Au chapitre de
l’élégance, la constance a un nom : Bennett. C’est peu dire que la blonde
Constance (1904-1965), l’aînée des sœurs Bennett (Joan, la brune, étant la plus
célèbre) a su développer au cours de sa carrière un style d’une sophistication
rare, entre mélodrames et comédies loufoques. Si sa sœur a imposé sa griffe de
femme fatale dans le film noir des années 40, Constance a percé plus tôt et a
connu ses heures de gloire dans les années 30. A son aise dans des rôles de
jeune femme mondaine, elle charme par ses airs faussement pincés, ses œillades
sarcastiques, et de sa belle voix rauque domine avec aisance de ses répliques ses
partenaires masculins.
What
Price Hollywood?, les
dessous de l’usine à rêves
Un film de George Cukor (1932), avec Constance
Bennett, Lowell Sherman et Neil Hamilton.
L’histoire
: Mary Evans (Constance Bennett), une jeune serveuse, est propulsée au rang de
star de cinéma avec l’aide et la complicité de Max Carey (Lowell Sherman), un
réalisateur à la carrière déclinante qui sombre peu à peu dans l’alcool, tandis
que sa protégée prend son envol.
Première ébauche
de A Star is Born (Une étoile
est née), What Price Hollywood?
allie le comique au tragique pour lever le voile sur les coulisses de l’univers
cinématographique américain. Le film a le mérite de montrer dans un même
mouvement le rêve fabuleux procuré par Hollywood (l’ascension fulgurante de
Mary) et le cauchemar dans lequel un faux pas peut plonger subitement une
carrière (la déchéance du réalisateur alcoolique). Surtout, le film met en
exergue le dilemme moral d’une telle industrie : si Mary obtient le succès
tant espéré, c’est en pliant sa vie aux contraintes du système (incarné par le
producteur, tellement cynique que c’en est drôle). Si le cinéma fait la gloire
de certains, il peut leur reprendre leur dignité en un claquement de doigts.
Tel est le message d’un film étonnamment moderne à une époque où les studios
sont tout puissants.
Dotée d’un rôle
de géante, Constance Bennett ne laisse pas passer l’occasion de donner une
performance inoubliable. Combative, elle incarne avec brio cette jeune femme
qui accède à la célébrité avec son cortège de noirceurs. Je retiens surtout la
facilité qu’elle a de passer d’un personnage de serveuse entreprenante et
taquine à celui d’une diva exubérante et enfant gâtée. La transformation est saisissante.
La relation de
Mary avec les hommes, et en particulier son réalisateur fétiche, est également
l’une des trames motrices du film. La complicité Constance Bennett / Lowell
Sherman est source de rire tout autant que de larmes, et le tout a de quoi
rendre l’expérience marquante pour le spectateur.
Topper, rien ne sait mourir comme les bons
vivants
VF : Le couple invisible. Un film de
Norman Z. McLeod (1937), avec Constance Bennett, Cary Grant, Roland Young et
Billie Burke.
L’histoire
: Un couple mondain et bon vivant, Marion (Constance Bennett) et George Kerby
(Cary Grant), meurt subitement dans un accident de voiture. Devenus des
fantômes, les facétieux époux décident d’aider - à leur façon - le banquier
Cosmo Topper (Roland Young), un homme aux manières très guindées, à enfin
profiter de sa vie.
La fin des
années 30 voit Constance se jeter à corps perdu dans le genre qui lui sied
probablement le mieux : la screwball
comedy, ou comédie loufoque. Avec un style qui tient du Marlene Dietrich et
du Carole Lombard tout à la fois (!), elle détonne au bras du futur spécialiste
du genre, Cary Grant, qui brillera la même année dans The Awful Truth.
Topper permet à la belle de jouer non seulement
sa partition la plus célèbre, mais surtout de donner chair à l’héroïne certainement la plus
représentative de son style de jeu le plus abouti. Comme son époux, Marion Kerby est adepte du
carpe diem (cf. la très belle scène avec l’inévitable pianiste Hoagy
Carmichael), mais elle n’en est pas moins une dame indépendante, qui se passe
de l’autorisation de son mari pour faire ce qu’il lui plaît (ce qui contraste
avec l’attitude de Topper, soumis aux diktats de sa femme).
En campant une femme libre, séductrice et volontaire, Constance capte l’humour et par là-même toute l’âme du film. On peut citer comme petites perles comiques provoquées par l’inénarrable jolie mondaine la jalousie du personnage (fantôme !) de Cary Grant ou encore l’embarras du pataud et timide Topper, vraiment irrésistibles. Et il y a de quoi, au vu de l'ampleur de la sensualité déployée, à grand renfort de poses lascives. Ce n'est pas sans rappeler le Pré-Code, ce qui n'est pas pour me déplaire.
En campant une femme libre, séductrice et volontaire, Constance capte l’humour et par là-même toute l’âme du film. On peut citer comme petites perles comiques provoquées par l’inénarrable jolie mondaine la jalousie du personnage (fantôme !) de Cary Grant ou encore l’embarras du pataud et timide Topper, vraiment irrésistibles. Et il y a de quoi, au vu de l'ampleur de la sensualité déployée, à grand renfort de poses lascives. Ce n'est pas sans rappeler le Pré-Code, ce qui n'est pas pour me déplaire.
Merrily
We Live, la
classe folle de l’excentricité
VF : Madame et son clochard. Un film
de Norman Z. McLeod (1938), avec Constance Bennett, Brian Aherne, Billie Burke
et Alan Mowbray.
L’histoire
: Une riche mère de famille a pour manie de prendre à son service tout clochard
qu’elle rencontre. Alors que le dernier en date s’est enfuit avec l’argenterie
de la maisonnée, le reste de la famille n’aspire qu’à ce que cette habitude
cesse. Mais lorsqu’un jeune homme en haillons, Wade Rawlins (Brian Aherne), se
présente à sa porte, la fantasque Mrs Kilbourne (Billie Burke) ne peut
s’empêcher de lui proposer un poste de chauffeur, au grand dam de sa fille
aînée, la pétillante Jerry (Constance Bennett).
Je mentionnais
Carole Lombard, et la comparaison prend tout son sens s’agissant de Merrily We Live, au scénario
proche de My Man Godfrey
(un film de 1937 dans lequel la « Reine de la Screawball Comedy » a donné
probablement sa performance la plus légendaire), puisque la première actrice
pressentie pour ce rôle était… Constance, of course ! Ce n’était que
partie remise, puisqu’un an plus tard voilà notre Constance en fille aînée d’une
famille particulièrement déjantée.
Contrairement à My Man Godfrey ou You Can't Take It With You, cette
fois-ci seule la mère mérite réellement le qualificatif de dingue, mais à un point tel qu’elle en vaut bien dix. Billie Burke est
absolument iconique dans ce rôle, quitte à en faire parfois presque trop. Son
type de jeu, assez délicieux, n’est pas sans rappeler les différentes
incarnations de la mère d’Elizabeth Bennett (décidément !) dans Orgueil et
Préjugés (avis aux amateurs !). Le majordome, joué par un Alan Mowbray à
son plus drôle, est fabuleux : sa méfiance instinctive envers les
mendiants ramenés par sa Maîtresse vaut son pesant d’or.
Riche en quiproquos
subtilement dosés, Merrily We Live
vaut principalement pour l’alchimie indéniable qui émane du duo de choc Constance
Bennett / Brian Aherne. La rencontre entre la riche et sophistiquée Jerry et l’homme
venu de nulle part arborant une barbe de trois jours fait des étincelles.
Marivaudage très réussi, leur relation est d’un bout à l’autre une sorte de jeu
de l’amour et du hasard remis au goût du jour (enfin, des années 30 !). En
cela le film diverge grandement d’un My
Man Godfrey, d’autant que Constance campe de loin le personnage le plus
sensé du lot, ce qui rend son attitude envers Rawlins encore plus savoureuse.
Le tout est bien
évidemment d’une classe folle (bien sûr !), ce qui ne peut que faire regretter
que l’actrice ait vu à ce moment sa carrière s’éteindre à petit feu, au moment
même où celle de sa sœur Joan décollait. Qu'importe, l'œuvre que Constance Bennett laisse derrière elle mérite qu’on
se rappelle d’elle, la blonde hollywoodienne qui détenait le secret de l’élégance.