Titre original : Black Narcissus
Titre français : Le Narcisse noir
Réalisation : Michael
Powell et Emeric Pressburger
Musique : Brian Easdale
Genre : Drame
Durée : 100 minutes
Date de sortie : 24 avril
1947 (Royaume-Uni)
Casting :
Deborah Kerr : Sœur Clodagh
David Farrar : Mr. Dean
Kathleen Byron : Sœur Ruth
Jean Simmons : Kanchi
Sabu : le
jeune général
Judith Furse
: Sœur Briony
Flora Robson
: Sœur Philippa
L’HISTOIRE
Cinq nonnes sont envoyées fonder
un couvent dans un ancien palais de l’Himalaya. Elles éprouvent cependant des
difficultés à s’adapter à cet endroit isolé, et le charme exotique du lieu
vient bientôt les troubler…
L’AVIS DE FU MANCHU
Réalisé par Michael Powell et Emeric Pressburger –
un an avant The Red Shoes,
objet d’un précédent article sur ce blog -, Black
Narcissus narre l’histoire de cinq nonnes appartenant à un couvent de
Calcutta, qui sont dépêchées au cœur de l’Himalaya à la demande d’un prince
indien pour y établir un dispensaire et une école. Bâti sur un éperon rocheux battu
par les vents à pic d’une vallée verdoyante, le palais qui leur est offert est
en réalité un ancien harem, et la jeune Mère Supérieure, Sœur Clodagh (Deborah
Kerr), aura fort à faire pour établir un couvent digne de ce nom. Elle sera aidée
dans sa tâche par l’atypique et sémillant Mr Dean, l’agent détaché auprès des
autorités locales par les Britanniques.
Toute la symbolique
de Black Narcissus repose sur l’opposition
constante entre le spirituel, le sacré d’une part, et l’animalité, le
passionnel d’autre part, qui sous diverses formes tentera de détourner les
sœurs de leur vocation.
Le spirituel est
avant tout représenté par les nonnes, dont l’habit blanc souligne la pureté et
dont seul le visage est apparent. Associé aux sœurs, le signe de la croix est
omniprésent : c’est ainsi que sont disposées les tables dans le réfectoire
du couvent, au début du film, et c’est également l’ombre d’une croix qui se
dessine sur le visage de Deborah Kerr, quand son personnage songe à son passé
perdu.
Le paysage immaculé des montagnes, quant à lui, laisse
augurer d’un endroit isolé et propice aux méditations. De même, le saint homme
vivant en ermite sur les terres du couvent semble ajouter foi à ce tableau
enchanteur.
Cependant, la réalité est tout autre, et ce décor
exotique est imprégné d’une ambiance
primitive, animale : le lieu, sauvage s’il en est, est battu par les vents,
qui produisent comme un murmure constant venant troubler les sœurs dans leur
plénitude. Le palais qui leur est offert est un ancien harem, un lieu de
plaisirs et de tentations, et décoré comme tel : les peintures murales
évoquent d’ailleurs l’érotisme qui va bientôt venir frapper à la porte du couvent.
Première intruse, Kanchi (Jean Simmons), la jeune
protégée de Dean, respire la sensualité et la provocation, et, sous ses
vêtements chatoyants et ses parures orientales, semble plus à sa place en ce
lieu que les nonnes elles-mêmes. Elle est bientôt rejointe par un autre indien,
le « jeune général » (Sabu), qui malgré son innocente volonté
d’étudier auprès des sœurs trouble les femmes qui l’entourent, et entame un jeu
de séduction avec Kanchi...
C’est d’ailleurs de lui que provient la
signification du titre du film : Black
Narcissus est le nom de son parfum aux senteurs entêtantes. Et c’est de ce
nom que l’antipathique Sœur Ruth va le surnommer lui-même : le « Narcisse noir », référence raciste
à sa couleur de peau et à son caractère, « futile », « tel un
paon »… Tel Narcisse dans la mythologie grecque.
Ce désir animal qui entoure constamment les sœurs
n’est même pas atténué par la présence d’un élément britannique : Mr Dean
respire la virilité et la bestialité dans ses tenus « polo –
bermuda », avec son teint buriné par le soleil et les poils saillants de
son torse nu.
Troublées par l’atmosphère si particulière du lieu,
les sœurs sont soumises plus qu’ailleurs à la tentation, et leurs penchants les plus humains vont s’en trouver
exacerbés. Ainsi la sœur jardinière, au lieu d’un potager, ne pourra s’empêcher
de créer un sublime jardin de fleurs exotiques. Ainsi Sœur Ruth, irritable et
passionnée, tombera follement amoureuse de Mr Dean, et follement jalouse de
Sœur Clodagh. Quant à celle-ci, dont la vocation est venue d’une déception
amoureuse, ce lieu fait resurgir des souvenirs longtemps enfouis dans sa
mémoire, et sa nostalgie la ronge de l’intérieur.
En réalité, toute
forme de spiritualité est comme corrompue
dans ces montagnes, et le saint homme semble le seul à avoir trouvé la
solution : vivre en ermite, se couper de l’environnement extérieur, faire
corps avec la nature et ne se préoccuper de rien d’autre. C’est précisément ce
qui va « perdre » les sœurs, dont les principes sont tout
autres : comme le répond Sœur Clodagh à Mr Dean avec un brin de
suffisance, la vocation de leur ordre est de travailler et de se consacrer au
monde extérieur. Ce qui fait leur force va donc, dans ce cas précis, constituer
une vraie faiblesse …
La réalisation
de Black Narcissus est à la
hauteur de son intrigue : Powell et Pressburger ont fait un travail
extraordinaire en ce qui concerne les décors – d’autant plus lorsque l’on sait
que le film a été intégralement tourné en studios. Le résultat, en version
restaurée qui plus est, est une splendeur visuelle. Tout est foisonnement de
couleurs : la jungle luxuriante, les vêtements chamarrés des autochtones, les
peintures murales éclatantes… Quant au jeu de lumières, il est maîtrisé à la
perfection, qu’il s’agisse de mettre en valeur le visage des nonnes dans la
pénombre ou de projeter une lumière rougeâtre et crépusculaire sur la dernière
partie, où la tension dramatique se fait de plus en plus sentir sur les
personnages.
La musique accompagne d’ailleurs remarquablement bien cette montée en puissance vers le climax du film, pour ne faire qu’un avec le jeu des acteurs lors de l’affrontement final entre Sœur Ruth et Sœur Clodagh. Le chant des chœurs se joint alors aux appels de cloche avant que ne résonnent les derniers grondements des tambours, entremêlant, une dernière fois, les symboles du sacré et de la puissance sauvage, indissociables du lieu.
Du côté des acteurs, Deborah
Kerr incarne tout en subtilité le personnage principal, Sœur Clodagh. Sa
froideur et son sérieux apparents lui permettent de rendre crédible sa fonction
de Mère Supérieure du petit couvent, et d’exercer aussi bien que possible son
autorité sur ses quatre collègues.
Elle se révèle pourtant profondément humaine, par petites touches : s’affichent alors sur son visage des regards désapprobateurs et agacés vers Mr Dean, une pointe d’arrogance et de fierté quand elle évoque son ordre religieux, ou un adorable sourire béat suivi d’un air contrit quand elle se surprend à rêvasser sur son passé… Ne disposant que de son visage, emprisonné dans une coiffe de nonne, pour exprimer les émotions et les évolutions de son personnage, Kerr réussit à interpréter un personnage au tempérament réservé tout en retenue, et à le rendre intéressant et touchant, jusqu’aux scènes de dénouement où elle peut laisser libre cours à ses émotions, sous l’effet de la montée en puissance dramatique de l’intrigue.
Elle se révèle pourtant profondément humaine, par petites touches : s’affichent alors sur son visage des regards désapprobateurs et agacés vers Mr Dean, une pointe d’arrogance et de fierté quand elle évoque son ordre religieux, ou un adorable sourire béat suivi d’un air contrit quand elle se surprend à rêvasser sur son passé… Ne disposant que de son visage, emprisonné dans une coiffe de nonne, pour exprimer les émotions et les évolutions de son personnage, Kerr réussit à interpréter un personnage au tempérament réservé tout en retenue, et à le rendre intéressant et touchant, jusqu’aux scènes de dénouement où elle peut laisser libre cours à ses émotions, sous l’effet de la montée en puissance dramatique de l’intrigue.
Face à elle, David Farrar est
Mr Dean, le principal protagoniste masculin. Tout Britannique qu’il soit, il
respire l’animalité et ne se soucie guère des convenances : habillé à la
va-vite, torse apparent et se promenant à dos d’âne, son esprit provocateur
envers les nonnes se double pourtant d’une bienveillance subtile qui le rend
attachant. Constituant le seul point de contact réel des nonnes avec la
« civilisation », il devient l’interlocuteur privilégié de Sœur
Clodagh, qui malgré ses réticences initiales voit en Dean la seule personne à
qui elle puisse confier ses doutes, et se soulager de ses responsabilités.
La performance la plus marquante du film va tout de même à Kathleen Byron, qui joue Sœur
Ruth : personnage énigmatique, suintant de colère sourde et de méchanceté,
Ruth est la sœur la plus fragile mentalement, celle qui avait déjà des doutes
sur sa vocation avant même d’être envoyée dans ce village perdu de l’Himalaya.
Aigrie, son mauvais caractère crée des tensions avec les autres
personnages : pleine de mépris pour le jeune général, elle se prend d’un
amour impossible pour Mr Dean et est atteinte d’une irrépressible jalousie à
l’égard de Sœur Clodagh, qu’elle ne voit que trop souvent avec le britannique.
Symbole de l’échec des nonnes, Ruth hante la dernière partie du film et décide
de la fin dramatique de celui-ci ; quant au souvenir de son visage blafard
aux yeux rougis et marqués par la haine, il est toujours vivace dans mon esprit…
Conclusion
Fresque splendide des paysages chatoyants de l’Inde himalayenne aux
images vives et colorées, Black
Narcissus est également remarquable pour la mise en place parfaite de
tous les éléments qui vont permettre une montée en puissance dramatique vers le
dénouement final. Le jeu des acteurs, la musique, la précision de la
réalisation s’imbriquent parfaitement l’un dans l’autre, pour faire de ce
film l’une des plus belles réussites de la collaboration entre Michael Powell
et Emeric Pressburger.
NOTE : 8,5/10
"Ah... Nostalgie, nostalgie..." "Eh, Deborah ! On est en pleine prière, là !!" |
Article précis et plaisant - à l'image de votre blog "bicéphale" - qui rend bien justice aux Archers (mentions spéciales à Jack Cardiff et Brian Easdale) ; Powell dirigea aussi un jeune Sabu dans Le Voleur de Bagdad ; Deborah Kerr, moins voilée, illumina une autre parabole sur la chair et l'esprit (cf. lien ci-après) ; pour l'anecdote, signalons un fan inattendu : Pascal Laugier, dont la confrérie sinistre de Martyrs revisite à sa façon ce couvent ; un dernier mot pour dire que ce titre dialogue en outre avec Shangri-La de Capra et le diptyque indien de Lang...
RépondreSupprimerhttp://lemiroirdesfantomes.blogspot.fr/2014/09/quo-vadis-le-corps-de-mon-ennemi.html?view=magazine
Merci pour le commentaire et pour le lien vers votre blog ! J'ai pu voir un grand nombre des films de Deborah Kerr ces derniers temps, et je projetais justement de revoir Quo Vadis... Voilà de quoi m'y inciter encore plus !
SupprimerMerci pour cet article qui restitue parfaitement ce que représente pour moi ce film - un chef-d'oeuvre ! Enfant, je fus complètement et durablement fascinée par Le Narcisse Noir... n'y comprenant pas grand chose mais pressentant qu'une fois adulte j'en saisirai toutes les nuances ... et en effet, des décenies plus tard et une fois vécues à peu près toutes les "étapes" qui forment un être, je ne peux que confirmermon admiration sans bornes pour ce jalon cinématographique qui transcende la simple oeuvre d'art. Merci
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