Le Général Yen passe en revue les meilleures actrices de la glorieuse année 1944, l'une des plus grandes du cinéma si l'on se réfère à ses goûts personnels en matière de films...
La favorite du Général
BARBARA STANWYCK pour Double Indemnity
Ce ne sera une surprise pour personne, s'agissant de mon actrice préférée dans l'un de mes films favoris. J'ai d'ailleurs déjà eu l'occasion d'évoquer ce rôle mythique dans
mon article sur le film, dans
mon classement des plus grandes femmes fatales (qui pourrait peut-être être mis à jour, j'y songerai) et bien sûr dans
ma rétrospective sur Barbara Stanwyck. Si l'actrice retient ici toute mon admiration, c'est en grande partie grâce à la manière dont elle parvient à faire apprécier un personnage foncièrement négatif. Elle le fait au travers de deux contrastes forts : d'une part, un charisme puissant, empli d'une froide détermination et par moments d'un cynisme glaçant (ce regard !), amené en douceur sur une femme pourtant à première vue sans histoires ; d'autre part, une immense capacité d'attraction sensuelle malgré la mise en valeur en parallèle de la "vulgarité" de Phyllis, une femme mariée au physique commun. C'est cette combinaison de charisme et de séduction qui donne à Phyllis un charme irrésistible, qui fait succomber le personnage de Fred McMurray et qui emporte l'adhésion du spectateur. Cette composition d'une "femme fatale ordinaire" est l'une des grandes réussites de ce chef d'oeuvre, et à mes yeux fait définitivement entrer Barbara Stanwyck dans la légende du cinéma.
Le tableau d'honneur
Elles l'ont courtisé, il ne les a pas élues. Mais le Général est magnanime, voyez plutôt :
- LAUREN BACALL pour To Have and Have Not : Si Lauren Bacall est l'une de mes actrices coup de cœur, c'est en grande partie grâce à ce rôle, qui agit chez moi comme une délicieuse madeleine de Proust. Surtout, sans l'alchimie extraordinaire dont font preuve Bogart et Bacall, ce film, qui repose sur un matériau de départ assez quelconque, ne serait jamais parvenu à son statut de mythe de l'âge d'or. Cette alchimie se ressent à chaque regard, à chaque échange de parole, qui mélange leurs deux voix rauques à la perfection. Mais aussi, elle se retrouve dans leurs attitudes réciproques, qu'on peut considérer aujourd'hui comme leur marque de fabrique : une forme de charme insolent baigné d'un charisme immense. Et l'exploit de la chose est à mettre au crédit de Lauren, la débutante, pourtant terrifiée par la caméra au début du tournage. Tout au long du film, l'actrice transforme le malaise qu'elle ressent, et que l'on peut deviner à sa démarche, en une attitude douce mais ferme, désinvolte mais assumée, grâce à sa capacité épatante à débiter des répliques cinglantes à la face d'hommes mûrs et virils, qui semblent impressionnés par sa classe irréelle. Et puis, voilà, je l'avoue, il y a ce regard... Comme n'est-elle pas ma favorite ? Il fallait bien une Barbara au sommet de l'art noir pour surclasser les yeux de Lauren Bacall.
- INGRID BERGMAN pour Gaslight : Face à un immense Charles Boyer dans le rôle de l'époux ombrageux et manipulateur, Ingrid Bergman compose un personnage doux et influençable, donnant une cohérence au cheminement de Paula, qui passe peu à peu d'une confiance absolue pour un mari qu'elle adore à une remise en question de sa propre santé mentale. L'actrice intègre dans son jeu des éléments de fragilité dès les moments plus joyeux du début, ce qui rend crédible ses pertes de repères ultérieures. A l'inverse, lorsqu'elle peut s'appuyer sur une aide extérieure, elle semble alors s'offrir une bouffée d’air frais et donne à voir, avec naturel, de brefs éclairs de ténacité vite étouffés. De plus, elle rend son héroïne extrêmement touchante (donc attachante !) lorsqu'elle exprime l'incrédulité et la déception, car son regard dénote une urgence telle qu'on éprouve l'envie de traverser l'écran pour la protéger !
- ELLA RAINES pour Phantom Lady : Une fois n'est pas coutume, une femme est l'héroïne d'un film noir. Élégamment mise en valeur par l'une des plus belles photographies que vous pourrez voir dans une oeuvre du genre
noir, Ella Raines surprend son monde : charismatique et dominante, elle déploie des atouts, habituellement réservés au héros-type viril, de persévérance, de témérité et de force mentale, sans négliger pour autant d'inonder le film de son immense féminité. Son personnage, surnommé "Kansas" (une connotation masculine, encore), cherchant à prouver l’innocence de son patron, qu'elle aime en secret, permet à l'actrice de jouer sur plusieurs registres au gré des initiatives de l'héroïne : inquiétude envers son patron, confiance envers l'ami de celui-ci, froideur ténébreuse envers le barman (qui précède une filature d'anthologie !), sensualité vulgaire envers le joueur de percussions (en contraste total avec l'élégance de "Kansas"), et surtout, l'apothéose avec les expressions de terreur absolue face à l'assassin, qui combinées à sa beauté électrique confinent au sublime.
- GENE TIERNEY pour Laura : Sans être particulièrement charismatique, Gene Tierney est l'âme de ce chef d'œuvre du film noir. Sa beauté éthérée et obsédante hante les personnages masculins, subjugués par la formidable présence scénique de l'actrice, élégante et froide, mais d'apparence si fragile. Elle rend crédible l'alliance entre le caractère décrit comme indépendant et brillant de Laura (à l'image de son style et de son appartement) et sa fonction très objectivée aux yeux des hommes : elle semble le jouet de leurs désirs, montre de l'indécision et ignore les manipulations, sans pour autant tomber dans la fadeur ou la niaiserie. En fait, il est tout simplement impossible d'imaginer une autre que Gene dans ce rôle mythique, tant elle l'incarne, la performance d'actrice rejoignant l'apparence physique, sans égale.