mercredi 1 avril 2020

MEILLEURE ACTRICE 1953


Le Général Yen passe en revue les meilleures actrices de 1953, une année dominée par les arômes langoureux du glamour et de la sensualité.


La favorite du Général 

LAUREN BACALL pour How to Marry a Millionaire

En 1953, Lauren Bacall n'est plus la jeune fille de 19 ans qui tutoyait d'un charisme insolent Humphrey Bogart dans To Have and Have Not, neuf ans plus tôt. Désormais, non seulement elle dégage une aura charismatique décuplée par l'expérience accumulée, mais il émane également d'elle une assurance et une vigueur sarcastique qui font de ce rôle l'un des plus jouissifs qu'elle ait pu jouer. Loin des films noirs qui ont fait la célébrité de l'actrice dans sa prime jeunesse, How to Marry a Millionaire est une comédie de facture correcte, mais sa mise en scène très fifties et son format Cinemascope qui favorise les plans larges ne jouent pas en son faveur. La grande attraction du film est évidemment son trio d'actrices à la "chasse au millionnaire" : outre Lauren, Betty Grable et Marilyn Monroe. Ces deux dernières se battent en duel dans le même registre, à savoir celui de la blonde niaise supposément comique. Un jeu très daté, dans lequel Marilyn est imbattable, mais qui ne me séduit pas. A l'inverse, Lauren bénéficie du rôle le plus intéressant, celui de Schatze Page, le cerveau de la bande, la plus cynique des trois. Avec un tel rôle, Lauren s'en donne à cœur joie, enchaînant les répliques piquantes de sa voix rauque (dont un légendaire "Bingo !"). Elle s'offre même le luxe de flirter avec un William Powell certes vieillissant, mais toujours inimitable. Par ailleurs, son élégance et sa classe ont rarement été mises en valeur de cette manière, le fait que le film soit en couleurs aidant, mais aussi en raison du glamour voulu par la réalisation pour chacune des trois "belles". Le résultat est là : j'adore Lauren dans ce rôle. Et je dois dire que ça m'arrange bien, parce qu'elle a eu trop souvent au cours de sa carrière la fâcheuse manie de produire de grandes performances lors d'années bien trop remplies à mon goût !


Le tableau d'honneur

Elles l'ont courtisé, il ne les a pas élues. Mais le Général est magnanime, voyez plutôt :

AUDREY HEPBURN pour Roman Holiday : Le pittoresque de la Rome éternelle. Gregory Peck en journaliste gentleman. Un rôle de princesse un peu rebelle qui a des envies d'évasion. William Wyler aux manettes. Tout était réuni pour que le charme de la jeune Audrey Hepburn éclose et ravisse son monde. Il est difficile d'imaginer une autre actrice à sa place, tant le rôle semble être fait pour elle, elle qui en dégage tous les arômes : fraîche et drôle, charmante et coquette, voilà lady Audrey dans sa prime jeunesse et, déjà, dans un sommet de romantisme tout en légèreté.

JEAN PETERS pour Pickup on South Street : Coup de cœur personnel, la meilleure prestation de Jean Peters est aussi un coup de maître. Ultrasensuelle (en particulier dans la scène du début du film qui a lieu dans un métro bondé), elle capte l'attention d'un regard hypnotique, charme à la façon d'une femme fatale vénéneuse et populaire, et offre une alchimie intense avec Richard Widmark, qui délivre lui aussi une excellente partition.

GLORIA GRAHAME pour The Big Heat : Pour l'époque, et même pour le genre noir, ce film est dur. Et dur, il l'est en particulier à l'égard du personnage de Gloria, égérie sensuelle d'un groupe mafieux. Objectifiée, malmenée, violentée, elle n'a pourtant rien du caractère d'une victime : jouant un rôle pivot dans l'histoire, Gloria campe un personnage qui a plus d'aplomb que ne le suggère au premier abord son apparente frivolité mi-mondaine, mi-vulgaire. Sa voix fluette contraste avec l'intensité de ses regards, sans négliger un charisme physique d'une grande féminité, qui magnifie l'attitude combative d'un personnage au sort tragique.

MARILYN MONROE pour Niagara : Vous ne me verrez pas souvent faire l'éloge de Marilyn sur le blog, la faute à des performances reposant trop souvent sur le "comique de naïveté" de son personnage-type, la blonde (faussement) idiote, un style que je n'affectionne pas du tout. Mais, au cours de l'une des années les plus prolifiques de sa carrière (How to Marry a Millionnaire, Gentlemen Prefer Blondes), elle nous a concocté ce que je considère jusqu'à présent comme sa meilleure prestation. Car Niagara lui offre enfin ce à quoi son physique glamour la prédestinait : un grand rôle de femme fatale. Ce personnage d'épouse adultère à la sensualité débordante qui cherche à faire assassiner son mari, le tout dans l'écrin grandiose des chutes du Niagara, lui permet de produire une performance digne de son statut mythique : loin d'arborer une fausse niaiserie, Marilyn oscille entre la fragilité d'une épouse insoupçonnable et le volcanisme d'une femme fatale, et parvient même à nous offrir quelques vrais moments de charisme, grâce à un regard déterminé. Toute sa performance est fondée sur la mise en valeur de la duplicité de son anti-héroïne, tout en la rendant sympathique auprès du couple voisin, et donc auprès du spectateur.


Le Thé du Général

La revue terminée, le Général prend une pause bien méritée. Son célèbre thé recèle comme toujours bien des mystères...

Donna Reed - From Here to Eternity
- Deborah Kerr (From Here to Eternity) : Une performance à la sensualité contenue, comme souvent ; mais son couple avec Burt Lancaster lui fait perdre de son charme, au profit de...

Donna Reed (From Here to Eternity) : Mon second rôle favori de l'année ; même si le thème de la "prostituée au grand cœur" est un grand classique, elle illumine chaque scène d'une humilité classe, et son alchimie avec l'immense Montgomery Clift est la véritable réussite du film.

Jeanne Crain (Dangerous Crossing) : Elle a beau ne pas avoir le jeu le plus varié au monde, l'actrice, toujours aussi ravissante, donne ici une performance marquante en épouse qui croit devenir folle sur un navire transatlantique.

Jean Peters (Niagara) : Prenant le contre-pied de la blonde fatale, en petite brune dynamique et inquisitrice, Jean parvient à tirer le meilleur d’un rôle a priori assez limité en donnant à son personnage le caractère nécessaire pour elle aussi dominer ses partenaires masculins ; son regard si caractéristique est déployé à merveille et pétille d’intelligence et de défi. 

Joan Fontaine (The Bigamist) : La mise en scène d'Ida Lupino met joliment en valeur Joan Fontaine, qui est plus sensuelle, plus intime, qu'à l'accoutumée.

Leslie Caron (Lili) : Même si je ne suis pas sous le charme outre mesure, et que son personnage est très enfantin, elle porte le film à elle seule.

Mention spéciale francophone :

Danielle Darrieux (Madame de..., France) : Malgré une réalisation minutieuse, je ne peux pas admirer un film sur l'ennui à l'atmosphère ennuyeuse, aussi révéré soit-il. Heureusement, il y a Danielle Darrieux, qui, si elle met un moment avant de révéler l'intérêt de son personnage, délivre encore une fois toute l'étendue de son élégance et de son charme, en particulier dans le jeu non verbal.

4 commentaires:

  1. Chouette! C'est le retour des thés, qui me manquaient un peu sur les derniers articles, je l'avoue.

    Nous aurons néanmoins des opinions différentes sur les dames de l'année: je trouve également que Lauren Bacall est la meilleure des millionnaires, mais je ne suis pas ébloui au point d'envisager la nomination. Marilyn Monroe est quant à elle une excellente femme fatale dans Niagara, mais je la préfère tout de même dans Les Hommes préfèrent les blondes où elle est hilarante et se transforme en superstar avec une sérénité déconcertante. Dans le registre non comique, la performance où elle m'impressionne le plus est Don't Bother to Knock en 1952. Enfin, il m'est très facile d'imaginer une autre actrice à la place d'Audrey Hepburn dans Vacances romaines: Jean Simmons! Audrey a un charme fou, mais Jean, que je tiens désormais pour la plus grande actrice de langue anglaise de la décennie, aurait à mon avis apporté plus de profondeur au personnage.

    Je suis autrement ravi de voir Jean Peters et Gloria Grahame figurer dans ta sélection! J'aime aussi la mention de Joan Fontaine dans The Bigamist, je trouve Deborah Kerr très intéressante dans From Here to Eternity, mais je suis comme toi plus sensible à Donna Reed dans le même film, et je suis enfin très intéressé par Jeanne Crain que je n'ai pas vue.

    Ma sélection aux Oscars serait probablement constituée de Gloria Grahame pour The Big Heat (gagnante), Marilyn Monroe pour Gentlemen Prefer Blondes, Jean Peters pour Pickup on South Street, Jean Simmons pour Angel Face ou Young Bess, et Barbara Stanwyck une dernière fois pour All I Desire. Sachant que Jennifer Jones, brillantissime dans Beat the Devil, était éligible l'année d'après, et que j'arrive à considérer Deborah Kerr comme un second rôle dans From Here to Eternity. J'aurais néanmoins aimé un petit plus pour Jane Russell, tout à fait délectable face à Marilyn.

    Cela dit, 1953 reste avant tout une année japonaise à mes yeux: Ayako Wakao et surtout Michiyo Kogure sont mes grandes favorites pour Les Musiciens de Gion.

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    1. Je ne pouvais pas faire l'économie des thés pour cette année, pas possible ! D'autant que la plupart des films sont encore assez frais dans mon souvenir pour pouvoir être pertinent.

      Je plussoie sur Jean Simmons dans le rôle d'Audrey, les deux actrices ont un style proche. D'ailleurs, j'ai vu Jean dans Young Bess, mais le film ne m'a pas plu, et je ne la trouve pas bien castée dans le rôle. Après, je regardais le film surtout pour Deborah. Je vais donc creuser la filmographie de Jean Simmons, elle a du potentiel pour me plaire. Mais au fait, pour la meilleure actrice anglophone des années 1950, tu fais des infidélités à Eleanor ?

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    2. Je suis de plus en plus inconstant sur cette question de la plus haute importance! Eleanor est une déesse, la plus belle femme du monde et une actrice de grand talent à la versatilité exemplaire, quitte à avoir parfois un jeu un tout petit peu trop excessif pour me convaincre absolument dans certains rôles.

      La vérité, c'est que j'ai découvert pas mal de films avec Jean Simmons l'année dernière, et elle est tellement juste à chaque fois dans des registres très différents que je suis constamment impressionné. Mes rôles préférés sont Angel Face, Young Bess, Guys and Dolls, The Big Country, Home Before Dark, et Elmer Gantry, mais elle est magnifique et nuancée partout, même dans ses péplums où elle dote ses rôles secondaires d'une forte personnalité qui n'était pas forcément écrite dans le scénario. Je l'aurais nommée quatre fois aux Oscars et lui aurais donné le prix en 1960.

      Cependant, malgré cette avalanche de talent, Eleanor continue de me charmer davantage encore...

      Autrement, as-tu aimé Deborah dans Young Bess, ou as-tu été déçu par son rôle en arrière-plan? De mémoire, elle se débrouillait bien avec le peu qu'elle avait à se mettre sous la dent, mais une révision s'impose.

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    3. Nous concordons très bien sur Eleanor !

      Merci pour les suggestions sur Jean Simmons, je vais pouvoir me mettre à jour la concernant. J'avais une image d'elle avant tout comme une actrice de seconds rôles.

      Justement, à propos de second rôle... De mémoire, j'ai bien aimé Deborah dans Young Bess (comme toujours avec elle, j'avoue), mais le rôle ne lui laisse pas beaucoup de possibilités. D'ailleurs, je trouve que Deborah Kerr en Elizabeth Ière, ça aurait été intéressant : de la classe, de la majesté, mais surtout de la retenue, sans pour autant renier une sensibilité "cachée".
      Il faudra que je creuse les années fortes de Deborah, parce qu'elle na pas encore été assez mise en avant sur le blog. Pourquoi pas 1960, ça me permettrait de voir Jean Simmons dans Elmer Gantry ! (en espérant que Burt Lancaster ne soit pas trop... lancasterien !)

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