lundi 4 août 2014

THE LADY EVE – Un cœur pris au piège




Réalisation : Preston Sturges
Scénario : Preston Sturges
Société de production : Paramount Pictures
Genre : Screwball comedy
Durée : 94 min
Date de sortie : 25 février 1941 (USA)
Casting :
Barbara Stanwyck : Jean Harrington / Lady Eve Sidwich
Henry Fonda : Charles Pike, alias Hopsie
Charles Coburn : "Colonel" Harrington
Eugene Pallette : Horace Pike
William Demarest : Ambrose Murgatroyd, alias Muggsy
Eric Blore : Sir Alfred McGlennan Keith
Melville Cooper : Gerald




L’HISTOIRE

Sur un navire de retour d’Amérique du Sud, Jean Harrington, une aventurière, jette son dévolu sur le riche et naïf Charles Pike, fils d’un roi de la bière. Mais alors qu’elle et son père prévoyaient de le dépouiller, c’est le coup de foudre et le début d’une idylle, qui vole en éclats lorsque Charles apprend que les Harrington sont des escrocs notoires. Le cœur brisé, Jean revient vers lui sous le pseudonyme de Lady Eve Sidwich, l’esprit revanchard…


L’AVIS DU GENERAL YEN

Voilà un film qui ne laisse pas indifférent, et l’écriture de cet article m’a donné des maux de tête tellement The Lady Eve s'est révélé complexe à décortiquer.

Ce film est une « screwball comedy », genre qui, comme le très honorable Fu Manchu l’a expliqué pour Vivacious Lady, fait la part belle aux situations loufoques et se rapproche par moments de la farce. Une screwball est basée sur le non-sens : l’intrigue et/ou les personnages sortent des repères connus et surprennent le spectateur par leur décalage avec la réalité, ce qui déclenche en principe le rire. Tout, du scénario au jeu des acteurs, doit être en symbiose pour que le spectateur entre dans le « délire » du film et accepte la règle du jeu proposée.

Concernant The Lady Eve et après des discussions animées, Fu Manchu et moi-même sommes tombés d'accord sur... notre désaccord. Eh bien oui, j'ai pour ma part totalement adhéré au non-sens du film, rendu absolument jouissif par une intrigue un peu folle et des personnages hauts en couleur.



Les deux visages de Barbara Stanwyck 

Le pari du film est gagnant, et ce d'abord grâce à un scénario original et intelligent : j’adore cette idée de dédoubler le personnage principal (Jean Harrington / Lady Eve), ce qui non seulement divise le film en deux parties bien distinctes, mais permet surtout à Barbara Stanwyck de jouer deux femmes aux profils diamétralement opposés.

La première partie du film met en scène Jean Harrington, une aventurière qui escroque les hommes fortunés, et qui forme avec son père, le « colonel » Harrington et leur domestique Gerald, un trio a priori peu recommandable. Dans la seconde partie, en revanche, Jean se métamorphose en aristocrate britannique et présente une apparence bien respectable sous les traits de la très distinguée Lady Eve Sidwich. Dans les deux cas, son but est de séduire Charles pour se jouer de lui. Mais alors que Jean Harrington, une femme de mauvaise réputation, est fondamentalement une bonne personne, Lady Eve, qui est au contraire une femme de bonne réputation, est une mauvaise personne.

C’est là tout l’intérêt du scénario du film, qui utilise ces deux personnages opposés dans un but précis : pasticher les rapports homme/femme, et en particulier la relation de confiance entre les deux sexes. Charles n’ayant pas eu confiance en Jean, celle-ci, se sentant trahie, se déguise en Lady Eve pour abuser de la confiance du pauvre homme et lui rendre en quelque sorte la pareille. 


Henry Fonda chute deux fois

L’inversion des profils des deux personnages répond donc au parallélisme des deux parties du film, qui se déroulent sur un schéma semblable : la chute de l’Homme à cause de la Femme. Et c’est là que je crie au génie : au lieu de se cantonner à la traditionnelle « guerre des sexes », le réalisateur Preston Sturges a ajouté une couche à son film qui lui permet de sortir des sentiers battus : il en a fait une parodie du mythe d’Adam et Eve.

Annoncée dès le générique (une séquence animée dans laquelle un serpent se dandine entre les lettres du titre), elle est omniprésente et souvent un support du rire. Charles Pike est ainsi un amateur de serpents, alors que Jean en éprouve une sainte horreur. Tel Adam, Charles chute beaucoup dans le film : non seulement métaphoriquement (il perd ses illusions), mais aussi… littéralement ! Sturges s’amuse comme un gosse en combinant premier et second degré : à un élément comique loufoque répond une étude plus fine des caractères. C’est ce qui fait de The Lady Eve un film assez peu évident à cerner du premier abord, ce qui est son principal défaut. J’ai dû le voir deux fois pour réaliser cette critique (toujours un plaisir cela dit). Il fait d’ailleurs partie de ces films que l’on apprécie davantage à mesure qu’on les voit, car un élément qui nous avait échappé la première fois va nous sauter aux yeux la seconde.

Côté distribution, Barbara Stanwyck domine le film, et c’est une habitude chez elle. Elle excelle à incarner l’aventurière Jean, séductrice au grand cœur, et se révèle délicieusement impitoyable sous les traits de Lady Eve, dont la classe n’a d’égale que le cynisme. Son imitation de l’accent anglais, drôle car caricaturale, amplifie le potentiel comique de ses répliques pleines de sous-entendus. Henry Fonda pâtit de la réserve et de la candeur de son personnage. Plus effacé que sa partenaire, il campe le personnage le plus difficile à jouer et à apprécier, car d’une naïveté extrême. Il s’en sort grâce à une grande constance dans l’interprétation de son personnage (ce qui rend son attitude cohérente), et à une capacité étonnante à se rendre adorable chaque fois qu’il pose le regard sur Barbara (ce qui le rend drôle). Mentions spéciales à Charles Coburn en père peu scrupuleux et à William Demarest en « ange-gardien » de Fonda : le premier a une véritable alchimie avec Stanwyck, et le second est indéniablement comique dans ses tentatives pour démasquer Lady Eve. 


Conclusion

Oui, The Lady Eve n’est pas parfait. Il est peu évident d’en cerner toutes les qualités, plus nombreuses qu’il n’y parait au premier coup d’œil, et c’est bien dommage : un film est fait pour être compris par le public auquel il est destiné. Sans cela, comment peut-il pleinement l’apprécier ? Mais The Lady Eve est si riche, si évocateur et drôle – quoiqu’il ne soit pas la screwball la plus hilarante – qu’il a été immédiatement un coup de cœur. C’est aussi par ce film que j’ai découvert la géniale Barbara Stanwyck : oui, décidément, The Lady Eve a bien une place à part.


NOTE : 9/10



2 commentaires:

  1. Ah, ce fameux article sur The Lady Eve est enfin arrivé ! Il est clair que j'ai un problème avec ce film mon cher Général, mais vu les différentes reviews sur le net, c'est moi qui me sent seul !
    En fait, je n'ai rien à reprocher à la première partie, que j'ai trouvée très bonne, et Barbara Stanwyck excellente, tout en sensualité, avec un personnage très intéressant que l'on sent écartelé entre sa "nature" et ses sentiments...
    Autant dire que j'ai pour ma part été déçu par la seconde partie : je pense que je m'attendais à autre chose, et le scénario n'a pas été ce que j'espérais... Souvent, j'aime bien être surpris, mais ça n'a pas été le cas ici. C'est toujours le problème inhérent aux screwball comedies : à force d'aller dans l'absurde il y a un risque que ça "parte en vrille"... Parfois c'est génial et ça garde une cohérence d'ensemble (ex : The Awful Truth), et parfois... Alors OK, c'est le principe, mais j'ai du mal à l'accepter pour le coup, j'ai eu un gros problème avec la cohérence des actions du personnage de Barbara... Je ne veux pas trop en révéler, mais c'est un peu n'importe quoi à la fin ;)
    Là où je suis d'accord, c'est que c'est sûrement mieux quand on le voit une deuxième fois : on sait ce qu'il va se passer et on ne va être déçu par l'intrigue, ce qui permet de se concentrer sur des détails plus subtils disséminés dans l'oeuvre (les références à la Chute et tout le reste).
    Mais bon, je considère pour ma part que le comportement des personnages, même dans une screwball, doit être un minimum logique, et c'est pour ça que je vais moins apprécier celles qui "partent trop en vrille", si je puis dire...

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  2. Concernant ce film, j'ai vraiment l'impression que tu rates quelque chose. Mais c'est vrai qu'à être trop complexe, un film perd de son efficacité...

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