Premier épisode d'une trilogie dédiée à l'année 1940, cet article met en regard les cinq meilleures performances d'actrices de l'année selon chacun des deux auteurs de ce blog. L'objet de ce type d'article est de comparer nos préférences et d'élire nos films et performances favoris. Rêvons un peu : en lieu et place des Oscars, nous déclarons ouverts les "Films Classiques Awards" 1940 !
Cinquième Place
- Fu Manchu sélectionne… MARGARET SULLAVAN pour The Shop Around the Corner
The Shop Around the Corner est un de ces films qui excellent sur tous les plans : son atmosphère surannée, ses répliques dotées d’un humour fin qui font mouche à chaque coup… ou encore l’alchimie dont font preuve ses deux acteurs principaux, James Stewart et Margaret Sullavan.
Face à son « Mr
Kralik » qu’elle pense à tort insignifiant, Sullavan, dans son interprétation
du personnage de Klara Novak, se montre tour à tour pleine d’indifférence, de
condescendance, d’espoir ou de compassion. Surtout, ses airs affectés face à la
supposée bêtise du pauvre Kralik sont des sommets comiques du film (« Mi-ster
KRALIK !... It is true we’re in the same room, but we’re NOT in
the same planet ! »), et ses répliques sont un régal.
Une très belle
performance pleine de charme et d’esprit qui permet donc à Margaret d’obtenir
une nomination bien méritée pour ce qui constitue probablement son meilleur
film, malgré une grosse concurrence.
Après le coup de maître interplanétaire de l’année précédente, Vivien Leigh en remet en couche en 1940 en incarnant une héroïne déjà brillamment interprétée par Mae Clarke en 1931. Si j’ai une préférence pour la performance de cette dernière, il n’en reste pas moins que Vivien mérite absolument de figurer dans ce classement, et de devancer (de peu) Katharine Hepburn pour son rôle peut-être un peu trop théâtral dans The Philadelphia Story.
Je retiens
surtout l’émotion dégagée par l’actrice, portée par une atmosphère
mélodramatique puissante. Je rejoins d’ailleurs Fu Manchu qui dans son article sur le film vantait la capacité de Vivien d’exprimer sur son visage tout ce que
son personnage ressent en quelques dixièmes de secondes. Ces instants
« spécial Vivien » sont légion dans Waterloo Bridge, pour mon plus grand plaisir.
Quatrième
Place
- Fu Manchu sélectionne… GREER GARSON pour Pride and Prejudice
Greer Garson est l’une de mes actrices préférées, et il est donc assez logique de la retrouver dans cette liste pour l’année 1940. Greer venait d’accéder à la notoriété l’année précédente en incarnant l’adorable Mrs. Chips dans Goodbye Mr. Chips (1939), et c’est dans un rôle tout en continuité qu’on la retrouve en 1940 : son Elizabeth Bennett est une jeune femme belle et vive d’esprit, douce et forte à la fois, intelligente et sachant tenir tête aux hommes.
Face à un
Laurence Olivier qui était né pour incarner le gentleman Darcy, Greer se montre
à la hauteur d’un rôle qui n’était pas si évident que cela pour elle : incarner
une jeune femme à presque 40 ans (et être crédible !) n’est pas chose aisée, et
pourtant sa fraîcheur et sa joie de vivre nous conquièrent dès le début du
film.
En bref, si
cette première version au cinéma d’Orgueil et Préjugés est une vraie réussite
malgré les quelques « entorses » faites au récit originel, elle le doit en
grande partie - outre le charisme de Laurence Olivier et l’humour de ses
personnages secondaires – à la performance pleine de charme de Greer Garson.
Le film est un chef d’œuvre, et l’un des piliers de cette œuvre est le couple James Stewart / Margaret Sullavan, dont l'entente fait des merveilles. A l’instar de Stewart, Margaret Sullavan compose une Klara Novak particulièrement attachante. Ce rôle est d’ailleurs probablement le sommet de sa carrière. Notons à ce propos que les deux acteurs apparaissent la même année (1940) dans un autre bon film, The Mortal Storm, de Frank Borzage. Si je les préfère dans ce Lubitsch, la magnificence exquise et légèrement désuète du film aidant, ils sont également très à leur aise chez Borzage.
La performance
de Margaret est ici d’autant plus remarquable qu’elle parvient à exceller dans
des registres divers : douce et adorable quand elle évoque sa liaison
épistolaire, piquante et drôle quand elle titille James Stewart, Klara est
façonnée avec le doigté d’une artiste, qui concourt avec sa prestation à
renforcer la subtilité et la délicatesse forgées par la réalisation d’Ernst
Lubitsch.
Troisième
Place
- Fu Manchu sélectionne… BETTE DAVIS pour The Letter
Bette Davis, reine des mélodrames, sévit cette fois dans un véritable film noir avant l'heure, imprégné tout du long par une prenante et étouffante ambiance tropicale qui sied admirablement bien au sujet de l’œuvre.
C’est dans cette atmosphère pesante que Bette Davis peut dévoiler
tout son art, avec un jeu tout en subtilité, où alternent froideur et chaleur
humaine, où le mensonge se confond avec la réalité. Si bien que l’on est
totalement pris dans l’intrigue : Leslie Crosbie a-t-elle sciemment tué un
homme ou était-ce un accident ? Dit-elle la vérité ou manipule-t-elle tout le
monde ? Le jeu tout en nuance de Bette Davis sème le doute, au gré des
rebondissements de l’intrigue, et rend son personnage fascinant.
Si Bette Davis
n’aura pas souvent ma préférence dans mes classements (encore que, des
nominations, elle en aura !), il faut reconnaître que ses collaborations avec le réalisateur William Wyler (Jezebel, The Letter et The Little Foxes, dans l’ordre
chronologique) ont toutes été des réussites, en grande partie grâce à la
performance de Davis, qui démontre à chaque fois quelle grande actrice elle
était…
J’ai une histoire contrariée avec Bette Davis, puisque loin de l’enthousiasme de la gente cinéphile, qui adore les mélodrames davisiens (où l’actrice joue quasiment à coup sûr une vieille fille à qui va arriver tout plein de malheurs), je reste le plus souvent de marbre, quoique ses films soient de bonne qualité en général. Cependant, au fur et à mesure de mes découvertes cinématographiques, je me suis aperçu d’une chose : William Wyler met en valeur Bette Davis et me fait aimer ses films.
Dans The Letter, Bette Davis éclate de
mille feux, en tout cas à mes yeux : elle est génialement mise en lumière
par le réalisateur, et ce au propre comme au figuré, puisque les éclairages au clair
de lune de début et de fin de film, qui créent une atmosphère assez proche de
celle que le film noir mettra en place dans la décennie à venir, sont vraiment
sublimes.
Je dois trouver
Bette Davis plus convaincante en femme dure ou machiavélique, car loin de ses
rôles types de vieilles filles au tempérament sacrificiel, l’actrice adopte
d’emblée une attitude menaçante : elle tue un homme sur le perron de son
bungalow, dans la nuit du Singapour colonial, avant de se proclamer en état de
légitime défense. Le film ayant pour objet de tester la véracité de cette
affirmation, Davis compose une femme figée, froide, d’âge indéterminé, et
pourtant pleine d’humanité, comme l’illustre son regard très expressif, qui ne
cessera pas de fasciner.
Bette Davis est
ici immensément charismatique, sans même besoin d’envolées lyriques. La
célèbre tirade de fin de film – “With all
my heart, I still love the man I killed” – ne fait qu’ajouter au mythe.
Deuxième
Place
- Fu Manchu sélectionne… JOAN FONTAINE pour Rebecca
Joan Fontaine, c’est l’actrice romantique par excellence. Pas de la comédie romantique, non, du vrai romantisme, de ces films où les vieilles pierres respirent, où le mystère demeure, où le drame du passé peut surgir à tout instant… le tout saupoudré d’une romance, bien entendu ! La voir réussir dans Rebecca est donc tout sauf une surprise, et le charme et la candeur « fontainiens » font merveille dans ce film, face au charisme ténébreux de Laurence Olivier.
Cela dit, si
Joan Fontaine fait du Joan Fontaine, mérite-t-elle une deuxième place dans
mon classement de la meilleure actrice 1940 ? Bien que talonnée de près par
Bette Davis, j’aurais tendance à répondre que oui, car si elle évolue dans son
registre habituel, elle y excelle, bien dirigée en cela par Hitchcock : jeune
fille timide et hésitante, amoureuse de son homme, la Mrs de Winter de Joan
Fontaine évolue dans le plus pur style de son interprète, tout en douceur,
prenant petit à petit de l’assurance face à la redoutable Mrs Danvers. Malgré
des hauts et des bas, l’héroïne parvient à son destin, et au milieu d’une
intrigue captivante, Joan Fontaine sait nous convaincre : oui, elle donne
bien l’une de ses meilleures performances dans ce film, qu’elle domine à sa manière. De quoi en faire une sérieuse prétendante à l’Oscar, et
de ne pas regretter l’absence de Vivien Leigh, qu’Olivier avait fortement
réclamée pour interpréter ce rôle…
Si Rebecca est avant tout une très jolie composition d’ambiance gothique signée le Maître (Alfred Hitchcock), le film doit beaucoup à Joan Fontaine, l’actrice parfaite pour jouer un personnage type romantique / timide / en danger. Il est amusant de noter que le personnage le plus célèbre de la littérature correspondant à ce type, Jane Eyre, a été porté à l’écran par… Joan Fontaine, en 1943.
Dans ce rôle
fait pour elle, celui de Mrs de Winter, Joan Fontaine est parfaite de bout en
bout. Comme je l’indiquais dans mon article sur le film, Joan n’est pour moi
pas une actrice charismatique, ni flamboyante. Ce n’est pas pour autant qu’elle
ne dégage rien, loin s’en faut. Dans Rebecca,
probablement sa meilleure performance, elle est successivement : fraîche
comme une rose qui vient à peine d’éclore, on la verrait presque rosir à
l’écran devant les avances de Laurence Olivier ; inquiète et à l’angoisse
s’accroissant au fur et à mesure de sa découverte du manoir de Manderley, et ce
sans surjouer l’épouvante, puisqu’elle se doit de composer une jeune femme
mesurée ; et enfin, courageuse et déterminée, affrontant ses peurs, tout
en continuant de laisser perler sa délicatesse.
Le tout devient
une Mrs de Winter tout à fait cohérente, plus forte qu’il n’y parait, et donc
une parfaite héroïne de roman gothique du XIXème siècle anglais.
Voir Joan Fontaine se débattre parmi les ombres dans ce beau film vaut bien une
seconde place. Suivez son panache blanc !
Première
Place
- Fu Manchu sélectionne… VIVIEN LEIGH pour Waterloo Bridge
Il est certain que je ne regretterai pas l’absence de Vivien Leigh dans Rebecca, puisque la voici la même année dans un film à sa (dé)mesure : Waterloo Bridge. Un an à peine après Autant en emporte le Vent, Vivien ne s’arrête plus et nous délivre une performance majuscule, que j’avais déjà mentionnée lors d’un précédent article sur Waterloo Bridge.
Insouciante, lumineuse et pleine d’une
gaieté légère quand il s’agit d’évoquer l’âme d’une jeune danseuse amoureuse,
puis incroyablement touchante dans une deuxième partie où se mêlent
vulnérabilité extrême et courage infini, Vivien Leigh est à son meilleur. Et
que dire de l’extraordinaire expressivité de son regard, qui fait des
merveilles dans tout le film, mais plus particulièrement encore dans cette
fameuse scène de la gare, où ses yeux s’animent d’un mélange de surprise,
d’émotion et d’effroi à la vue de Robert Taylor.
Malgré le poids d’une performance mythique un an
plus tôt, Vivien s’impose donc assez naturellement en 1940 : à mes yeux plus
convaincante, plus impressionnante, plus touchante que les autres, rien ne
pouvait l’empêcher de gagner.
Si j’ai déjà eu l’occasion de vanter les mérites de ce film de Hawks dans l’article éponyme, je me dois d’insister une nouvelle fois, et de tresser des lauriers à celle qui fait de ce film une pépite comique irrésistible : Rosalind Russell.
Cette actrice possède
le don de faire rire par une de ses mines faussement sérieuses, le regard en
coin, l’œil pétillant. Dans His Girl Friday, le réalisateur, Howard Hawks, a décuplé son potentiel comique
(et celui de Cary Grant) en la contraignant à débiter son texte extrêmement
rapidement. Si cela demande au spectateur toute son attention pour ne pas en
perdre la moindre miette, l’effort est payant : les dialogues, par
ailleurs brillants de cynisme, font mouche, et le rythme du film en est
considérablement augmenté, ce qui a pour conséquence de renforcer l’atmosphère
de mouvement et de course infinie propre au monde des journalistes amateurs de
scoops.
Hildy Johnson,
que joue Russell, est une femme pleine de contrastes, sur lesquels s’appuie son
interprète pour créer des effets comiques. Journaliste brillante et efficace,
elle se veut honnête, veut quitter son métier et critique les menées de son
compère Walter Burns. Ex-épouse de ce dernier, elle souhaite se marier avec son
contraire, un homme doux qui aspire à vivre dans une ville tranquille de
province.
Rosalind Russell
réussit ici l’un des plus grands rôles de comédie du cinéma américain et mérite
donc à mes yeux de se classer première, et grande gagnante, parmi les actrices,
de cette année 1940.