samedi 25 octobre 2014

THE GHOST AND MRS. MUIR – L’aventure de Mme Muir


Réalisation : Joseph L. Mankiewicz
Société de production : 20th Century Fox
Musique : Bernard Herrmann
Durée : 104 min
Date de sortie : 26 juin 1947 (USA)
Casting :
Gene Tierney : Lucy Muir
Rex Harrison : Daniel Gregg
George Sanders : Miles Fairley
Edna Best : Martha Huggins
Vanessa Brown : Anna Muir (adulte)
Natalie Wood : Anna Muir (enfant)



L’HISTOIRE

Dans l’Angleterre du début du XXème siècle, une jeune veuve, Lucy Muir, décide de s’affranchir de sa belle-famille et part s’installer avec sa fille et sa servante dans un cottage du bord de mer. Mais la demeure est hantée par le fantôme de son ancien propriétaire, le capitaine de marine Daniel Gregg, que va devoir apprivoiser la nouvelle occupante des lieux…




L’AVIS DE GENERAL YEN

Tout à la fois comédie dramatique, poème romantique et conte fantastique, The Ghost and Mrs. Muir (« L’aventure de Madame Muir ») narre la relation entre Lucy Muir, une jeune femme naïve mais cultivée, et le fantôme qui hante sa nouvelle maison, le capitaine Gregg. Les personnages doivent apprendre à cohabiter, à se connaître, à surmonter leurs réticences. Progressivement se noue un dialogue entre deux mondes, le vivant et la mort, l’avenir et le souvenir. Au passé transmis par le marin répond la fraîcheur pleine de vie de la jeune veuve, qui permet au fantôme de sortir de son isolement et de s’ouvrir à l’instant présent.

Jeune femme de bonne éducation, Lucy est le personnage féminin romanesque par excellence, qui aurait toute sa place dans une romance gothique du XIXème siècle. 

Bien que veuve, elle a encore beaucoup à apprendre sur elle-même et les hommes, et telle une Education sentimentale, le film est le récit de son apprentissage. 


"You are the most obstinate young woman I have ever met"

Par contraste, Gregg est un loup de mer expérimenté, bourru, quoique non dépourvu de classe – un capitaine Haddock élevé dans l’Angleterre de Jane Austen.




Lucy Muir est interprétée par Gene Tierney, dans le rôle où je la préfère, quoique l’Helen Harland de Leave Her to Heaven soit certainement sa meilleure partition. Sa beauté froide et élégante sied à merveille à ce personnage rêveur, à la passion forte mais contenue, qui s’exprime pourtant, comme toujours avec Gene, dans l’éclat de ses yeux. L’actrice fait de « Lucia », comme l’appelle le capitaine, une femme gracieuse, spontanée et volontaire.


Quant à Rex Harrison, il est impressionnant de charisme dans son interprétation du fantôme du capitaine, lui donnant à la foi force et caractère, qui reflètent son tempérament de marin grincheux, mais aussi sagesse, mélancolie et tendresse, comme dans cette scène où il approche lentement son visage d’une Gene Tierney endormie.


"Whether you meet fair winds or foul, find your own way to harbor in the end"

Véritable ode au rêve, à la mer et aux marins, The Ghost and Mrs. Muir est un film empreint de poésie, sublimé par la musique aux accents romantiques de Bernard Herrmann, un film où le temps qui passe est symbolisé par des vagues houleuses qui déferlent sur la plage, érodant peu à peu les vestiges du passé.


J’ai tout particulièrement aimé la beauté des décors, le noir et blanc accentuant ici l’esprit tourmenté des personnages, ou là leurs sentiments à peine prononcés. La vue depuis la fenêtre de la chambre de Lucy est magnifique, entre les vagues que l’on aperçoit roulant à l’horizon et la longue vue trônant sur son perchoir, comme si la demeure, et avec elle nos héros, dérivait tel un navire en mer.


Conclusion

Un de mes films favoris, avec une de mes actrices favorites, The Ghost and Mrs. Muir me plait pour la délicatesse et la profondeur des relations entre ses personnages, son ambiance de rêverie romantique, et la poésie qui en émane à flots.


NOTE : 9,5/10



dimanche 12 octobre 2014

HIS GIRL FRIDAY - La dame du vendredi




Réalisation : Howard Hawks
Société de production : Columbia Pictures
Genre : Screwball comedy
Durée : 92 min
Date de sortie : 11 janvier 1940 (USA)
Casting :
Cary Grant : Walter Burns
Rosalind Russell : Hildegard “Hildy” Johnson
Ralph Bellamy : Bruce Baldwin
Gene Lockhart : Shérif Peter B. Hartwell
John Qualen : Earl Williams


L’HISTOIRE

Lorsque Hildy Johnson, sa meilleure journaliste et ex-épouse, décide de démissionner et de se remarier, Walter Burns, le rédacteur en chef sans scrupules du Morning Post, met tout en œuvre pour l’en dissuader.


L’AVIS DE GENERAL YEN

Déjà mentionné à plusieurs reprises dans ce blog, His Girl Friday est le second « Grand Schisme » entre moi-même et mon compère Fu Manchu après The Lady Eve. S’il n’a pas accroché au film, je considère pour ma part cette screwball comedy comme un modèle du genre.

Plus que toute autre screwball, His Girl Friday possède le pouvoir de faire rire par sa marque de fabrique, des dialogues savoureux au rythme fou. Le réalisateur Howard Hawks voulant retranscrire dans le cinéma parlant la vivacité comique du muet, le débit de parole est extrêmement rapide : les acteurs se répondent du tac au tac dans un tourbillon de répliques acerbes et malicieuses, donnant au film un comique de mots d’une efficacité inégalable.




His Girl Friday a pour lui de réunir deux des meilleurs comédiens du cinéma classique américain : Cary Grant et Rosalind Russell.

Rosalind Russell joue Hildy Johnson, le personnage éponyme du film. La « Girl Friday », c’est elle : l’expression désigne en anglais l’assistant doué et utile du protagoniste, d’après « Man Friday », alias Vendredi, le compagnon de Robinson Crusoë. Hildy est la meilleure journaliste du Morning Post, elle a fait les quatre cents coups avec Walter Burns et lui est indispensable. Mais plus qu’une assistante, Russell campe une femme forte, qui a choisi de changer de vie en épousant un homme doux et humble, à l’opposé de son ex-mari.

“I wouldn't cover the burning of Rome for you if they were just lighting it up!”

C’est donc une femme désirée de tous côtés que l’on voit évoluer à l’écran, et qui tente de résister à sa « pulsion journalistique » face aux menées du personnage de Cary Grant. « Roz » Russell est irrésistible dans ce rôle par ses mines comiques et son ton caustique. Une révélation.

Incarnation la plus réussie du journaliste sans scrupules, Walter Burns, interprété par Cary Grant, est un mélange de roublardise et de pugnacité. C’est un homme sûr de lui, prêt à tout pour arriver à ses fins tant dans sa vie professionnelle que personnelle, les deux se confondant dans le personnage de Russell. Grant, roi de la screwball, réussit l’exploit de rendre attachant et drôle un personnage cynique et manipulateur.

“Walter, you're wonderful, in a loathsome sort of way.”

Le film entier est une satire du journalisme, un monde où toutes les énergies sont dirigées vers l’obtention du Graal suprême : le scoop ; un univers sans foi ni loi où la fin justifie toujours les moyens. C’est pourquoi His Girl Friday flirte souvent avec l’humour noir, un outil de dénonciation puissant.

“A journalist? Hell, what does that mean? Peeking through keyholes?”

L’absurde et le burlesque se côtoient sans cesse scène après scène, tandis que l’on part à la chasse aux informations avec nos deux héros, avides de recueillir le témoignage d’un condamné à mort. La force de ce film est de ne pas se prendre au sérieux : l’odieux est tourné en ridicule, ce qui permet à la fois le rire et la critique. Que dire ainsi de cette meute de reporters se jetant sur leurs téléphones, invectivant leurs interlocuteurs à travers le combiné et enjolivant une même nouvelle chacun à sa manière !

Conclusion

Brillant par ses dialogues et son rythme innovant, solide sur le fond car parodique et critique, His Girl Friday est une screwball comme je les aime, alliant toutes les formes de comiques possibles, ce qui fait sa force. Certes, la satire est noire et osée, mais le film fait mouche. Indéniablement, il sort du lot.


NOTE : 8,5/10



dimanche 5 octobre 2014

REBECCA


Réalisation : Alfred Hitchcock
Société de production : Selznick International Pictures
Scénario : d'après le roman de Daphne du Maurier
Musique : Franz Waxman
Durée : 130 min
Date de sortie : 12 avril 1940 (USA)
Casting :
Joan Fontaine : la seconde Mrs. de Winter
Laurence Olivier : Maxim de Winter
Judith Anderson : Mrs. Danvers
George Sanders : Jack Favell




L’HISTOIRE

A Monte-Carlo, la demoiselle de compagnie de Mrs Van Hopper rencontre le séduisant Maxim de Winter, un aristocrate anglais veuf depuis peu. Il l’épouse et l’emmène vivre avec lui en Angleterre, dans sa propriété de Manderley. Mais la nouvelle Mrs de Winter est confrontée à l’hostilité des occupants du manoir, et en particulier à celle de la gouvernante, Mrs Danvers, qui semble vouer une vénération sans bornes à l’épouse décédée du châtelain, Rebecca…


L’AVIS DE GENERAL YEN

Le premier film d’Alfred Hitchcock abordé dans ce blog est aussi le premier film « américain » du réalisateur britannique. Si Rebecca n’est pas le plus connu de ses long-métrages, c’est pourtant le seul à s’être vu décerné l’Oscar du meilleur film, et très certainement l’un de mes préférés d’Hitchcock.

L’intrigue de Rebecca suit une trame que j’apprécie, et que j’ai retrouvée dans d’autres de mes films favoris, comme Gaslight (avec Ingrid Bergman) : une jeune femme innocente et naïve emménage avec son nouveau mari dans une demeure hostile où elle se sent vite comme une intruse, une étrangère.

Manderley

Car oui, on ne peut analyser Rebecca sans mentionner Manderley, un château à la Jane Austen au charme romantique, mais qui dès l’abord ne rassure pas par ses dimensions. On est ainsi frappé par cette lumière blanche qui entre à flots par les larges fenêtres au-dessus de l’escalier d’honneur. De chaque recoin de cette propriété, toujours baignant dans l’ombre, on croit sentir la présence de la défunte Rebecca, ou celle plus réelle et non moins effrayante de la gouvernante, Mrs Danvers. La propriété de Manderley est un personnage à part entière du film, un organisme vivant qui a conservé l’âme même de la châtelaine. A ce titre, la scène où Mrs de Winter découvre, à la fois émerveillée et craintive, les appartements de sa « rivale », est grandiose et sublime. La jeune femme est comme écrasée par le gigantisme et la beauté surannée de la chambre. Cette seule scène symbolise l’aliénation du personnage : comment s’approprier les lieux face à une telle concurrente, dont le portrait trône encore sur les murs ?

Les personnages

Joan Fontaine trouve en Mrs de Winter l'un de ses plus beaux rôles, sinon le meilleur. C’est une actrice que j’apprécie, mais je lui reproche son manque de charisme et de présence à l’écran. Or dans Rebecca, elle tourne ce point faible à son avantage, en incarnant de manière très convaincante et sans excès (pas comme Gene Tierney dans Dragonwyck, par exemple…) cette femme qui ignore tout de la vie maritale, lancée sans filet dans un monde qu’elle ne connait pas, et qui tente avec courage d’endosser les habits trop imposants pour elle de l’ancienne maîtresse des lieux. C’est en fait une héroïne lambda, une jeune femme timide en qui beaucoup peuvent se reconnaître. Le spectateur découvre tout de son point de vue, elle subit l’intrigue et nous entraîne dans les péripéties avec elle. A noter que son prénom n’est jamais mentionné, comme pour mieux souligner que sa petite personne est noyée dans un univers qui la dépasse, par contraste avec Rebecca, un personnage si fascinant et singulier qu’il continue à dominer les esprits bien après sa mort.

Deux autres personnages viennent compléter ce tableau et cerner notre héroïne : la gouvernante et le mari.

Mrs Danvers (Judith Anderson) personnifie l’hostilité des lieux envers la nouvelle arrivante. C’est une femme froide, qui vénère Rebecca et lui a voué sa vie. Véritable gardienne de la mémoire de sa maîtresse, elle hante littéralement les couloirs de Manderley : il est difficile de ne pas percevoir derrière chacun de ses pas le souffle d’un éventuel fantôme vengeur…  

Laurence Olivier est Maxim de Winter, un homme ambivalent. S’il est un véritable prince charmant au début du film, sa personnalité change dès qu’il remet les pieds à Manderley. Il devient plus taciturne et s’absente longuement, laissant son épouse sans défense. L’acteur est particulièrement brillant dans ce rôle, puisque sans renier une classe toute britannique, il fait cohabiter la douceur et la rage, la bienveillance et le désespoir.


Points faibles

Par son scénario, Rebecca ne surprend guère. Les rebondissements sont bien menés, mais en 1940, Hitchcock n’est pas encore le maître du suspense des années 50. L’intrigue a cependant le mérite de permettre au réalisateur de créer une ambiance gothique et oppressante très réussie, ce qui m'intéresse bien plus que l'originalité du scénario. Il me manque malgré tout la « petite touche » en plus pour classer le film en tant que chef-d’œuvre.


NOTE : 8,5/10



vendredi 3 octobre 2014

NOTHING SACRED – La joyeuse suicidée


Réalisation : William A. Wellman
Scénario : Charles MacArthur, Ben Hecht, Ring Lardner Jr.
Société de production : Selznick International Pictures
Genre : Screwball comedy
Durée : 77 minutes
Date de sortie : 25 novembre 1937 (USA)
Casting :
Carole Lombard : Hazel Flagg
Fredric March : Wallace 'Wally' Cook
Charles Winninger : Dr. Enoch Downer
Walter Connolly : Oliver Stone


L’HISTOIRE

Wally Cook, un journaliste ambitieux, décide de revenir dans les bonnes grâces de son patron en couvrant l’histoire d’Hazel Flagg, une jeune femme de province diagnostiquée d’un empoisonnement mortel au radium, et d’en faire une héroïne nationale.


L’AVIS DE FU MANCHU

Après The Awful Truth, je continue sur ma lancée dans mes articles sur les screwball comedies, puisque je vais aborder aujourd’hui Nothing Sacred (La joyeuse suicidée, en VF), avec en vedettes Fredric March et, pour moi, la plus grande actrice comique des années 30, j’ai nommé Carole Lombard… Si elle reste peut-être plus connue pour son rôle dans My Man Godfrey avec William Powell, je l’ai préférée dans Nothing Sacred. Il faut dire que le technicolor aide à la mettre en valeur, et j’ai beaucoup aimé son duo avec Fredric March, déjà vu dans The Best Years of our Lives, et ici beaucoup plus jeune… et sans moustache !



Le film est très court – à peine 1h17 ! -, ce qui, grâce à un scénario bien maîtrisé, ne pose absolument aucun problème : les actions s’enchaînent très bien, sans temps mort, et sans que l’on ressente un manque dans l’intrigue. Celle-ci est d’ailleurs assez simple : un journaliste, Wally (Fredric March), vient d’être puni par son chef (joué par Walter Connolly) pour avoir monté toute une histoire qui s’est révélée être une supercherie. Relégué au bureau des nécrologies (c’est déjà assez fin comme trouvaille, puisque le voilà, en quelque sorte, « enterré »…), il est prêt à tout pour se racheter : recherchant une histoire sensationnelle, il convainc son patron de le laisser écrire sur Hazel Flagg (Carole Lombard), une jeune femme d’une petite ville perdue des Etats-Unis, qui, disent les journaux, vient d’être diagnostiquée d’un empoisonnement au radium, et est donc condamnée à mourir dans les prochains mois… Wally part donc chercher Hazel afin de la ramener à New York et d’en faire la coqueluche de la ville. Ce qu’il ne sait pas, c’est qu’Hazel est en fait en parfaite santé…

Avec un scénario pareil, il est assez facile de deviner que bon nombre de situations comiques vont s’offrir à nous : Hazel est enchantée de découvrir New York, contraste fort avec les regards tristes et émus que lui jettent les gens, qui la prennent pour une héroïne au courage exceptionnel… Les scènes et les répliques cultes abondent dans ce film, distillées presque comme si de rien n’était (« -You've lived here all your life ? / -Twice that long ! »), et même une phrase prononcée avec la plus parfaite innocence peut receler bien des sous-entendus, voire un regard critique sur notre société :


« You mean they’ll like me just because I’m dying ? »

Si le film est une vraie réussite, c’est enfin, d’abord et avant tout dû à la prestation de Carole Lombard, qui joue à merveille les jeunes femmes « fraîches et innocentes », mais un petit peu manipulatrices quand même… Je ne vois d’ailleurs pas d’actrice aussi belle (oui, il faut bien le dire…) qui soit en même temps capable de faire des mimiques aussi comiques – en fait elle arrive à être drôle tout en ayant la classe, et ça c’est quand même fort ! Son personnage, qui aurait pu être énervant joué par une autre actrice, est très charmant et attachant, et son alchimie avec Fredric March est frappante : ok, qui n’aurait pas d’alchimie avec Carole Lombard, mais cet acteur est excellent, et ce n’est pas la première fois… Dans un film au registre très comique, son personnage est un peu le « sérieux » de la bande (normal, puisqu’il pense que la femme dont il est en train de tomber amoureux va mourir), mais c’est sa manière de faire tout avec la plus grande concentration qui est très drôle,  qui nous le rend sympathique.



CONCLUSION

Nothing Sacred a donc été une vraie révélation pour moi puisque, non content de le classer parmi mes comédies préférées, il m’a permis de véritablement découvrir tout le talent de Carole Lombard (que j’avais déjà vue dans My Man Godfrey). Je savais qu’elle était très populaire parmi les cinéphiles, et qu’elle était considérée par beaucoup comme la « reine » de la screwball comedy : je dois dire que c’est après avoir vu Nothing Sacred que j’ai compris pourquoi…


NOTE : 9/10