mercredi 6 août 2014

KITTY – La Duchesse des bas-fonds


Réalisation : Mitchell Leisen
Scénario : Karl Tunberg et Darrell Ware, d'après le roman de Rosamond Marshall
Producteurs : Mitchell Leisen, Karl Tunberg et Darrell Ware
Société de production : Paramount Pictures
Musique : Victor Young
Genre : Drame
Durée : 103 minutes
Date de sortie : 25 janvier 1946
Casting :
Paulette Goddard : Kitty
Ray Milland : Sir Hugh Marcy
Cecil Kellaway : Thomas Gainsborough
Patric Knowles : Brett
Reginald Owen : Duc de Malmunster
Constance Collier : Lady Susan Dowitt


L’HISTOIRE

Dans le Londres du XVIIIème siècle, une jeune femme des rues, Kitty, se retrouve, par un concours de circonstances, à poser comme modèle pour le peintre Gainsborough. Son portrait anonyme attire l’attention de la haute société, et Sir Hugh Marcy, qui a découvert sa véritable identité, y voit l’opportunité d’utiliser Kitty pour son propre profit, en la faisant passer pour une vraie lady.


L’AVIS DE FU MANCHU

Kitty ou La Duchesse des bas-fonds est un film assez rare et difficile à trouver, et je n’ai vu que peu de critiques sur ce film. Pourtant j’ai tout de suite été attiré par l’histoire de base, que je trouvais très inspirante, moi qui aime beaucoup la mythologie et ses symboles ; en y ajoutant comme actrice principale Paulette Goddard, la curiosité a été la plus forte et, quelque temps plus tard, me voilà à écrire une critique sur ce film…


S’il y a bien une chose que j’ai aimée dans ce film, c’est son histoire et toute la symbolique qu’il y a derrière. Car Kitty, bien qu’inspirée par d’autres œuvres ultérieures, est avant tout l’adaptation du mythe de Pygmalion, et sa transposition dans le Londres du XVIIIème siècle.
Dans la mythologie grecque, Pygmalion est un sculpteur qui, ayant réalisé une statue d’ivoire à l’apparence féminine, va tomber amoureux d’elle ; les dieux, touchés par son amour, lui donnent vie, et la statue se change en femme : elle s’appellera Galatée, et épousera Pygmalion.
Dans notre cas, c’est le peintre Gainsborough, en peignant le portrait de Kitty (Paulette Goddard), une sauvageonne des bas quartiers de Londres, qui se pose en premier Pygmalion. Car c’est son tableau qui va fasciner les aristocrates anglais présents à une exposition de peinture et déclencher l’intrigue. Mais le vrai maître d’œuvre, le vrai Pygmalion, c’est Sir Hugh Marcy (Ray Milland). Il est le seul, mis à part le peintre, à savoir que Kitty n’est qu’une « fille des bas-fonds », et, l’ayant sauvée de la misère, il va l’utiliser à son avantage : la faisant passer pour une vraie lady, il espère la faire épouser un Grand du pays pour favoriser son propre avancement.

Le film, en se servant du mythe de Pygmalion, remet en cause le monde de l’apparence et des privilèges. Il montre qu'aux yeux des hommes c’est l’apparence qui fait une lady, et que n’importe qui peut devenir une dame, pour peu qu’elle soit jolie, bien habillée et sache parler convenablement. C’est le peintre qui le dit lui-même à Kitty au début du film : « tant que tu ne parles pas, tu es une lady comme les autres ». Kitty a la beauté et, bientôt, les robes d’une lady. Reste le langage et l’attitude, ce qui, bien que difficile, n’est pas impossible avec un peu d’abnégation. Cela donne d’ailleurs lieu à beaucoup de scènes très drôles dans le film, Ray Milland s’évertuant à enseigner les bonnes manières à une Paulette Goddard au fort accent « cockney » des bas quartiers londoniens… Tout y passe, de la manière de servir le thé (« Milk and sugar, Lady Susan ? ») aux différentes façons d’exprimer ses émotions à travers un simple éventail…
Symboliquement, le film montre donc que le monde des apparences n’est finalement que factice, un mensonge qui masque la réalité. La noblesse bien née n’est pas au dessus des autres hommes, et elle n'est pas dévoilée sous un grand jour, les vieux aristocrates se présentant pour courtiser Kitty étant tout sauf désirables…
Quant à Kitty, a-t-elle été réellement transformée ? Il est difficile de connaître le message que le film veut faire passer sur ce sujet, les deux interprétations étant possibles : d’une part, elle reste malgré tout une ancienne « miséreuse », son passé peut toujours refaire surface, et son accent populaire peut réapparaître si elle le désire. La Kitty « duchesse » ne serait donc qu’un masque… Mais d’autre part, Kitty est réellement devenue une lady, et c’est une vie de lady qu’elle finit par mener jusqu’à la fin du film. Elle est donc double, à la fois sauvageonne et duchesse. C’est cependant son côté lady qui prend le dessus, grâce à l’éducation que Sir Hugh lui a donnée. On peut ainsi y voir un message comme quoi la seule chose qui sépare « rustres » et gens biens nés, c’est une (bonne) éducation.

La relation entre les deux personnages principaux est d’ailleurs très intéressante sur un point : pour Hugh Marcy, Kitty n’est que sa création, et malgré sa transformation, il la voit comme ce qu’elle était – une fille de bas étage – et pas comme ce qu’elle est devenue : une lady. Alors que Kitty, elle, se sent redevable à Sir Hugh, pour qui elle éprouve rapidement des sentiments : elle va accéder à ses désirs et lui apporter toute l’aide qu’elle peut lui donner, se « sacrifiant » pour lui, mais elle ne souhaite pour elle-même qu’une seule véritable chose, et ce n’est pas épouser un autre homme...
Plus encore, ce qui fait réfléchir dans ce film et lui donne tout son intérêt, c’est le renversement du rapport créateur / créature. Je m’explique : Kitty / Galatée est la création de Pygmalion / Hugh Marcy. Mais c’est Kitty qui va donner à Hugh la position sociale élevée qu’il convoitait. Lui l’a fait elle, elle l’a fait lui… Soit dit joliment : « you made me what I am, but I made you what you are, and that makes us even !  ». Franchement, rien que pour avoir pensé à ça, il faut voir ce film…

Du côté des acteurs, c’est Paulette Goddard qui tire la couverture à elle dans cette œuvre. Dans un rôle où il est quand même difficile d’être crédible, elle remplit parfaitement sa mission avec sa petite touche comique « goddarienne » habituelle, alternant remarquablement entre l’accent populaire londonien – qu’elle a forcément dû travailler énormément… – et l’attitude d’une lady distinguée. Soit dit en passant, elle prouve une fois encore qu’elle aurait fait une très bonne et impertinente Scarlett dans Autant en emporte le vent, mais Vivien Leigh est passée par là !…
Quant à Ray Milland, sans être extraordinaire, il campe quand même plutôt bien le lord désargenté et sans scrupules qu’est son personnage. On a un peu de mal à s’attacher à lui cependant : ce n’est pas illogique, son personnage étant assez cynique, mais il paraît souvent beaucoup trop détaché, ce qui rend l’amour de Kitty pour lui un peu moins vraisemblable.

Concernant la réalisation et la mise en scène, on a affaire à des décors du XVIIIème siècle et des costumes assez réalistes (même si ça fait très « studio » à certaines moments) et qui servent bien l’intérêt du film et ce qu’il veut montrer : les vêtements d’abord (trop) crasseux de Paulette Goddard puis ses belles robes (encore qu’assez encombrantes, je dois dire !) illustrent bien l’évolution de son statut, et l’extravagance des parures aristocratiques démontrent que l’on est dans un monde de superficialité où tout n’est qu’apparence.


Conclusion

Sans être le meilleur film dans lequel ait joué Paulette Goddard – les films de Chaplin, Les temps modernes et Le Dictateur, étant au-dessus –, Kitty reste l’une de ses plus grandes performances individuelles, si ce n’est la meilleure. La réussite et la crédibilité du film reposaient en grande partie sur elle, et elle a, je pense, relevé le défi avec succès. L’autre grand intérêt du film était son scénario et cette transposition du mythe de Pygmalion : cela donne au final une histoire très intéressante, avec quelques répliques très bien trouvées et chargées de symboles. Un apport important du film est ainsi l’inversion des rôles, le Pygmalion tout puissant se retrouvant dominé par sa Galatée devenue duchesse : oh oui, « he is so far beneath her… » !


NOTE : 7,5/10


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