Suite de notre trilogie consacrée à l'année 1940. Après les meilleures actrices, voici nos choix concernant les meilleures performances d'acteurs.
Cinquième
Place
Ce n’est peut-être pas la plus originale des performances de cette liste, mais Olivier fait du Olivier, et le rendu final est donc très solide. Face à la Mrs de Winter timide et romantique de Joan Fontaine, Laurence Olivier est l’aristocrate mystérieux : un homme qui, après une première partie où il fait figure de fiancé idéal, dévoile un aspect beaucoup plus tourmenté dès l’arrivée dans sa demeure de Manderley. A la fois sombre et élégant, secret et attentionné envers sa compagne, le personnage de Mr de Winter participe à l’ambiance et à la réussite de ce film du Maître Hitchcock : de quoi valoir à Olivier une nomination méritée au "prix" du meilleur acteur pour cette année 1940.
J’aime beaucoup Charles Boyer quand il joue ce genre de rôles. L’acteur incarne le duc de Praslin, un homme malheureux dans son mariage qui va tomber sous le charme de la gouvernante de ses enfants (Bette Davis). Roide et statique, Praslin exprime la force de ses sentiments, interdits dans ce monde figé de l’aristocratie française de la Monarchie de Juillet, par l’intensité et l’expressivité de son regard. Et Boyer est l’un des acteurs les plus brillants dans ce domaine, avec comme apothéose sa prestation dans Gaslight (1944). Malgré les défauts inhérents à un (bon) « mélodrame davisien », le personnage est vraiment bouleversant, tant dans sa relation à ses enfants qu’à leur gouvernante.
Quatrième
Place
J’avais déjà nommé Margaret Sullavan dans la catégorie de la meilleure actrice pour The Shop Around the Corner, et voilà donc James Stewart du côté des acteurs. Si sa prestation est assez typique de ses rôles de l’époque – cf. Vivacious Lady –, il émane quelque chose de particulier de cette performance. Comme si le rôle de Mr Kralik ne pouvait être mieux joué, comme si seul Stewart pouvait personnifier à ce point ce jeune homme idéaliste, employé modèle et dévoué dont l'esprit, pourtant, aspire à plus, et est tout entier tourné vers la femme idéale avec qui il communique par lettres interposées. Si The Shop Around the Corner est aussi réussi, c’est donc également parce que James Stewart en est l’âme. Probablement la meilleure performance de l’acteur avant-guerre.
Certes, le jeune James Stewart reste sensiblement sur la même partition dans la plupart de ses films. Il est le prototype du gendre idéal un peu dégingandé, comme un peu gêné de se retrouver devant une caméra. Même s’il reproduit ce type d’attitude qui fait sa marque de fabrique dans The Shop Around the Corner, il fait réellement l’effort de composer son personnage. « Mr. Kralik », comme aime à le dire Margaret Sullavan, est unique. Dans le petit monde à l’ambiance nostalgique concocté par Lubitsch, Stewart mène la danse. Ne vous fiez pas à son apparence timide et maladroite, Kralik imprime sa partition et dirige les événements à sa guise. Stewart est donc à son aise pour briller avec toute sa délicatesse et la tendresse qu’il voue à Margaret Sullavan. Son jeu d’acteur, comme celui de sa partenaire, concourt à donner vie au merveilleux univers lubitschien.
Troisième
Place
Avec James Cagney, le niveau de cette sélection, pourtant déjà excellent, monte d’un cran : parce que Cagney, dans City for Conquest, est absolument remarquable dans le rôle d’un homme qui, dévoué à son frère et à la femme qu’il aime, se tourne vers la boxe pour accomplir leurs rêves. La boxe comme chemin vers la gloire, c’est assez classique mais la recette fonctionne encore une fois ici : James Cagney respire de charisme mais sait également se montrer extrêmement touchant en interprétant cet homme marqué par la vie. Un rôle fort, joué tout en subtilité et qui permet à Cagney de se rapprocher très fortement de la deuxième place de ce classement...
Maître du film de cape et d’épée, Errol Flynn ne déroge pas ici à sa réputation. Dans l’un de ses meilleurs films, il incarne un corsaire au grand cœur et au service de la reine d’Angleterre, et qui passe à l’abordage de navires espagnols s’en revenant d’Amérique. L’acteur m’a pour tout dire très agréablement surpris, en dégageant un charisme chaleureux et une véritable classe (ses duels à l’épée valent le détour). Ses tête-à-tête avec les dames sont toujours savoureux et non dénués d’humour, en particulier lorsqu’il se retrouve face au regard inquisiteur mais bienveillant de l’austère Elisabeth Ière. Du grand art.
Deuxième
Place
The Grapes of Wrath est un film tellement marquant de son époque, et tellement bien réalisé – j’en reparlerai dans la catégorie des meilleurs films -, qu’Henry Fonda pourrait passer presque inaperçu au sein de cette grande œuvre : après tout, il n’est qu’un acteur parmi d’autres dans cette fresque sociale qui ne fait de lui que le premier des nombreux personnages dont elle raconte le destin. Plus que d’un personnage, plus que d’une famille, c’est presque de toute l’Amérique dont il est d’ailleurs question…
Cependant, en
revoyant le film, c’est justement là que Fonda est remarquable : il
n’est pas Henry Fonda, l’acteur : il « est » et incarne
véritablement Tom Joad, simple Américain dont la famille est poussée sur les
routes par la misère. Il n’est pas pour autant privé de « grandes »
scènes, notamment lors de son discours - adressé tant à sa mère qu’à nous-mêmes -, peu
avant le dénouement : « I'll be all around in the dark. I'll
be everywhere. Wherever
you can look, wherever there's a fight, so hungry people can eat, I'll be
there… ». Fonda,
dans sa voix et plus encore dans son regard, donne une dimension épique,
presque inquiétante à la scène. Et par sa performance, rend le film encore plus
« mythique » - dans tous les sens du terme…
Quoique pas aussi mémorable que Rosalind Russell dans le même film, Cary Grant n’en est pas moins brillant avec cette excellente et définitive caricature du journaliste sans scrupule. Même si Grant fait du Grant, et que les ressorts de son talent comique sont toujours les mêmes au fil de ses films, il est difficile de s’en lasser. Dans His Girl Friday, il s’offre en plus le luxe de rendre particulièrement sympathique un personnage assez malsain, cynique et manipulateur. Le résultat est une prestation remarquable, probablement l’une de mes favorites de l’acteur.
Première
Place
Le meilleur d’entre tous, en cette belle année 1940, c’est donc Charlie Chaplin. Et comment aurait-il pu en être autrement, tant sa prestation est grandiose, dans un film grandiose. Car comme toujours, Chaplin fait du Chaplin, et comme toujours, c’est remarquable : techniquement, sa capacité à improviser et à tourner ses scènes d’une seule traite est impressionnante (mais comment diable fait-il, lors de cette scène mythique du « rasage en musique » ?!), et pour corser le tout, il doit également interpréter deux personnages. Au tyrannique Hynkel, Chaplin réussit à donner une dimension tellement comique qu’il en est ridicule, sans jamais faire oublier la menace terrible qu’il représente. Le barbier, quant à lui, est tellement humain qu’il n’apparait, à l’inverse, jamais ridicule : pris dans les tourments de l’Histoire (il participe d’ailleurs à la Première Guerre Mondiale...), il trace son chemin avec une grande naïveté qui suscite l’affection bien plus que la moquerie. Car Chaplin est un magicien, naviguant sans cesse entre comédie et dénonciation, entre rire et émotion, comme si rien n’était plus facile : toujours juste.
Victoire assez évidente pour Charlie Chaplin cette année, puisque Le Dictateur est à juste titre l’une de ses prestations les plus renommées. Comme à son habitude, il incarne à lui seul le film et nous régale de scènes mythiques. Qui plus est, il parvient à varier son jeu en interprétant deux personnages, le dictateur et le barbier. Avec le premier, il est presque terrifiant lorsqu’il imite les discours de Hitler, mais le ramène toujours au ridicule, un ridicule d’ailleurs assez fin pour ne pas virer à la farce. Quant au barbier, le héros maladroit qui n’a jamais rien demandé, il est mémorable ne serait-ce que dans la fameuse scène du rasage, où Chaplin est proprement impressionnant. Rien que cette scène lui offre la place de numéro un incontesté.
Six finalistes pour moi: Charlie Chaplin, Errol Flynn, Henry Fonda, Cary Grant, Laurence Olivier et James Stewart pour le Lubitsch. Concernant Chaplin, je préfère généralement le réalisateur à l'acteur, mais je suis réellement ébloui par son double-rôle ici, qui devrait sans doute lui valoir la première place dans ma propre liste. Ses concurrents me surprennent moins et je les aime tous davantage dans d'autres rôles. Je prends néanmoins note pour James Cagney que je n'ai pas vu!
RépondreSupprimerPour ma part, c'est amusant, mais j'ai une nette préférence pour l'acteur Chaplin par rapport au réalisateur, en ce sens qu'il est vraiment unique et mythique quand il est à l'écran.
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