Réalisation : Mitchell
Leisen
Scénario : Karl Tunberg et
Darrell Ware, d'après le roman de Rosamond Marshall
Producteurs : Mitchell
Leisen, Karl Tunberg et Darrell Ware
Société de production :
Paramount Pictures
Musique : Victor Young
Genre : Drame
Durée : 103 minutes
Date de sortie : 25 janvier
1946
Casting :
Paulette Goddard : Kitty
Ray Milland : Sir Hugh Marcy
Cecil Kellaway : Thomas Gainsborough
Patric Knowles : Brett
Reginald Owen : Duc de Malmunster
Constance Collier : Lady Susan Dowitt
L’HISTOIRE
Dans le Londres du XVIIIème
siècle, une jeune femme des rues, Kitty, se retrouve, par un concours de
circonstances, à poser comme modèle pour le peintre Gainsborough. Son portrait
anonyme attire l’attention de la haute société, et Sir Hugh Marcy, qui a
découvert sa véritable identité, y voit l’opportunité d’utiliser Kitty pour son
propre profit, en la faisant passer pour une vraie lady.
L’AVIS DE FU MANCHU
Kitty ou La Duchesse des bas-fonds est un
film assez rare et difficile à trouver, et je n’ai vu que peu de critiques sur
ce film. Pourtant j’ai tout de suite été attiré par l’histoire de base, que je
trouvais très inspirante, moi qui aime beaucoup la mythologie et ses
symboles ; en y ajoutant comme actrice principale Paulette Goddard, la
curiosité a été la plus forte et, quelque temps plus tard, me voilà à écrire
une critique sur ce film…
S’il y a bien une chose que j’ai aimée dans ce film, c’est son
histoire et toute la symbolique qu’il y a derrière. Car Kitty, bien qu’inspirée par d’autres œuvres ultérieures, est
avant tout l’adaptation du mythe de
Pygmalion, et sa transposition dans le Londres du XVIIIème siècle.
Dans la mythologie grecque, Pygmalion est un sculpteur qui, ayant
réalisé une statue d’ivoire à l’apparence féminine, va tomber amoureux
d’elle ; les dieux, touchés par son amour, lui donnent vie, et la statue
se change en femme : elle s’appellera Galatée, et épousera Pygmalion.
Dans notre cas, c’est le peintre Gainsborough, en peignant le portrait
de Kitty (Paulette Goddard), une
sauvageonne des bas quartiers de Londres, qui se pose en premier Pygmalion. Car
c’est son tableau qui va fasciner les aristocrates anglais présents à une
exposition de peinture et déclencher l’intrigue. Mais le vrai maître d’œuvre,
le vrai Pygmalion, c’est Sir Hugh Marcy (Ray
Milland). Il est le seul, mis à part le peintre, à savoir que Kitty n’est
qu’une « fille des bas-fonds », et, l’ayant sauvée de la misère, il
va l’utiliser à son avantage : la faisant passer pour une vraie lady, il espère la faire épouser un Grand du pays pour favoriser son propre
avancement.
Le film, en se servant du mythe de Pygmalion, remet en cause le monde de l’apparence et des privilèges.
Il montre qu'aux yeux des hommes c’est l’apparence qui fait une lady, et
que n’importe qui peut devenir une dame, pour peu qu’elle soit jolie, bien
habillée et sache parler convenablement. C’est le peintre qui le dit lui-même à Kitty au début
du film : « tant que tu ne
parles pas, tu es une lady comme les autres ». Kitty a la beauté et,
bientôt, les robes d’une lady. Reste le langage et l’attitude, ce qui, bien que
difficile, n’est pas impossible avec un peu d’abnégation. Cela donne d’ailleurs
lieu à beaucoup de scènes très drôles dans le film, Ray Milland s’évertuant à
enseigner les bonnes manières à une Paulette Goddard au fort accent « cockney »
des bas quartiers londoniens… Tout y passe, de la manière de servir le thé (« Milk and sugar, Lady Susan ? »)
aux différentes façons d’exprimer ses émotions à travers un simple éventail…
Symboliquement, le film montre donc que le monde des apparences n’est
finalement que factice, un mensonge qui masque la réalité. La noblesse bien née
n’est pas au dessus des autres hommes, et elle n'est pas dévoilée sous un grand jour, les vieux aristocrates se
présentant pour courtiser Kitty étant tout sauf désirables…
Quant à Kitty, a-t-elle été réellement transformée ? Il est difficile de connaître le message que le
film veut faire passer sur ce sujet, les deux interprétations étant
possibles : d’une part, elle reste malgré tout une ancienne
« miséreuse », son passé peut toujours refaire surface, et son accent
populaire peut réapparaître si elle le désire. La Kitty « duchesse »
ne serait donc qu’un masque… Mais d’autre part, Kitty est réellement devenue
une lady, et c’est une vie de lady qu’elle finit par mener jusqu’à la fin du
film. Elle est donc double, à la fois sauvageonne et duchesse. C’est cependant son
côté lady qui prend le dessus, grâce
à l’éducation que Sir Hugh lui a donnée. On peut ainsi y voir un message comme
quoi la seule chose qui sépare « rustres » et gens biens nés, c’est
une (bonne) éducation.
La relation entre les deux
personnages principaux est d’ailleurs très intéressante sur un point :
pour Hugh Marcy, Kitty n’est que sa création, et malgré sa transformation, il
la voit comme ce qu’elle était – une fille de bas étage – et pas comme ce
qu’elle est devenue : une lady. Alors que Kitty, elle, se sent redevable à
Sir Hugh, pour qui elle éprouve rapidement des sentiments : elle va
accéder à ses désirs et lui apporter toute l’aide qu’elle peut lui donner, se
« sacrifiant » pour lui, mais elle ne souhaite pour elle-même qu’une seule
véritable chose, et ce n’est pas épouser un autre homme...
Plus encore, ce qui fait réfléchir dans ce film et lui donne tout son
intérêt, c’est le renversement du
rapport créateur / créature. Je m’explique : Kitty / Galatée est la
création de Pygmalion / Hugh Marcy. Mais c’est Kitty qui va donner à Hugh la
position sociale élevée qu’il convoitait. Lui l’a fait elle, elle l’a fait lui…
Soit dit joliment : « you made
me what I am, but I made you what you are, and that makes us even ! ».
Franchement, rien que pour avoir pensé à ça, il faut voir ce film…
Quant à Ray Milland, sans
être extraordinaire, il campe quand même plutôt bien le lord désargenté et sans
scrupules qu’est son personnage. On a un peu de mal à s’attacher à lui
cependant : ce n’est pas illogique, son personnage étant assez cynique,
mais il paraît souvent beaucoup trop détaché, ce qui rend l’amour de Kitty pour
lui un peu moins vraisemblable.
Concernant la réalisation et la
mise en scène, on a affaire à des décors du XVIIIème siècle et des costumes
assez réalistes (même si ça fait très « studio » à certaines moments)
et qui servent bien l’intérêt du film et ce qu’il veut montrer : les
vêtements d’abord (trop) crasseux de Paulette Goddard puis ses belles robes
(encore qu’assez encombrantes, je dois dire !) illustrent bien l’évolution
de son statut, et l’extravagance des parures aristocratiques démontrent que
l’on est dans un monde de superficialité où tout n’est qu’apparence.
Conclusion
Sans être le meilleur film dans lequel ait joué Paulette Goddard – les
films de Chaplin, Les temps modernes
et Le Dictateur, étant au-dessus
–, Kitty reste l’une de ses plus
grandes performances individuelles, si ce n’est la meilleure. La réussite et la
crédibilité du film reposaient en grande partie sur elle, et elle a, je pense,
relevé le défi avec succès. L’autre grand intérêt du film était son scénario et
cette transposition du mythe de Pygmalion : cela donne au final une
histoire très intéressante, avec quelques répliques très bien trouvées et
chargées de symboles. Un apport important du film est ainsi l’inversion des
rôles, le Pygmalion tout puissant se retrouvant dominé par sa Galatée devenue
duchesse : oh oui, « he is so
far beneath her… » !
NOTE : 7,5/10
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