mercredi 9 septembre 2020

AUDREY HEPBURN, LA MUSE DE LA DELICATESSE



Aux débuts de ce blog, je n’aurais jamais pensé écrire un jour cet article. A vrai dire, la longiligne Audrey Hepburn (née Ruston, 1929 - 1993) était loin de figurer en haut de ma liste d’actrices à découvrir, la faute à un mauvais choix de premier film vu, à savoir le pourtant mythique Breakfast at Tiffany’s (Diamants sur canapé). Mais depuis, la curiosité aidant, ainsi qu’une filmographie variée, la plus Européenne des stars hollywoodiennes s’est installée confortablement dans les sommets olympiens de mes préférences personnelles. Actrice novatrice pour son époque par son style, Audrey Hepburn est passée maître dans l’art de combiner à l’écran un charme innocent et comique et une élégance sophistiquée. Ce nouvel article ambitionne de passer en revue ses films les plus marquants, au travers de thématiques caractéristiques de son œuvre.

 

L’art de la métamorphose

Trait commun remarquable de plusieurs films d’Audrey Hepburn, la transformation de ses héroïnes lui permet d’explorer en un même film deux aspects d’un personnage. La métamorphose est avant tout physique et prend la forme d’un relooking complet, mettant ainsi d’autant plus en valeur l’élégance de l’actrice, ainsi que de ses tenues. Elle peut également se doubler d’une évolution de mentalité, l’héroïne apprenant les codes d’un monde jusqu’alors inaccessible (souvent mondain et bourgeois, toujours chic), sans renier non plus les traits de personnalité qui font tout son charme.

 

Sabrina

Un film de Billy Wilder (1954), avec William Holden et Humphrey Bogart.

L’histoire : Fille du chauffeur d’une riche famille, la jeune et innocente Sabrina (Audrey Hepburn) a toujours été amoureuse de l’un des fils de celle-ci, David (William Holden), en vain. Après un séjour d’études de deux ans à Paris, elle revient transformée en une femme sophistiquée…

Sabrina est un mythe, car ici on contemple la quintessence de ce qui a fait d’Audrey Hepburn une star. Si Roman Holiday a révélé son charme innocent, Sabrina dévoile l’éclosion du style qui a accompagné l’actrice pendant toute sa carrière, tant dans le jeu que l’apparence.  Ainsi, c’est ce film qui voit la première collaboration entre Hepburn et la couturier Givenchy. Et c’est ce film qui met en scène la première métamorphose à l’écran, loin d’être la dernière, d’une héroïne hepburnienne.

Ainsi, Sabrina est l’une des plus pures incarnations du légendaire personnage-type que l’on retrouve dans la plupart des films d’Audrey. Voulez-vous une héroïne au charme à croquer, dont l’irrésistible attrait de son regard innocent n’a d’égal que le sourire timide mais mutin ? Vous l’avez. Voulez-vous une héroïne à l’élégance raffinée, dont la sophistication de la coiffure et de la tenue ne cède en rien face à la séduction discrète et simple de son visage ? Vous l’avez. Tout Audrey Hepburn est résumée en quelques scènes, au travers des deux facettes qui ici se succèdent, et qui définissent sa persona à l’écran. Comprenez-vous le mythe ?

Vous comprendrez en tout cas que c’est par ce film que j’ai commencé à réellement apprécier cette actrice, dans ce qui reste à mes yeux comme l’un de ses rôles les plus aboutis. En effet, le potentiel comique qui résulte du contraste entre l’innocence physique de l’Audrey de 1954 et de sa repartie remarquable (répliques « à la Wilder » obligent) est fortement lié à la fraîcheur de son jeu d’actrice et à sa jeunesse, qui la rendent plus crédible. Ce qui ne l’empêchera pas par la suite de développer ce style à chacun de ses films, sur des tonalités différentes. Comme l’actrice, le film lui-même alterne entre innocence et sophistication, entre humour dans la première partie et ambiance sérieuse dans la seconde. Cette dernière souffre cependant du manque d’alchimie d’Audrey avec un Humphrey Bogart bien mal casté, au contraire d’un William Holden qui brille à ses côtés.

 

Funny Face

VF : Drôle de Frimousse. Un film de Stanley Donen (1957), avec Fred Astaire et Kay Thompson.

L’histoire : A la recherche d’un nouveau mannequin, la rédactrice en chef (Kay Thompson) et le photographe (Fred Astaire) d’un prestigieux magazine de mode jettent leur dévolu sur une jeune libraire (Audrey Hepburn) plus passionnée par la philosophie française que les podiums new-yorkais…

Première comédie musicale d’Audrey Hepburn, Funny Face reprend le dualisme innocence / sophistication inauguré dans Sabrina en le tournant à l’extrême. Non seulement Jo, la jeune libraire, s’habille comme le cinéma américain l’attend d’un « rat de bibliothèque », mais surtout son âme de rêveuse intellectuelle la rend peu prédisposée à défiler pour un grand couturier. Le scénario improbable la propulse donc dans un monde qu’elle n’attend pas, ce qui lui permet de développer des situations qui conviennent parfaitement au style comique de l’actrice.

Comme d’autres après lui, ce film met Audrey sous la coupe d’un « Pygmalion », l’homme par qui la métamorphose arrive. On retrouve ici dans ce rôle un photographe de mode joué par un Fred Astaire vieillissant, sans grande alchimie avec sa partenaire, ce qui reste comme le principal point noir de cette comédie musicale enjouée et un brin loufoque. Un loufoque en grande partie dû à la pétillante Kay Thompson, qui excelle dans le rôle de la patronne du magazine, dans un style très particulier.

Finalement, la crédibilité de l’œuvre (si cela a un sens tant elle est déjantée) repose entièrement sur notre Audrey, qui parvient avec justesse à mettre en valeur les deux versants de la féminité promus par le film : l’intellectuelle rêveuse, innocente et moderne d’un côté, la beauté élégante et sophistiquée de l’autre. Surtout, malgré un scénario qui brusque les transitions, elle relie l’une et l’autre, sa métamorphose de style ne s’accompagnant pas de celle de son âme : par son jeu, elle évolue en restant fidèle à sa personnalité. Cela étant, la morale de l’histoire a vieilli avec le film. Certes, il s’agit d’une comédie musicale, mais quand bien même, Funny Face verse un peu trop dans les clichés américains sur Paris et les intellectuels, ce qui donne parfois une ambiance étrange et désuète.

 

My Fair Lady

Un film de George Cukor (1964), avec Rex Harrison.

L’histoire : Dans le Londres du début du XXe siècle, un professeur de linguistique vaniteux, Higgins (Rex Harrison), parie qu’il est capable de faire passer une fille des rues, Eliza (Audrey Hepburn), pour une grande dame, en lui donnant des cours de phonétique.

My Fair Lady est une comédie musicale basée sur la pièce « Pygmalion », de George Bernard Shaw, dont le thème s’inspire librement du mythe de Pygmalion, le sculpteur dont la création, sa statue Galatée, vient à la vie après qu’il s’est épris d’elle. Ici, le thème de la métamorphose est donc évidemment central : Higgins se voit en sculpteur d’une création qui époustouflera les milieux mondains. Misogyne comme le héros grec du mythe, il n’a rien du bon Samaritain et sa démarche est égoïste.

Plus que de la transformation en elle-même, c’est de l’effet de celle-ci sur Eliza dont il est question. Il est d’ailleurs dommage que le film évacue la période de la progression méritoire de l’héroïne en une seule scène au cours de laquelle, par déclic, elle se révèle douée à répondre aux exigences de Higgins, alors que jusqu’alors elle échouait piteusement. Même s’il s’agit d’une comédie musicale, dont les enjeux diffèrent de la construction de personnage, il est dommage de ne pas avoir pu observer Audrey Hepburn faire évoluer son héroïne pas à pas, sachant qu’elle est justement douée dans l’art de la nuance.

Outre dans la diction, c’est – on s’en doute – surtout dans l’apparence que la métamorphose est la plus remarquable. Comme dans Sabrina et dans Funny Face, Audrey est soumise à un relooking en règle qui lui permet d’arborer des tenues « Belle-Epoque ». Rien de nouveau dans son élégance dans ce registre. La surprise vient plutôt de sa capacité à paraître à peu près crédible en « femme du peuple » avec en particulier un accent populaire très prononcé qu’elle utilise pour, d’une part, susciter de l’émotion et de la bienveillance de la part du spectateur, et d’autre part, élaborer un jeu comique irrésistible. Le changement de registre de langage est ici toujours prétexte de comédie. Il faut dire que ce film est l’un de ceux où le style comique de l’actrice est certainement le plus abouti. Pour ce faire, elle met à profit l’innocence enfantine de son personnage, qui découvre d’un regard critique le milieu mondain dans lequel elle entre, pour déployer un comique de mimiques dont elle seule a le secret.

 

Une icône sous toutes les (hautes-) coutures

La simple mention d’Audrey Hepburn évoque une image d’Epinal de distinction féminine et moderne, marquée par le sceau de la mode. Quoique ce dernier aspect ne soit pas ce qui m’intéresse chez elle, au contraire même, il me faut appuyer sur un fait indéniable : cette actrice brille par une présence physique unique, les costumes et les robes ne faisant que la mettre en valeur. Pour moi, l’élégance à la Hepburn se décompose en trois aspects remarquables : la classe charismatique de son attitude physique, la beauté sophistiquée (du moins après métamorphose de l’héroïne), et l’incarnation d’une sorte d’allégorie de la féminité par le jeu de caractère, de geste et de langage (et en particulier ce que j’appellerai un « comique de charme » très réussi).


Roman Holiday

Un film de William Wyler (1953), avec Gregory Peck.

L’histoire : En voyage officiel à Rome, Ann, une princesse éprise de liberté, décide de fuguer du palais où elle réside et de découvrir la ville incognito. Alors que son entourage la recherche, elle fait la connaissance de Joe, qui lui cache qu’il est un journaliste qui devait l’interviewer…

Roman Holiday (Vacances romaines) est pour Audrey Hepburn le film de la révélation : premier grand film, qui la couronne d’entrée par l’Oscar de la meilleure actrice, première ébauche du personnage-type hepburnien aussi. En effet, tous les ingrédients du succès y sont déjà réunis. En première ligne, l’innocence du personnage, la romance iconique, un personnage de conte de fée ; mais aussi, au second rang, des dimensions plus complexes : la modernité de l’héroïne, un dilemme cornélien (devoir v. amour), une intrigue bâtie telle un roman d’apprentissage.

Il s’agit certainement du film par lequel commencer sa filmographie : bien réalisé et efficace (William Wyler à la réalisation…), il constitue une bonne introduction au style hepburnien, et surtout, permet au spectateur de garder pour la suite d’autres cordes – plus complexes et subtiles – que l’actrice ajoutera à son arc au cours des films postérieurs.Surtout, avec ce film, savourez le plaisir de voir sous vos yeux une rose éclore : le charme de la jeune Audrey Hepburn, encore à l’état de bourgeon, se découvre à mesure que la princesse s’émancipe. A vrai dire, il est difficile d'imaginer une autre à sa place tant le rôle semble être fait pour elle, elle qui en dégage tous les arômes : fraîche et drôle, élégante et coquette, voilà lady Audrey dans sa prime jeunesse et, déjà, dans un sommet de romantisme tout en légèreté.

 

Breakfast at Tiffany's

VF : Diamants sur canapé. Un film de Blake Edwards (1961), avec George Peppard et Patricia Neal.

L’histoire : Holly Golightly (Audrey Hepburn), une jeune femme d’apparence sophistiquée, mène une vie fantasque ponctuée de folles soirées. Entretenue par les hommes sous son charme, elle rêve d’épouser le premier millionnaire venu. Jusqu’à sa rencontre avec un jeune écrivain en panne d’inspiration (George Peppard), lui-même entretenu par une maîtresse plus âgée (Patricia Neal).

Quoiqu’après un deuxième essai le film m’a semblé plus agréable, mes critiques à son égard restent globalement inchangées. La principale : Audrey n’était pas l’interprète idéale pour ce rôle, tel qu’il a été conçu par son auteur originel, le romancier Truman Capote. Songez que ce dernier a créé ce personnage de jeune mondaine se faisant entretenir par plusieurs amants en ayant à l’esprit non pas la longiligne et innocente Audrey mais la voluptueuse et sulfureuse Marilyn, non pas la brune introvertie mais la blonde extravertie… Peut-on faire un plus grand contresens dans le choix d’une actrice ?

Le personnage d’Audrey est pourtant devenu mythique, et avec elle le film, porté par son romantisme chic plus que par son scénario acerbe (le mal-être des deux protagonistes, le sens de leur vie, la futilité de l’argent), l’impact de celui-ci étant fortement réduit par le casting de l’héroïne de cet article et le happy-ending choisi par le réalisateur. Est-ce à dire qu’elle réalise une mauvaise prestation ? Surtout pas ! Elle compose une femme complexe, difficile à saisir, dont le charme chic que dénote chacune de ses tenues haute-couture est tempéré par un caractère bien trempé, à l’attitude plus populaire que bourgeoise. Mais ce contraste ne me convient pas. Il manque à Hepburn la « sensualité dangereuse » d’une Monroe ou peut-être plus adéquatement d’une Lana Turner. Cependant, si à l’inverse de moi vous ne ressentez pas cette frustration, alors vous réussirez certainement à apprécier l’œuvre et sa protagoniste, car techniquement l’actrice s’en sort comme souvent avec l’étincelle de charme innocent qui la caractérise, et qui plus d’une fois a dû faire fondre la glace de la vitrine de Tiffany’s.

 

Charade

Un film de Stanley Donen (1963), avec Cary Grant.

L’histoire : Américaine expatriée à Paris, Regina, alias Reggie (Audrey Hepburn), apprend que son mari – de qui elle souhaitait divorcer – est mort assassiné, mais aussi qu’elle ignorait tout de lui. Elle se voit bientôt traquée par les ex-complices de son époux, qui la soupçonnent d’avoir en sa possession le butin d’un vol que son mari aurait récupéré sans le partager avec ses compagnons. Elle est bientôt aidée dans ses mésaventures par le séduisant Peter Joshua (Cary Grant), mais ce dernier semble en savoir un peu trop sur l’affaire…

A la croisée des genres cinématographiques, Charade marque en soi un jalon important dans la carrière d’Audrey Hepburn. Intrigue à suspense (que beaucoup de critiques aiment à qualifier de « hitchcockien »), dialogues comiques finement ciselés rappelant la screwball comedy, le film bénéficie d’un rythme frénétique qui le rend très plaisant. Côté écriture, la combinaison des genres de film policier et de comédie loufoque implique un scénario pour le moins décousu et peu évident à suivre, voire « absurde », mais en toute connaissance de cause et en parfaite cohérence avec le (non-)sens du film. Et qui de mieux chez les acteurs que d’enrôler le roi de la screwball comedy des années 30, reconverti dans le cinéma hitchcockien, à savoir Cary Grant ?

Dans Charade, on retrouve notre Audrey Hepburn en dame bourgeoise chic, a priori peu portée sur l’aventure, qui se voit entrainée bien malgré elle dans le non-sens ininterrompu de péripéties causées par les actes de son défunt mari. Le film est évidemment l’occasion de montrer l’actrice dans toute une panoplie de tenues à la mode sophistiquée et moderne (pour les années 60) : on se trouve ici dans la lignée de l’ambition « haute couture » de Breakfast at Tiffany’s. Le rôle d’Audrey est cependant bien plus cohérent avec son style de jeu et de personnalité. Si l’impertinence et la joie de vivre laissent poindre le bout de leur nez, c’est toujours pour laisser l’actrice renforcer le contraste entre humour et élégance.

Quand on parle de Cary Grant, difficile de ne pas évoquer d’alchimie : notre film ne fait pas exception, et s’avère sur ce point l’un des plus intéressants d’Audrey Hepburn. Il faut dire aussi que le parti pris de ne pas baser le récit sur la romance bénéficie aux acteurs, qui n’ont pas à en faire trop. Leurs scènes de complicité sont en outre bien intégrées entre quelques péripéties à suspense. Le couple fonctionne d’autant mieux que c’est l’héroïne qui mène la danse dans leur relation, et ce « à la Hepburn », autrement dit avec la part d’élégance et d’« adorabilité » qui la caractérise.


Les tribulations d’une dame ordinaire

Réduire la carrière d’Audrey Hepburn à ses aspects chic et glamour serait manquer de vue l’une de ses singularités : l’art de la simplicité, pour ne pas dire de la sobriété. Même ses rôles les plus ancrés dans la haute-société lui laissent la possibilité de développer une facette « femme comme les autres », ce qui permet d’ailleurs une plus grande identification des spectatrices. Surtout, le charme au naturel de l’actrice est mis en valeur dans quelques rôles où une « dame ordinaire » se retrouve emportée dans le tourbillon d’une histoire inattendue…

 

Love in the Afternoon

VF : Ariane. Un film de Billy Wilder (1957), avec Gary Cooper et Maurice Chevalier.

L’histoire : Ariane (Audrey Hepburn) est la fille de Claude Chavasse (Maurice Chevalier), un modeste détective privé parisien, dont le dernier client cherche à prouver l’infidélité de son épouse. À la suite de l’enquête de Chavasse, le mari trompé se met en tête de tuer le séducteur suspecté, un playboy bien connu nommé Frank Flannagan (Gary Cooper). Mais Ariane a vent de ses intentions et décide de prévenir le bel homme en péril…

A bien des égards, Love in the Afternoon est certainement l’un des films les plus divertissants de cette liste. Comédie romantique, film à suspense, Billy Wilder joue sur plusieurs tableaux pour un résultat très réjouissant. Certes, l’histoire d’amour pâtit grandement de l’écart d’âge (encore !) entre Audrey Hepburn et Gary Cooper, qui commence à accuser le poids des années, mais le talent pour la romance déployé par les deux acteurs parvient à rendre un minimum crédible leur histoire (contrairement à Fred Astaire dans Funny Face).

A l’opposé d’une habitude tenace, le titre français (Ariane) est simpliste mais vise juste : le film est finalement bien une étude du personnage de l’héroïne, une jeune Française comme les autres, violoncelliste, vivant dans un appartement parisien comme il en existe des milliers. Mais, dans ce conte « à la Française » (enfin, selon Hollywood !), l’aventure ne rode jamais loin, le métier de son père étant le déclencheur de son « évasion », qui prendra la forme d’une romance inattendue.

Le film brille en particulier par un humour finement distillé au gré des bouleversements du scénario. Il repose bien sûr largement sur les dynamiques de couple, et, outre celle entre Audrey et Gary Cooper, sur celle entre la jeune femme et Maurice Chevalier, qui joue son père. Si comme moi vous appréciez le jeu comique de ce dernier (il y a des allergiques…), alors vous trouverez dans ce film quelques scènes délicieuses, où l’alchimie entre le père et la fille fait des ravages. Bien sûr, le charme « made in Hepburn » opère à plein, drôle et innocent, grâce à son jeu d’un naturel déconcertant. Il faut cependant noter que, le scénario restant conventionnel, l’actrice n’a pas le loisir d’être aussi détonante et originale que dans ses films les plus aboutis.


The Nun's Story

VF : Au risque de se perdre. Un film de Fred Zinnemann (1959), avec Peter Finch.

L’histoire : Fin des années 1920. Issue d’une famille aisée de Bruges, la jeune Gabrielle décide d’entrer dans un couvent de religieuses hospitalières. Devenue sœur Luc, elle doit concilier sa soif d’aventures missionnaires (elle rêve d’aller en Afrique) avec le dur apprentissage des règles strictes de sa congrégation, en particulier l’impératif d’humilité et de sacrifice absolu des ambitions personnelles. Quand elle partira enfin pour le Congo, ce sera pour se trouver affectée comme infirmière assistante auprès d’un chirurgien athée…

Ce beau film appartient au genre des « histoires de vie », dont le thème principal est plus axé sur la description du sens de la vie du héros que sur le héros lui-même, ce qui limite les possibilités des acteurs. Sûre de sa vocation (entrer dans les ordres pour servir en Afrique dans un but humanitaire), sœur Luc se voit donc constamment ballotée par des vagues contraires, qui permettent au film de questionner ses convictions profondes. Ainsi, elle doit s’acclimater à la vie frugale et rude des sœurs de sa congrégation alors qu’elle est issue de la bourgeoisie, et surtout, elle doit faire vœu de renoncer à ses rêves alors qu’elle est entrée au couvent justement pour les réaliser.

La partition d’Audrey Hepburn dans les habits d’une religieuse est sans fausse note, mais ce type de rôle valorise assez peu à mes yeux l’actrice, car l’habit religieux me parait trop cacher la personnalité des héroïnes pour nourrir l’originalité du jeu d’acteur. Il n’empêche, à l’instar d’une Deborah Kerr avant elle, Audrey s’avère à son aise pour mettre en valeur la contradiction récurrente chez les nonnes « made in Hollywood » : leur vocation est sans cesse mise à l’épreuve par leurs désirs, qu’ils soient charnels chez Kerr ou d’ambition chez Hepburn.  Ici, les qualités de sobriété et de charisme innocent de notre actrice sont les bienvenues, et elles servent à merveille le propos du récit, qui se nourrit de questionner, de surprendre encore et encore la protagoniste.

The Nun’s Story est d’ailleurs en grande partie appréciable pour les nombreux débats d’opinion qu’il suggère : entrer dans les ordres permet-il de réussir sa vie ? Peut-on concilier humilité religieuse et ambition de servir son prochain ? Une nonne peut-elle concilier ses vues avec un athée ? Et enfin, quelle est le meilleur choix à faire pour continuer une vie qui a du sens quand son pays est menacé ? Ainsi, les dilemmes posés à sœur Luc lui permettront de tracer sa voie, et questionnent en retour le spectateur : qu’auriez-vous fait à sa place ?

 

The Children's Hour

VF : La rumeur. Un film de William Wyler (1961), avec Shirley MacLaine et James Garner.

L’histoire : Deux amies, Martha (Shirley MacLaine) et Karen (Audrey Hepburn) ouvrent une école privée pour filles de bonne réputation. Mais leur quotidien sans histoires va être bouleversé par les mensonges de l’une des écolières, qui les accuse d’entretenir une relation lesbienne…

Je reste toujours frappé par la force des films traitant des ravages cruels et injustes causés par la rumeur, et celui-ci ne fait pas exception. Contrairement à sa première version de 1936 (These Three), cette adaptation de la pièce éponyme de Lillian Hellman conserve le thème de l’homosexualité. Tout l’enjeu du film est dans la réaction des différents personnages à l’irruption de la rumeur, qui empoisonne peu à peu tous les esprits et permet au réalisateur de créer un climat de plus en plus pesant puis oppressant, pour les deux héroïnes comme pour le public.

Comme vous pouvez le deviner, le film est porté par l’alchimie viscérale des deux actrices principales, inspirées par la relation forte et bouleversante entre les deux protagonistes. Shirley MacLaine est la première à briller : bénéficiant d’un personnage au caractère plus démonstratif, elle déploie pendant les deux tiers du film des émotions d’une puissance rare, et réalise une remarquable composition des sentiments contrariés et ambigus de Martha.

Audrey Hepburn règne pour sa part sur la fin du film, qui lui permet de développer à merveille la posture droite, calme et déterminée de son personnage, jusqu'à la magnifique scène finale. Sa sobriété introvertie est mise à excellente contribution, d’autant qu’elle se pare au fil des scènes de dignité, de courage et de fermeté. Les rôles pleins d’innocence toute mignonne du début de sa carrière semblent bien loin avec cette prestation, qui exige subtilité et maturité de notre actrice…