Je l'ai déjà souligné, j'apprécie
beaucoup les films noirs pour leur ambiance si particulière et leur travail
esthétique sur l’image en noir et blanc, qui y est sublimée. Ils excellent
aussi dans leurs codes, et en particulier dans leurs personnages archétypaux,
dont le sujet de cet article, la femme fatale, est le plus bel exemple.
Attention,
si dans son sens actuel le mot désigne généralement une femme aguicheuse
irrésistiblement désirable, la femme fatale des films noirs est avant tout une
anti-héroïne, une femme qui tente de nuire au héros, et c’est bien là le sens
du terme « fatale » : dangereuse et mortelle. Mais si la femme
fatale est devenue un mythe, c’est bien sûr parce qu’elles allient en principe
beauté et séduction afin d’assouvir leurs noirs desseins. Voici donc ma
sélection des plus grandes femmes fatales.
N°5 : KATHIE MOFFAT (Jane Greer) dans Out of the Past
Ancienne maîtresse d’un truand, qui
l’accuse de l’avoir volé après lui avoir tiré dessus, Kathie séduit le
détective à ses trousses et le persuade de son innocence.
J’avais été au départ un peu déçu par Jane Greer dans Out of the Past, m’attendant à une prestation plus charismatique. Sauf que, justement, c’est dans sa réserve que Kathie Moffat détonne : elle nous berne tous – les personnages du film et les spectateurs. On en finit par douter qu’elle soit fatale. Eh bien si, et elle est même létale !
Son innocence,
sa candeur, nous font oublier son charme fou. Son atout maître, c’est cette
douceur dans tout son être qui séduit et qui fait qu’on lui pardonne tout. Elle
a un temps d’avance sur tout le monde : inoffensive quand on se méfie
d’elle, elle se révèle sans scrupules quand on s’y attend le moins. Oubliez les
gangsters menés par Kirk Douglas. La « bad girl », c’est elle.
A voir – Le moment où le héros retrouve Kathie dans un bar à Acapulco : il la découvre pour la première fois et l’aborde dans une scène remplie de non-dits, de bluff et, déjà, de séduction.
N°4 : GILDA MUNDSON FARRELL (Rita Hayworth) dans Gilda
Bien qu’elle
n’en soit pas l’héroïne, le film porte son nom. Difficile dès lors d’imaginer
que cette Gilda soit autre chose que le sujet même du film, l’obsession qui
poursuit les deux protagonistes masculins dans leur quête commune. Gilda est la
femme fatale fantasmée : objet de désir des hommes, elle est leur jouet
tout en jouant avec eux, et va jusqu’à dérégler le « pacte » qui
devait mener aux succès les deux hommes qui la convoitent.
A voir – Elle chante à deux reprises la même chanson : Put the blame on Mame. La première, où elle s’accompagne d’une guitare et avec pour seul spectateur un vieux complice, la
montre sous son jour doux et charmant. La seconde, sur la scène d’un
music-hall, est l’occasion pour elle de mimer la femme frivole, provocante et
sensuelle, en particulier au moment où elle enlève lentement le long gant noir
de son bras pour le plus grand plaisir de l’assistance masculine.
N°3 : KATHARINE MARCH (Joan Bennett) dans Scarlet Street
Poussée par un fiancé sans scrupules,
Katherine « Kitty » March profite de la crédulité d’un homme marié
amoureux d’elle pour lui soutirer de l’argent.
Dans Scarlet Street, Fritz Lang filme la déchéance d’un homme ordinaire et sans histoires, qui va tomber dans les filets d’une fille de basse extraction, Kitty. Surnommée Lazy Legs (jambes paresseuses) par son fiancé, c’est une femme pleine de nonchalance, limite vulgaire, ce qui, loin de nuire à ses charmes, décuple son potentiel d’attraction. Or, consciente de ses atouts, elle les met au service de son avidité et de son besoin de complaire à son compagnon.
C’est la seconde
fois que Joan Bennett incarne une femme fatale dans un film de Lang et avec
comme « victime » l’acteur Edward G. Robinson. Mais l’Alice Reed de The Woman in the Window souffre
de la comparaison face à notre Katharine March. Joan Bennett donne à cette
dernière une force et un charisme que la première n’a pas, et que beaucoup d’autres
n’ont jamais égalés. Sa Kitty est un personnage haut en couleur qui ne s'oublie pas.
A voir – La scène où Kitty demande à sa
« proie », désireuse de peindre son portrait, de lui peindre les
ongles de ses orteils en lui tendant son pied de façon sensuelle (« Paint
me ! »).
N°2 : ELLEN BERENT HARLAND (Gene Tierney) dans Leave her to Heaven
D’une jalousie maladive, Ellen est prête
à tout pour conserver les faveurs d’un mari qu’elle vénère.
Pour son
interprétation d’Ellen, Gene Tierney a travaillé son plus bel atout : ses
yeux. Le regard d’Ellen parait tantôt fixe et comme perdu dans un songe, tantôt
dur et déterminé. La couleur (Leave
her to Heaven est filmé en technicolor) amplifie ce phénomène : on
est comme happé dans les yeux de l’actrice et dans ses pensées tourmentées. Ceci
combiné à sa beauté presque éthérée amplifie ses émotions et rend apparente à l’écran
l’hyper-sensibilité d’Ellen.
La force du
personnage est d’être le pivot de l’histoire, alors qu’elle n’en est pas l’héroïne.
C’est elle qui agit, elle qui déroule le fil de l’intrigue comme bon lui
semble. Son mari assiste impuissant aux drames successifs et subit ses caprices.
Ellen réussit à séduire, captiver et à se faire détester d’une manière inoubliable :
elle mérite bien sa seconde place à ce classement…
A voir – L’instant où Ellen apprend que son mari
écrivain a dédicacé son dernier livre à sa discrète mais néanmoins ravissante
belle-sœur. Son regard exprime tour à tour la surprise, l’incompréhension puis
le chagrin et la haine...
N°1 : PHYLLIS
DIETRICHSON (Barbara Stanwyck) dans Double Indemnity
Afin de toucher une prime d’assurance,
Phyllis planifie l’assassinat de son mari avec un agent d’assurance tombé sous
son charme.
J’ai déjà évoqué
dans un article sur ce film toute mon admiration pour Barbara Stanwyck et son
personnage de Phyllis Dietrichson. Oui, décidément oui, Phyllis réussit
l’exploit de me donner la chair de poule par sa froide détermination tout en
étant séduisante. Le charisme de cette femme lui donne le petit quelque-chose
en plus et rend sa prestation géniale et unique.
A voir – Beaucoup de scènes valent le coup d’œil…
Mon choix se porte sur celle où, après son apparition en serviette de bain,
elle descend l’escalier avec une féminité si simple et pourtant si intense,
sous le regard d’un Walter Neff subjugué par ses jambes et son bracelet de
cheville…
C’est ça, la force de Phyllis : elle n’a même pas besoin de pousser la démonstration à l’extrême façon Gilda. Elle incarne la vraie femme fatale.
Et si votre voisine était une tueuse sans que vous le sachiez ? C’est cette femme qu’est Phyllis, sous son apparente banalité. Sa coiffure blonde de mauvais goût (une perruque en réalité), son physique commun, son attitude un peu vulgaire, sont éloignés des canons de la femme fatale au physique ravageur.
Et pourtant :
il émane de Phyllis, la « femme fatale ordinaire », un charisme et un
charme sans égaux, et, alors même que ses intentions maléfiques sont connues, on
n’aspire qu’à y succomber. C’est ce qui la place devant toutes, et en fait pour
moi, l’incarnation la plus réussie de ce personnage mythique du film noir.
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