Titre original : The Red Shoes
Titre français : Les Chaussons rouges
Réalisation : Michael
Powell et Emeric Pressburger
Genre : Drame
Genre : Drame
Durée : 133 minutes
Date de sortie : 6
septembre 1948 (Royaume-Uni)
Casting :
Moira Shearer : Victoria " Vicky" Page
Anton Walbrook : Boris Lermontov
Marius Goring : Julian Craster
Ludmila Tcherina : Irina
Leonide Massine : Grischa Ljubov
Robert
Helpmann : Ivan Boleslawsky
L’HISTOIRE
Une jeune danseuse poursuit son
rêve en intégrant une prestigieuse compagnie de ballet, mais se voit bientôt
écartelée entre son amour pour la danse et sa dévotion pour l’homme qu’elle
aime.
“Dance
she did, and dance she must - between her two loves”
L’AVIS DE FU MANCHU
Michael Powell et Emeric Pressburger, les réalisateurs
de The Red Shoes, sont connus
et célébrés pour leur collaboration fructueuse qui a nous a donné, entre autres, des productions comme A Matter of Life and Death (1946)
ou Black Narcissus (1947).
Avec The Red Shoes, leur ambition est, d’une certaine manière, encore plus forte puisqu’ils vont
introduire des séquences de danse dans leur œuvre et même créer de toutes
pièces un ballet, dit des Chaussons
Rouges, pour en faire le cœur de leur intrigue. Ils se sont d’ailleurs pour
cela entourés de danseurs et chorégraphes professionnels qui ont une place importante
dans le film – Leonide Massine et Robert Helpmann, notamment -, et ont confié
le rôle principal, non pas à une actrice établie comme, par exemple, cela a été
le cas pour Natalie Portman dans Black
Swan (2010), mais à une jeune ballerine écossaise : Moira Shearer.
The Red Shoes est
avant tout une ode à la création
artistique, et c’est ce que montre la première partie du film, en retraçant
la genèse du ballet des Chaussons Rouges
et en suivant le destin de deux jeunes gens passionnés par leur art : la
ballerine Victoria Page (Moira Shearer)
et le compositeur Julian Craster (Marius
Goring). Tous deux, portés par leur idéal artistique et par leur volonté
d’assouvir leur rêve, vont intégrer la prestigieuse compagnie de ballet dirigée
par Boris Lermontov (Anton Walbrook)
et vont collaborer sur un nouveau projet, Les
Chaussons Rouges, inspiré par le (véritable) conte d’Andersen du même
nom : lui en composera la musique, elle en sera la vedette et danseuse
principale.
Après plus d’une heure de film arrive donc le moment fort, la première représentation de ce ballet
des Red Shoes qui a occupé l’esprit
de nos personnages pendant toute la première partie, jusqu’à en devenir une
obsession, une raison de vivre. Et nous, spectateurs, qui avons vu le projet
prendre forme avec les principaux protagonistes, ayant vécu avec eux leurs
espoirs, leurs doutes et leurs peines, sommes d’autant plus disposés à en
découvrir, enfin, le résultat.
Et c’est ce qui fait la réussite, non seulement de ces 15 minutes de
ballet, mais aussi du film tout entier : l’on est comme happé par le
spectacle proposé, qui ne se contente pas d’en faire une simple représentation
de ballet mais une véritable œuvre cinématographique, mélangeant plans
« classiques » de la scène et plongées dans l’univers de la danseuse,
qui est comme habitée par son personnage dans des décors oniriques confinant au
fantastique.
Visuellement, donc, le film
est excellent, impression renforcée pour moi puisque j’ai pu le voir en version
restaurée, et la qualité d’image est vraiment exceptionnelle pour un film de
1948. On ne peut qu’être emporté par la beauté des décors, que ce soit pour les
scènes de ballet ou pour les plans d’extérieur, tant dans le Londres ou le
Paris d’après-guerre que sous l’éclatant
soleil de Monte Carlo, où se déroule une grande partie de l’intrigue. En parlant
de beauté éclatante, la plus grande bénéficiaire de cette qualité visuelle
reste sans conteste la sublime Moira Shearer – la première fois que je l’ai vue
j’ai failli partir à la renverse -, dont la flamboyante chevelure
rousse se marie si magnifiquement avec la couleur diabolique de ces chaussures
légendaires.
Légendaire, oui, parce qu’il faut bien revenir sur l’intrigue de ce ballet et la
signification de ces chaussons rouges. The
Red Shoes, c’est d’abord un conte de Hans
Christian Andersen. Comme expliqué dans le film, il raconte l’histoire
d’une jeune fille qui, irrésistiblement attirée, acquiert des souliers rouges
conçus par le cordonnier démoniaque de la ville : elle dansera, encore et
encore, d’abord avec plaisir puis jusqu’à l’épuisement et, finalement, la mort – oui,
Andersen est assez morbide...
Dans le film, les deux intrigues se rejoignent et se confondent lors
du ballet, et la destinée de Vicky se rapproche de plus en plus de celle de
l’héroïne qu’elle incarne. Sa passion pour la danse a été comblée grâce aux Chaussons Rouges, comme dans le conte où
l’héroïne danse tout son saoul. Mais vient un moment où le ballet dont elle est
la star ne la laisse plus exister par elle-même : elle est destinée à
danser encore et encore The Red Shoes,
y consacrer entièrement sa vie. Ce qui, selon Lermontov, le mentor de Vicky et seul
dépositaire des droits de la pièce, est incompatible avec son amour pour Julian
Craster : Lermontov, tel le cordonnier du conte, la poussera donc éternellement à remettre les chaussons rouges, forçant Vicky à faire un choix impossible entre ses deux amours...
Anton Walbrook, qui
interprète Lermontov, livre d’ailleurs une prestation très solide et capte
bien toute la complexité dramatique de son personnage. Génie absolu aux
créations merveilleuses, c’est un passionné, obnubilé par son art, et qui
réclame la même implication absolue à ses interprètes, notamment envers Vicky :
il la regarde avec tellement de ferveur qu’on en vient à se demander s’il pense
seulement à en faire la plus grande danseuse de tous les temps, ou s’il n’a pas
en plus des sentiments pour elle. Froid et calculateur, il est en cela opposé
au bouillant jeune compositeur Julian Craster, joué par Marius Goring. Si celui-ci retranscrit particulièrement bien la
passion de son personnage pour la musique et la fougue qui l’anime, il est tout
de même dominé par le charisme manipulateur de Lermontov, qui usera de toute
son influence pour empêcher sa romance avec Vicky.
Quant à Moira Shearer (Vicky
Page), elle illumine véritablement le film par son charme fou et ses qualités
de danseuse qui rendent sa performance si crédible – au moins, cela évite d’abuser
de plans serrés où l’on se demande toujours si c’est bien l’actrice que l’on
voit ou sa doublure. En tant qu’actrice, Shearer a su retransmettre les émotions
vécues par une jeune femme désireuse de devenir ballerine professionnelle :
tour à tour pleine d’espoirs puis de frustrations, séductrice puis bornée,
joyeuse puis torturée, elle délivre une très belle performance, assez
exceptionnelle d’ailleurs pour une novice en la matière – ce qui témoigne
également de la qualité des réalisateurs concernant la direction des acteurs.
Conclusion
Powell et Pressburger ont donc fait un excellent travail sur ce film, certainement pour moi leur meilleure collaboration : plus ambitieuse,
plus flamboyante, plus novatrice dans la manière de filmer le ballet et de
l’incorporer à une production cinématographique pour en faire une œuvre à part
entière. Visuellement, The Red Shoes
est un chef d’œuvre et, symboliquement, il évoque à merveille la passion que
suscite un art comme le ballet, de même que, finalement, la folie inhérente à
tout génie artistique qui peut se révéler autant créatrice que destructrice.
NOTE : 8,5/10