éclate de mille feux, en tout cas à mes yeux : elle est génialement mise en lumière par le réalisateur, et ce au propre comme au figuré, puisque les éclairages au clair de lune de début et de fin de film, qui créent une atmosphère assez proche de celle que le film noir mettra en place dans la décennie à venir, sont vraiment sublimes.

Je dois trouver Bette Davis plus convaincante en femme dure ou machiavélique, car loin de ses rôles types de vieilles filles au tempérament sacrificiel, l’actrice adopte d’emblée une attitude menaçante : elle tue un homme sur le perron de son bungalow, dans la nuit du Singapour colonial, avant de se proclamer en état de légitime défense. Le film ayant pour objet de tester la véracité de cette affirmation, Davis compose une femme figée, froide, d’âge indéterminé, et pourtant pleine d’humanité, comme l’illustre son regard très expressif, qui ne cessera pas de fasciner.
Bette Davis est ici immensément charismatique, sans même besoin d’envolées lyriques. La célèbre tirade de fin de film – “With all my heart, I still love the man I killed” – ne fait qu’ajouter au mythe.


Deuxième Place

   - Fu Manchu sélectionne… JOAN FONTAINE pour Rebecca

Joan Fontaine, c’est l’actrice romantique par excellence. Pas de la comédie romantique, non, du vrai romantisme, de ces films où les vieilles pierres respirent, où le mystère demeure, où le drame du passé peut surgir à tout instant… le tout saupoudré d’une romance, bien entendu ! La voir réussir dans Rebecca est donc tout sauf une surprise, et le charme et la candeur « fontainiens » font merveille dans ce film, face au charisme ténébreux de Laurence Olivier.

Cela dit, si Joan Fontaine fait du Joan Fontaine, mérite-t-elle une deuxième place dans mon classement de la meilleure actrice 1940 ? Bien que talonnée de près par Bette Davis, j’aurais tendance à répondre que oui, car si elle évolue dans son registre habituel, elle y excelle, bien dirigée en cela par Hitchcock : jeune fille timide et hésitante, amoureuse de son homme, la Mrs de Winter de Joan Fontaine évolue dans le plus pur style de son interprète, tout en douceur, prenant petit à petit de l’assurance face à la redoutable Mrs Danvers. Malgré des hauts et des bas, l’héroïne parvient à son destin, et au milieu d’une intrigue captivante, Joan Fontaine sait nous convaincre : oui, elle donne bien l’une de ses meilleures performances dans ce film, qu’elle domine à sa manière. De quoi en faire une sérieuse prétendante à l’Oscar, et de ne pas regretter l’absence de Vivien Leigh, qu’Olivier avait fortement réclamée pour interpréter ce rôle…



   - Général Yen sélectionne… JOAN FONTAINE pour Rebecca

Si Rebecca est avant tout une très jolie composition d’ambiance gothique signée le Maître (Alfred Hitchcock), le film doit beaucoup à Joan Fontaine, l’actrice parfaite pour jouer un personnage type romantique / timide / en danger. Il est amusant de noter que le personnage le plus célèbre de la littérature correspondant à ce type, Jane Eyre, a été porté à l’écran par… Joan Fontaine, en 1943.

Dans ce rôle fait pour elle, celui de Mrs de Winter, Joan Fontaine est parfaite de bout en bout. Comme je l’indiquais dans mon article sur le film, Joan n’est pour moi pas une actrice charismatique, ni flamboyante. Ce n’est pas pour autant qu’elle ne dégage rien, loin s’en faut. Dans Rebecca, probablement sa meilleure performance, elle est successivement : fraîche comme une rose qui vient à peine d’éclore, on la verrait presque rosir à l’écran devant les avances de Laurence Olivier ; inquiète et à l’angoisse s’accroissant au fur et à mesure de sa découverte du manoir de Manderley, et ce sans surjouer l’épouvante, puisqu’elle se doit de composer une jeune femme mesurée ; et enfin, courageuse et déterminée, affrontant ses peurs, tout en continuant de laisser perler sa délicatesse.

Le tout devient une Mrs de Winter tout à fait cohérente, plus forte qu’il n’y parait, et donc une parfaite héroïne de roman gothique du XIXème siècle anglais. Voir Joan Fontaine se débattre parmi les ombres dans ce beau film vaut bien une seconde place. Suivez son panache blanc !


Première Place

   - Fu Manchu sélectionne… VIVIEN LEIGH pour Waterloo Bridge

Il est certain que je ne regretterai pas l’absence de Vivien Leigh dans Rebecca, puisque la voici la même année dans un film à sa (dé)mesure : Waterloo Bridge. Un an à peine après Autant en emporte le Vent, Vivien ne s’arrête plus et nous délivre une performance majuscule, que j’avais déjà mentionnée lors d’un précédent article sur Waterloo Bridge

Insouciante, lumineuse et pleine d’une gaieté légère quand il s’agit d’évoquer l’âme d’une jeune danseuse amoureuse, puis incroyablement touchante dans une deuxième partie où se mêlent vulnérabilité extrême et courage infini, Vivien Leigh est à son meilleur. Et que dire de l’extraordinaire expressivité de son regard, qui fait des merveilles dans tout le film, mais plus particulièrement encore dans cette fameuse scène de la gare, où ses yeux s’animent d’un mélange de surprise, d’émotion et d’effroi à la vue de Robert Taylor.

Malgré le poids d’une performance mythique un an plus tôt, Vivien s’impose donc assez naturellement en 1940 : à mes yeux plus convaincante, plus impressionnante, plus touchante que les autres, rien ne pouvait l’empêcher de gagner.


   - Général Yen sélectionne… ROSALIND RUSSELL pour His Girl Friday

Si j’ai déjà eu l’occasion de vanter les mérites de ce film de Hawks dans l’article éponyme, je me dois d’insister une nouvelle fois, et de tresser des lauriers à celle qui fait de ce film une pépite comique irrésistible : Rosalind Russell.
Cette actrice possède le don de faire rire par une de ses mines faussement sérieuses, le regard en coin, l’œil pétillant. Dans His Girl Friday, le réalisateur, Howard Hawks, a décuplé son potentiel comique (et celui de Cary Grant) en la contraignant à débiter son texte extrêmement rapidement. Si cela demande au spectateur toute son attention pour ne pas en perdre la moindre miette, l’effort est payant : les dialogues, par ailleurs brillants de cynisme, font mouche, et le rythme du film en est considérablement augmenté, ce qui a pour conséquence de renforcer l’atmosphère de mouvement et de course infinie propre au monde des journalistes amateurs de scoops.
Hildy Johnson, que joue Russell, est une femme pleine de contrastes, sur lesquels s’appuie son interprète pour créer des effets comiques. Journaliste brillante et efficace, elle se veut honnête, veut quitter son métier et critique les menées de son compère Walter Burns. Ex-épouse de ce dernier, elle souhaite se marier avec son contraire, un homme doux qui aspire à vivre dans une ville tranquille de province.
Rosalind Russell réussit ici l’un des plus grands rôles de comédie du cinéma américain et mérite donc à mes yeux de se classer première, et grande gagnante, parmi les actrices, de cette année 1940.





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2 commentaires:

  1. Nous avons sensiblement les mêmes finalistes, si ce n'est que pour moi, 1940 reste une année difficile où j'ai du mal à départager trois actrices pour la cinquième place (Greer Garson, Kate Hepburn et Vivien Leigh), et autant pour la première (Bette Davis, Joan Fontaine et Rosalind Russell). L'unique certitude est Margaret Sullavan qui n'a nullement volé sa quatrième place, le classement des autres étant surtout une question d'humeurs et de revisites récentes. Mais Russell me semble tellement virtuose qu'elle est presque assurée d'être ma lauréate dans l'absolu, même si je suis objectivement plus sensible aux performances de Fontaine et Davis.

    Ginger Rogers ne faisait pas le poids face à ce beau monde, mais elle n'aurait pas déparé dans ma liste, l'année eût-elle été moins compétitive.

    Hâte d'avoir vos choix dans les autres catégories.

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    1. Merci pour ton commentaire. 1940 est une année de qualité, beaucoup de candidates se battent au portillon ! Et la remarque est vraie aussi pour les acteurs et les films...

      J'ai bien aimé Ginger Rogers dans Kitty Foyle. Elle aurait eu sa chance une année moins fournie. Katharine Hepburn est mémorable et il s'en faut vraiment de peu pour la 5e place. Mais The Philadelphia Story est un film trop étrange pour moi, ce qui a pesé en sa défaveur. Elle serait donc mon 6e choix, Ginger et Greer Garson se bataillant les miettes.

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