Réalisation : William Wyler
Société de production : Samuel Goldwyn
Scénario : Charles
MacArthur, Ben Hecht et John Huston, d’après le roman d’Emily Brontë
Musique : Alfred Newman
Photographie : Gregg Toland
Genre : Drame romantique
Durée : 104 min
Date de sortie : 24 mars 1939 (USA)
Casting :
Laurence Olivier : Heathcliff
Merle Oberon : Catherine Earnshaw
David Niven : Edgar Linton
Flora Robson : Ellen Dean
Geraldine Fitzgerald : Isabella Linton
Hugh Williams : Hindley
Earnshaw
L’HISTOIRE
Pris dans une tempête de neige, un voyageur trouve refuge dans le manoir
des Hauts de Hurlevent. La vieille gouvernante lui raconte l’histoire du maître
des lieux, Heathcliff. Quarante ans plus tôt, celui-ci, enfant des rues, est
recueilli par Mr Earnshaw, qui l’élève comme un fils, aux côtés de ses propres
enfants : un garçon, Hindley, et une fille, Cathy. Si Hindley fait de lui
son souffre-douleur, Cathy et Heathcliff deviennent vite inséparables…
L’AVIS
DE GENERAL YEN
Sorti en 1939,
l’année bénie du cinéma classique américain
(Scarlett
O’Hara likes this sentence), Wuthering Heights (Les Hauts de Hurlevent) est
l’adaptation cinématographique la plus célèbre du roman éponyme d’Emily Brontë
(publié en 1847). Comme souvent lorsqu’il s’agit d’adaptations d’œuvres
littéraires au cinéma, le scénario du film s’éloigne quelque peu du roman en
snobant sa seconde partie, et donc la seconde génération de personnages. Ce
choix en rebutera sûrement certains, mais pour ma part, je pense qu’un film se
doit d’être concis dans son propos. Se concentrer sur l’histoire des
personnages les plus fascinants, Heathcliff et Catherine, évite l’écueil d’une
adaptation fidèle : un film d’une heure trente trop chargé ou un film de
quatre heures interminable (Scarlett O’Hara dislikes this).
De fait, je
trouve le scénario du film bien ciselé. Wuthering
Heights s’ouvre sur un flashback, procédé que j’affectionne : la
servante Helen (Flora Robson) confie en témoin privilégié de l’histoire ses
souvenirs à un voyageur de passage, égaré dans la tempête. Les premières
minutes placent le contexte : on comprend où l’on est – le nom de
l’endroit est justifié par l’image – et pourquoi – un récit va nous être conté,
et on va en apprendre plus sur l’étrange hôte des lieux. Dès le départ, la
réalisation de William Wyler nous indique le projet artistique de
l’œuvre : le gothique, alliant landes désolées et personnages
hantés ; et le romantique, qui combine bouleversement des éléments et des
âmes. Ces éléments se retrouvent dans les événements qui nous sont rapportés
par la vieille gouvernante.
L’histoire de Wuthering Heigths est celle,
classique, des amants maudits. Mais
contrairement à des Roméo et Juliette, qui s’aimaient d’amour pur, subissaient
la haine de leurs familles et jouaient de malchance, on a ici affaire à des
personnages extrêmement complexes qui sont les premiers responsables de leurs
tourments : Heathcliff et Cathy.
“I dreamt I was in heaven and heaven didn’t seem to be my home.”
Heathcliff,
interprété par Laurence Olivier, est
un héros/anti-héros passionnant. Enfant trouvé dans les rues d’une grande ville
par Mr Earnshaw, qui le ramène à Wuthering Heights pour l’élever, il est
d’origine incertaine, probablement gitane. Ses origines modestes lui sont
rappelées constamment par son entourage, qui ne voit en lui qu’un garçon
d’écurie. De par son caractère, Heathcliff est le prototype du héros tourmenté,
qui oscille constamment entre le désir de revanche que lui susurre son
ressentiment, et la quête de liberté, à savoir l’évasion, le départ vers un
monde meilleur pour lui. Laurence Olivier s’est grimé pour faire plus « gypsy » et ça marche : il
incarne totalement son personnage. On en oublierait presque que l’acteur nous
fait du Olivier vu et revu (à savoir, avouons-le, des regards d’une puissance
folle et des afflux de charisme à chaque mot prononcé). En bref, une très
grande performance pour la très riche année 1939.
Avant tout, plus
que tout, Heathcliff est un passionné. Et l’objet de sa passion est la fille de
Mr Earnshaw, Catherine, alias Cathy, jouée par Merle Oberon. Mais la romance des deux jeunes gens se heurte à
leurs contradictions. Cathy aspire à deux destins contraires qu’elle tente
désespérément de concilier : d’un côté, la liberté absolue, désir qu’elle
partage avec Heathcliff et qu’elle découvre, enfant, en jouant avec lui, puis
adulte, dans son amour pour lui ; de l’autre, l’ascension sociale, la soif de
richesse, de bien-être et de sécurité matérielle, que Heathcliff ne pourra
jamais lui offrir. Une scène magnifique nous dévoile son dilemme, quand après
avoir retrouvé son amant sur le sommet de la colline rocailleuse dont ils ont
fait leur refuge, elle s’exclame, en entendant une musique lointaine :
“That’s what I want. Dancing and singing in a beautiful world. And I’m going to have it!”
Merle Oberon
trouve probablement ici le rôle de sa vie. Incarner la séduisante mais caractérielle Cathy
Earnshaw n’est certainement pas chose aisée. Non seulement parce que face à
Olivier, monstre de charisme, elle risque de se faire manger toute crue, mais
aussi parce qu’un tel rôle d’héroïne littéraire amène a posteriori des comparaisons avec l’indomptable
Scarlett O’Hara que Vivien Leigh a formidablement bien joué la même année (l’anecdote
qui tue : Vivien Leigh était réclamée par Olivier pour jouer Cathy). Sauf
que, loin de céder, Merle donne une version de Cathy Earnshaw difficilement
égalable : grâce à une interprétation qui fait la part belle à la force de caractère de la jeune femme, c’est elle, plus que Laurence Olivier, qui parvient le mieux
à dévoiler la relation d’amour/haine qui unit et sépare les deux héros. Elle est
crédible dans sa froideur juste après avoir été chaleureuse. Elle fait preuve
d’une grande classe dans ses atours de lady, avant de parcourir la lande dépenaillée
les cheveux au vent dès la scène suivante. Tel un Dr Jekyll/Mr Hyde au féminin,
Merle Oberon transcrit alternativement sur son visage et par sa voix ces deux
états qui habitent l’âme de Cathy : froideur, classe, beauté et résolution
contre joie, salissures, charme et insouciance.
Les deux
acteurs, parait-il, ne s’entendaient pas pendant le tournage. Et pourtant,
chacun mû par son propre charisme et donnant toute sa force à son personnage,
ils parviennent à bâtir une alchimie électrique entre Heathcliff et Cathy. En
témoigne la scène admirable du bal –classique indémodable que l’on retrouve
aussi bien chez Jane Austen que chez Margaret Mitchell : une série de
plans nous les montre l’un puis l’autre, découvrant la présence de l’être
aimé/haï. La séquence, rythmée par une partition de piano frénétique, est
mythique pour ces regards intenses échangés au cours d’interminables secondes,
où une tension extrême est palpable.
Autre atout du
film, sa photographie. Ceux qui suivent ce blog savent que je salive dès que
l’on m’offre une ambiance d’une beauté grandiose et sombre. C’est encore le cas
ici. Ce n’est pas un hasard si le chef opérateur Gregg Toland (à qui l’on doit également l’esthétique de Citizen Kane) a obtenu un oscar pour son travail sur Wuthering Heights. Pour coller à
l’atmosphère romantico-gothique du roman, le noir et blanc est joliment
contrasté. De la sorte, les décors des paysages sont sublimés malgré l’absence
de couleur. Les noirs et les blancs prononcés sont les révélateurs de l’état d’esprit
des personnages. Aussi Cathy se pare-t-elle de blanc, couleur de pureté, lorsqu’elle
choisit de faire partie de la société « bien née », tandis que le
noir domine ses habits quand elle préfère la voie plus déviante qui la mène
vers Heathcliff. Pour couronner le tout, la musique d’Alfred Newman est sublime
et confère au film une vraie force romantique.
Conclusion
Quoique la
sortie la même année du mythique Autant
en emporte le vent lui fasse de l’ombre, Wuthering Heights est une excellente adaptation du roman d’Emily
Brontë. C’est un classique authentique, qui à l’aide d’une photographie
irréprochable recrée une ambiance aux tonalités envoutantes. Surtout, porté par
un duo d’acteurs au sommet, le film nous offre un couple d’amants à la
personnalité ambiguë et fascinante, emportés dans le tourbillon de leur passion
qui balaye les Hauts de Hurlevent.
NOTE : 9/10
L'oeuvre de William Wyler demeure à redécouvrir et cette réussite, par son romantisme flamboyant - même en noir et blanc ! - tressé à la trivialité de l'arrivisme, résonne avec L'Insoumise, autre admirable portrait de femme porté par une grande actrice (Bette Davis) comportant une scène de bal déterminante et mémorable ; le beau roman de Miss Brontë inspira itou André Téchiné, une (trop) célèbre saga vampirique et mormone destinée aux jouvencelles d'aujourd'hui, mais, surtout, une superbe chanson à Kate Bush et un opéra remarquable (et méconnu) au génial Bernard Herrmann...
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