jeudi 23 avril 2015

Les Petites Perles (3) : Trois joyaux venimeux



Le Général Yen, gai cavalier, poursuit son voyage et arpente les contrées florissantes des années 40 et 50. En guise de perles, il a déniché tout heureux trois véritables joyaux. Et ce au péril de sa vie, car une morsure n’est jamais loin avec…


THE LITTLE FOXES – La vipère

Film de 1941, réalisé par William Wyler, avec Bette Davis, Herbert Marshall, Teresa Wright et Dan Duryea.


L’histoire : Dans le Vieux Sud du début du 20ème siècle, Regina et ses deux frères tentent d’assouvir leur ambition et leur cupidité par tous les moyens. Pour parvenir à ses fins, elle n’hésite pas à manipuler ses proches, à commencer par sa propre fille, la naïve Alexandra.

Avouons-le d'entrée, je suis loin d’être le plus grand fan de Bette Davis, une actrice qui, par son jeu, me laisse souvent assez indifférent, quoique son talent ne fasse objectivement aucun doute. Mais il arrive – et ce n’est pas rien – qu’elle dégage une étincelle, un je-ne-sais-quoi de plus que dans la majorité de ses films, qui me fait totalement adhérer à sa performance. Cette étincelle, je la retrouve dans The Little Foxes, au titre français pour une fois bien inspiré : « La Vipère ».

Alors bien sûr, si cette grande actrice me plait dans ce film, la palme en revient en grande partie au réalisateur, sans oublier le reste du casting. William Wyler est certainement un des cinéastes classiques que je préfère. On lui doit ainsi des pépites comme The Best Years of Our Lives, Wuthering Heights, Roman Holiday, mais aussi, puisque l’on parle de Bette Davis, Jezebel, le premier rôle stratosphérique de la dame.  

“You'll wreck the town, you and your brothers. You'll wreck the country, you and your kind.”

Dans The Little Foxes, Wyler nous brosse un tableau familial comme je les aime, sis dans une petite ville provinciale sudiste. La famille dont il s’agit, les Hubbard, est dépeinte comme un véritable clan aristocratique, qui plus est honni par ses voisins, qui en font à vrai dire une bête maléfique tapie dans leur contrée. A sa tête, Regina et ses deux frères : des ambitieux, des malins, des cyniques. Les « éléments rajoutés » de la famille (épouses, mari) sont des victimes qui ont été pris dans les filets de ces vampires modernes. Bette Davis domine la fratrie de toute sa splendeur en incarnant cette marâtre sudiste froide et calculatrice aux faux airs de belle-mère de Cendrillon. D’un charisme détonnant, son personnage est jouissif dans ses confrontations avec ses frères et ses petites manigances. On la croit tantôt vaincue, tantôt invincible, et j’adore ça.


“The world is open for people like you and me. There is thousands of us all over the world. We'll own the country some day. They won't try to stop us.”

Mais il n’y a pas que Bette Davis dans un film qui regorge de grandes performances et de dialogues croustillants (« Do you like me? / Not today. / I’ll come back tomorrow! »). Herbert Marshall lui vole presque la vedette dans le rôle de son mari, un homme malade et pourtant fort. Il est brillant dans son incarnation d’une figure sage, tranquille mais déterminée. L’opposant parfait à Davis. Il est aussi touchant avec sa fille, Alexandra (surnommée « Zan »), jouée par une adorable Teresa Wright, très convaincante dans le tout premier rôle de sa carrière – et l’un de ses meilleurs. Car Alexandra est la fille sous influence, couvée par sa mère, mais pas encore « corrompue ». Au sortir de l’adolescence, elle commence à découvrir le monde. Son évolution et ses choix forment l’autre trame motrice du film.

Pour finir, mention spéciale à la scène finale, un chef d’œuvre absolu…


CAT ON A HOT TIN ROOF – La chatte sur un toit brûlant

Film de 1958, réalisé par Richard Brooks, avec Elizabeth Taylor, Paul Newman et Burl Ives.


L’histoire : Dans le Sud des Etats-Unis, une riche famille se déchire. Rien ne va plus entre Maggie et Brick, un jeune sportif à la carrière brisée, alcoolique et repoussant les ardeurs de sa femme. En brouille avec son père, il apprend que celui-ci, qui ignore son sort, est mourant...

Cat on a Hot Tin Roof a des allures de huis-clos, et ce n’est certainement pas un hasard pour un film basé sur une pièce de théâtre. Ambiance étrange que celle de cette villa du Sud profond (encore !), où les vieux chants confédérés de garnements insupportables s’allient aux couleurs un peu désuètes des robes des femmes et des décorations de la petite fête donnée en l’honneur du patriarche. L’ambiance est lourde, le temps est à l’orage. Et l’orage va éclater.

“You know what I feel like? I feel all the time like a cat on a hot tin roof.”

Toute la richesse du scénario est de déclencher la tempête sur plusieurs fronts. Tout dans cette famille semble surfait, les relations ne sont cordiales qu’en surface, et l’hypocrisie règne en maître. Le frère de Brick et sa femme ne sont-ils pas venus pour préserver leur part d’héritage ? Le personnage de Brick, justement, est central à l’histoire : chouchou de son père, il est pourtant en froid avec lui et le critique ouvertement ; son couple est en crise, et il rejette sa femme Maggie pour des raisons qu’elle ignore.

“And you say he left you nothing but a suitcase with a uniform in it?”

La relation père – fils est pour moi la plus grande réussite de Cat on a Hot Tin Roof. Paul Newman (Brick) et Burl Ives (le père, « Big Daddy ») sont absolument grandioses quand ils s’adressent l’un à l’autre, en particulier lors d’une scène sublime à la cave, sur une musique fabuleuse. Un de mes plus grands moments de cinéma, qui justifie à lui-seul de voir un film qui abuse parfois d’un rythme d’escargot.

L’autre atout du film est bien entendu « Maggie the Cat », jouée par Elizabeth Taylor, un rôle fait sur mesure pour l’actrice qui « miaule » presque à l’écran en usant d’une petite voix suraiguë. Elle est plus sensuelle que jamais pour incarner une épouse frustrée sexuellement par son mari. Ce chat-là se hisse à la hauteur des deux protagonistes masculins, et la féminité exacerbée de Taylor répond aux débordements machos et à la violence à peine contenue des hommes.


THE SNAKE PIT – La fosse aux serpents

Film de 1948, réalisé par Anatole Litvak, avec Olivia de Havilland, Leo Genn, Celeste Holm et Mark Stevens.


L’histoire : Une femme se retrouve internée dans un hôpital psychiatrique sans avoir le souvenir d’y être jamais entrée.

The Snake Pit est le film qui m’a définitivement fait aimer Olivia de Havilland. Film assez dur, il raconte la vie d’une détenue internée psychiatrique, Virginia Cunningham. Cet asile ne diffère d’une prison qu’au vu des médecins et infirmières qui gèrent tant bien que mal les patients. Ce film est passionnant pour l’immersion dans cet univers clos divisé en de multiples « zones » où cohabitent des individus à l’état similaire. Les personnes proches de la réinsertion sont en zone 1. Ils pourront bientôt sortir. Mais tout en bas de l’échelle, c’est l’enfer pour une personne saine : la cauchemardesque « fosse aux serpents ».

“Here I was among all those people, and at the same time I felt as if I were looking at them from some place far away.”

Si j’ai apprécié ce film, c’est d’abord parce que la réalisation brille : on nous laisse « respirer » par des flashbacks révélateurs ; l’état psychique de l’héroïne est constamment comparé à celui des autres patients ; la mise en scène des temps forts du film est révélatrice de la perte de repères de Virginia, ainsi que de ses émotions.

“When there are more sick ones than well ones, the sick ones will lock the well ones up.”

Bien évidemment, ce film est ce qu’il est grâce à la performance de son interprète principale. Olivia de Havilland est sensationnelle dans un rôle tout sauf glamour, ce à quoi elle m’a habitué. Mais ici, elle nous peint une Virginia déroutée et déroutante : on ressent, on vit même, ce que son personnage lui-même éprouve. Et pourtant, on la voit aussi de l’extérieur, à travers les yeux de son médecin et de son mari. C’est là la force du film et de l’actrice : nous faire voir de l’intérieur ce qui d’ordinaire n’est concevable que d’un point de vue externe. Il est très difficile pour le public de s’identifier à une personne en perte de repères, anormale ou même déviante. Il faut donc une grande performance émotionnelle pour faire intérioriser au spectateur le point de vue de Virginia. C’est le cas ici, et je ne peux qu’applaudir l’artiste.