Il s'agit d'un article un peu spécial aujourd’hui, puisque nous allons parler non pas d’un film, mais de deux : deux versions de la même histoire, Waterloo Bridge, qui a donné un premier film en 1931, puis un remake en 1940, également intitulé Waterloo Bridge – distinct du premier par son titre francophone qui n’appartient qu’à lui : La Valse dans l’ombre.
Ayant vu et beaucoup apprécié les deux versions, faire un article
commun me permettra d’évoquer les deux films ensemble et d’établir des points de
comparaison plus facilement. L’intrigue, en effet, est globalement
semblable : un soldat tombe amoureux d’une jeune femme qui, elle-même sensible
à ses charmes, va s’efforcer de lui cacher qu’elle est en réalité une
prostituée.
Il va sans dire que tout, dans cette histoire est propice au bon
mélodrame : un amour impossible, une différence de classes sociales, une
jeune femme à la personnalité complexe et torturée… La façon de transposer cette
histoire en film va cependant prendre deux chemins assez différents, comme nous
allons le voir sans plus tarder.
***
Waterloo Bridge (1931)
Société de production :
Universal Pictures
Durée : 81 minutes
Date de sortie : 1er septembre
1931 (USA)
Casting :
Mae Clarke : Myra Deauville
Douglass Montgomery : Roy Cronin
Doris Lloyd : Kitty
Frederick Kerr : Major Fred Wetherby
Enid Bennett : Mary Cronin Wetherby
Dans cette première version de 1931, la première chose à remarquer est
que, contrairement à ce que fera la version postérieure, l’intrigue reste très
linéaire et ne s’embarque pas dans des détails superflus. Une courte
introduction nous présente l’héroïne, Myra, jeune danseuse de cabaret, puis
l’on se retrouve directement deux ans plus tard, à la situation qui nous
intéresse : le film nous fait alors comprendre que, en difficulté financière et
sans emploi, Myra est tombée dans la prostitution pour s’en sortir. Elle
rencontre alors Roy, jeune soldat naïf qui, loin de se rendre compte à qui il a
affaire, tombe sous son charme. Toute la difficulté pour Myra, peu à peu
séduite à son tour, va être de cacher sa condition à Roy, et de faire face à
ses démons intérieurs : ne pouvant pas le garder sans lui mentir, elle ne
peut non plus tout lui avouer sans le perdre pour toujours…
Dès les premières scènes, une atmosphère
typiquement pré-code nous entoure et nous emporte dans un monde qui nous
apparait vivant et coloré : celui des danseuses de cabaret, de leur vestiaire
rempli d’excitation, de joie de vivre et des présents de leurs soupirants.
Pourquoi est-ce pré-code ? Regardez la version de 1940, et vous ne verrez
pas tout à fait la même proportion de jambes, bras et autres épaules à découvert,
code Hays et morale conservatrice obligent… Cela donne en tout cas au film un
côté résolument moderne et, sans doute, lui apporte une dose de réalisme en le
rendant moins conventionnel, moins édulcoré. Les mœurs semble-t-il très
libérées des danseuses donnent de fait beaucoup plus de crédibilité au choix
désespéré de Myra et des plus démunies d’entre elles, et l’ambiance pré-code de
Waterloo Bridge colle ainsi
parfaitement à l’intrigue – et ce, tout au long du film, par l’intermédiaire
notamment de son actrice principale.
"I should have known a decent girl when I saw one"
|
"You’ve never been around with girls much, have you ?" |
Principal atout de la version de 1931, Mae Clarke porte à bout de bras le film à travers son
interprétation du personnage de Myra. Donnant à celle-ci un caractère
foncièrement sympathique, enjoué et provocateur, elle reste extrêmement
crédible dans les parties plus dramatiques, tout en maturité et en émotion
contenue, tellement naturelle que l’on ne peut qu’accrocher à son personnage.
Le reste du casting est bon également, y compris Douglass Montgomery dans le rôle de Roy. Cependant, s’il joue bien
le jeune homme innocent et idéaliste, celui-ci souffre quelque peu de la
comparaison avec une héroïne aussi pleine de caractère et de charisme que la
Myra de Mae Clarke. Le problème qui survient va donc être celui de la
crédibilité d’une telle relation, car s’il est cohérent que Roy tombe sous le
charme de Myra, l’inverse semble plus improbable.
Enfin, je suis obligé de revenir sur un gros point noir, qui dure
certes quelques millisecondes mais que
je n’avais pas vu venir, d’où ma frustration :
la fin. Pourtant je connaissais
l’histoire et savais comment cela allait finir, mais… certainement pas comme
ça… Ah, et ils nous le montrent bien,
ce maudit zeppelin, en plus !!!
Bref, cela ne remet cependant pas en cause la qualité globale du film, qui
reste l’un de mes films préférés et fait véritablement de l’année 1931 une
« annus mirabilis » pour
moi (avec entre autres Platinum Blonde,
The Miracle Woman ou encore Les lumières de la ville).
***
Waterloo Bridge (1940)
Titre français : La Valse dans l’ombre
Réalisation : Mervyn LeRoy
Société de production :
Metro-Goldwyn-Mayer
Durée : 108 minutes
Date de sortie : 17 mai
1940 (USA)
Casting :
Vivien Leigh : Myra
Robert Taylor : Roy
Cronin
Lucile Watson : Lady
Margaret Cronin
Virginia Field :
Kitty
Premier point de divergence avec sa version antérieure, le Waterloo Bridge de 1940 diffère
de par sa structure et son intrigue même : l’histoire commence en 1939, à
l’aube de la seconde guerre mondiale, et voit Roy, seul sur Waterloo Bridge,
ressasser ses souvenirs passés. C’est donc à l’aide d’un flashback au cœur de la mémoire de Roy que l’on va être immergé
dans l’intrigue, ce qui donne d’emblée beaucoup plus d’importance au personnage
masculin.
D’autre part, la rencontre entre Roy et Myra se déroule alors que
celle-ci est encore danseuse : ce n’est qu’après le départ de Roy pour la
guerre (la première guerre mondiale) qu’elle tombera dans la misère et en sera
réduite à la prostitution. Cela permet ainsi d’évoquer beaucoup plus longuement
la romance naissante entre les deux héros, et ce sous un jour très positif,
finalement assez classique. Mais surtout, cela rend l’histoire d’amour beaucoup
plus « morale » puisque débutée alors que Myra n’était pas encore
prostituée. Roy est donc comme dédouané de ce qui va suivre, et Myra devient un
personnage à la destinée classiquement
tragique.
De l'expressivité de Vivien Leigh... |
Surtout, constamment mise en valeur par la réalisation, Vivien peut montrer
l’expressivité fabuleuse de son regard dans
de nombreuses scènes clés. Dans l’une d’entre elles, jeune femme amoureuse,
elle aperçoit Roy au travers de sa vitre battue par la pluie, et esquisse un
étonnement béat suivi de l’excitation la plus intense. Dans une autre, l’une
des plus belles scènes de tous les temps (oh
que oui !), elle erre, prostituée allant au-devant des soldats sur les
quais de Waterloo Station. Soudain son
regard, morne et désabusé, fixé sur la caméra, laisse place à la surprise la
plus absolue mêlée d’effroi, alors que l’on ne devine que trop bien qui est
l’objet d’une telle stupeur, marchant à sa rencontre…
L’interprétation par Robert
Taylor du personnage de Roy est également, à mon sens, très réussie. Homme
charismatique, il suscite la sympathie et le respect, sentiments encore
renforcés par l’uniforme qu’il porte. L’admiration que lui voue Myra n’en est
alors que plus crédible, d’autant qu’elle le rencontre alors qu’elle n’est que
jeune danseuse, n’ayant pas encore expérimenté toutes les difficultés qu’elle
vivra par la suite. Leur histoire d’amour n’en est que plus solide, et cela permet
également au remake de s’écarter de l’intrigue de 1931, ce qui est toujours
plus intéressant et apporte une vraie valeur ajoutée.
Plus long que son prédécesseur, Waterloo
Bridge version 1940 est cependant un peu trop cliché dans son
classicisme mélodramatique, et n’échappe pas à certaines longueurs qui auraient
pu être évitées. Il n’en reste pas moins excellent sur certaines scènes et très
solide dans son ensemble, notamment grâce aux performances des acteurs et à la
réalisation de Mervyn LeRoy.
Un dernier mot sur la musique, qui est par moments absolument sublime : mention spéciale à ce thème qui accompagne la Myra prostituée, et ses notes hispanisantes peu à peu teintées du son du violon lancinant qui nous emporte dans son tourbillon mélodramatique, avant que ne résonnent les cors, pareils au glas annonçant le sombre destin de l'héroïne...
Un dernier mot sur la musique, qui est par moments absolument sublime : mention spéciale à ce thème qui accompagne la Myra prostituée, et ses notes hispanisantes peu à peu teintées du son du violon lancinant qui nous emporte dans son tourbillon mélodramatique, avant que ne résonnent les cors, pareils au glas annonçant le sombre destin de l'héroïne...
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Conclusion
Au final, les deux versions de Waterloo Bridge, quoique différentes,
sont excellentes et peuvent revendiquer une très bonne place dans mon panthéon
personnel. Si dans les deux cas, Mae Clarke comme Vivien Leigh livrent une très
grande performance, les atmosphères comme les scénarios des deux films leur
donnent leur originalité et façonnent ce qui se révèle être leur identité
propre.
Et pour finir, voici les principaux points de comparaison :
Version de 1931 Version de 1940
Points forts
Points forts
Mae Clarke ! +++ LA scène culte par
excellence ++
Ambiance pré-code ++ Vivien Leigh &
Robert Taylor ++
Intrigue très prenante + Bonne
maîtrise globale de la réalisation +
Points faibles Points faibles
Un Roy un peu tendre - Classicisme de l’intrigue et longueurs --
La fin ! -
NOTES :
Waterloo
Bridge, version 1931 :
8,5
Waterloo
Bridge, version 1940 :
8,5
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