Réalisation : Mauritz Stiller
Genre : Drame – Epopée – Film muet
Date de sortie : 10 mars 1924 (Suède)
Société de production : Svensk Filmindustri
Scénario : M. Stiller et
R. Hyltén-Cavallius, d’après le roman de Selma Lagerlöf
Photographie : Julius Jaenzon
Musique (version restaurée de 2006) : Matti Bye
Durée (version restaurée de 2006) : 183 min
Casting :
Lars Hanson : Gösta Berling
Gerda Lundequist : Margaretha Samzelius
Greta Garbo : Elisabeth Dohna
Jenny Hasselquist : Marianne
Sinclaire
Mona Mårtenson : Ebba Dohna
Ellen Hartman-Cederström : Märta Dohna
Torsten Hammarén : Henrik Dohna
L’HISTOIRE
Années 1820, province du Värmland, en Suède. Gösta Berling, pasteur
défroqué, est l’un des douze « Cavaliers » recueillis par la
commandante Samzelius dans son manoir d’Ekeby. Trois femmes entrent tour à tour
dans sa vie : la pieuse et crédule Ebba ; l’excentrique et
passionnée Marianne ; puis la douce et pure Elizabeth, épouse italienne
d’Henrik Dohna.
L’AVIS
DE GENERAL YEN
Petit événement
sur Films Classiques, puisque cet article est le premier du blog à s’attaquer à
un film muet. Gösta Berlings saga
– « La légende de Gösta Berling » – est l’adaptation du roman éponyme
de la romancière suédoise Selma Lagerlöf,
paru en 1891. Cette œuvre majeure de la littérature nordique (que je me suis
empressé de lire après avoir vu le film) est tout à la fois roman de terroir,
épopée à la mode des sagas islandaises, conte et poème en prose.
Réalisé par Mauritz Stiller, un des grands noms de l’âge d’or du cinéma muet suédois –
avec Victor Sjöström et Gustaf Molander –, le film, sorti sous un format en deux
parties en 1924, s’efforce de recréer à l’écran l’atmosphère si singulière du
roman. Au prix d’une simplification du récit et du recours à des mises en abîme
judicieuses, Stiller nous concocte une œuvre titanesque : 3h de film, des
décors extérieurs magnifiques, des scènes grandioses (l’incendie du manoir), des
acteurs stars (sans compter la débutante Greta Garbo). Gösta Berlings saga déploie le meilleur du cinéma suédois de
l’époque.
Pour tenter de
faire justice à l’extrême foisonnance du film, je vais le dépeindre au travers
de trois fils directeurs : l’authenticité (la « suédicité » devrais-je dire), l'épopée et les femmes.
A la source de l’œuvre,
il y a la nature suédoise. Selma Lagerlöf avait mis toute l’âme du Värmland, la province de son cœur, dans son roman. Stiller
reprend cette idée force en posant le décor dès le début du film.
Les premiers
plans peignent un cadre enchanteur de forêts et de lacs purs – le Nord sauvage
rêvé. L’authenticité des paysages coïncide avec celles de ses habitants :
la commandante Samzelius fait son apparition au côté des ouvriers qui soulèvent
les sacs de minerai de fer – Lagerlöf célèbre le fer comme la ressource
nourricière de sa province ; le pasteur alcoolique Gösta Berling prononce
un sermon dans une église aux décorations typiquement suédoises, au milieu de
gens du commun endimanchés ; les
aristocrates du film sont des nobliaux de province qui vivent dans de petits
manoirs qui semblent plantés dans l’immensité hostile.
Surtout, les
éléments se font face : la beauté ne peut être que sauvage et précaire, à
l’image des paysages verdoyants qui se couvrent de neige l’hiver, et des femmes dont la grande beauté ne rend que plus vulnérables. Et bien sûr, ce n’est qu’au cœur d’une
campagne enneigée que pouvait survenir un grand incendie…
"The once-famous Ekeby, the stuff of legend"
Comme toute saga
qui se respecte, celle de Gösta Berling tient du conte et de l’épopée.
Quoique les aspects fantastiques du roman soient modérés, Stiller préférant probablement
un ancrage rationnel par souci de cohérence, le film porte bien son nom :
épiques à souhait, ses trois heures sont empreintes d’une grande poésie.
"I summon the 13th Guest!" |
Ce film ne
serait pas ce qu’il était sans son personnage principal. Gösta Berling (Lars
Hanson) est extrêmement fascinant. Décrit poétiquement comme « le plus fort et
le plus faible des hommes », il possède une personnalité hors du commun :
tantôt prêtre défroqué alcoolique maudit par le destin, tantôt séducteur
passionné, héros de ces dames, modèle de chevalier courtois en plein XIXème
siècle suédois.
Le charisme monstre de Lars Hanson fait bien les choses : silhouette effilée, visage blafard, cheveux au vent à la romantique, il semble tout droit sorti du Voyageur au-dessus de la mer de nuages (le tableau de Caspar David Friedrich). Son regard extrêmement expressif est, de fait, un émerveillement. Il est vrai que, sans pouvoir faire entendre le son de leur voix, les stars du muet devaient de toute manière exceller dans ce type d’exercice.
Le charisme monstre de Lars Hanson fait bien les choses : silhouette effilée, visage blafard, cheveux au vent à la romantique, il semble tout droit sorti du Voyageur au-dessus de la mer de nuages (le tableau de Caspar David Friedrich). Son regard extrêmement expressif est, de fait, un émerveillement. Il est vrai que, sans pouvoir faire entendre le son de leur voix, les stars du muet devaient de toute manière exceller dans ce type d’exercice.
Les Cavaliers fêtent Noël dans la vieille forge |
"It was a disgrace to love him, a disgrace to be loved by him"
Dans ce monde d’hommes,
qu’ils soient rustres ou héros, brille aussi toute une galerie de personnages
féminins. Gösta Berlings saga est presque un film "social", en ce sens qu'il explore les facettes de la féminité et les rapports codifiés entre les sexes de l’époque.
"May a lowly knight have the honor escorting milady home?" |
L’essence même
de l’œuvre est là : le drame réside dans l’association tragique des
contraires. Rencontrer cet homme marqué par le destin signifie se perdre
soi-même. Si Ebba est « trahie » dans sa piété, la belle et impulsive
Marianne (Jenny Hasselquist) se voit défiée dans sa fierté. Quant à Elizabeth
(Greta Garbo, déjà divine, n’ayons pas peur des mots), la virginale épouse du
comte Henrik Dohna, c’est sur sa pureté de femme mariée qu'elle sera testée.
"Fire! Fire!" |
Ma scène préférée : ah, cet anneau... |
Conclusion
Film muet d’une
poésie rare, Gösta Berlings saga
nous offre des performances d’une intense et sublime sensibilité. Fidèle à l’esprit
de la géniale conteuse en qui a germé son histoire, il atteint son but :
nous faire rêver, au milieu des forêts enneigées et des lacs gelés, tout emmitouflés
dans une lourde pelisse sur un traîneau, et poursuivis par des loups affamés…
NOTE : 9,5/10
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