Après Lauren Bacall en août, c’est au tour d’Eleanor Parker (1922 – 2013), l’actrice « aux mille visages [1] », de se voir consacrer sur ce blog une rétrospective de ses meilleures prestations. Ayant à son actif des rôles dans une large panoplie de films, du mélodrame à la comédie musicale en passant par le western, le film d'aventure ou de cape et d'épée, elle était capable de jouer aussi bien une jeune fille timide et effrayée qu'une femme forte et dominatrice.
N°5 : MARY MCLEOD
dans Detective Story
Un film de William Wyler (1951), avec Eleanor Parker,
Kirk Douglas, William Bendix et Cathy O’Donnell.
Son histoire :
Alors que son époux, le détective Jim McLeod, s’acharne contre un médecin
avorteur, la candide Mary lui cache qu’elle-même a subi un avortement…
Si Kirk Douglas donne toute sa matière à Detective Story, tant son
personnage domine par sa psychologie manichéenne et sa violence contenue,
Eleanor Parker l’enrichit en campant son épouse douce et fragile. Cette
relation d’antagonistes est le pivot du film : ce huis-clos d’une journée fait transparaître l’histoire commune du couple en mettant les deux acteurs face à
face.
Eleanor excelle
dans ce type de rôle, qui se rapproche d’une « demoiselle en détresse »
et valorise sa force émotionnelle, une de ses marques de fabrique. Je regrette
cependant qu’elle ne tienne pas plus de place dans l’intrigue : même si elle a été nommée pour l’Oscar de la meilleure actrice, c’est clairement un (bon) second rôle.
N°4 : RUTH
HARTLEY dans Pride of the Marines
Un film de
Delmer Daves (1945), avec Eleanor Parker et John Garfield.
Son histoire
: Lors de la bataille de Guadalcanal, le marine Al Schmid est blessé et
aveuglé. Par orgueil, il refuse de revenir dans sa ville natale où l’attendent
sa famille et sa fiancée, Ruth…
Comme dans Detective Story, le récit se
concentre sur un protagoniste masculin, Al Schmid, interprété par John Garfield. Ayant pour objet l’impact
de la guerre sur la vie des soldats rescapés, Pride of the Marines narre avec brio le tournant que
constitue pour le héros son aveuglement, dû à l’explosion d’une grenade.
Proche par son
contexte de The Best Years of Our Lives, ce film, qui lui est antérieur, va plus loin dans son approche
du soldat infirme. Là où le personnage du manchot et sa relation avec sa
fiancée ne sont abordés qu’en surface dans le film de Wyler, Pride of the Marines explore les doutes existentiels d’un homme
touché dans sa fierté : la blessure de Schmid est à la fois physique (son
aveuglement change sa façon de percevoir le monde) et psychologique
(désorienté, il se sent inutile et craint plus que tout d’être un poids pour
les siens).
Dans ce beau
film, basé sur la vie du « vrai » Al Schmid, le personnage d’Eleanor,
Ruth Hartley, est particulièrement touchant. Eleanor compose une femme à la fois douce et déterminée, ce qui la rend plus passionnante que la Mary McLeod
de Detective Story. Symbole de
la force du personnage, cette scène absolument sublime où, sur un plan large d’un
hall de gare, la jeune femme devance de quelques pas son fiancé qui, guidé par
un frère d’armes, la suit sans le savoir…
N°3 : MARIE ALLEN dans Caged
Un film de John
Cromwell (1950), avec Eleanor Parker et Agnes Moorehead.
Son histoire :
Complice de son époux dans un vol à main armée qui a mal tourné, la jeune Marie
Allen est incarcérée dans une prison pour femmes. Veuve, enceinte et d’un
naturel innocent, elle est confrontée à la cruauté des gardiennes et des autres
prisonnières…
Film éprouvant
mais de grande qualité, Caged semble
proposer un rôle à contre-emploi à l’interprète de Mary McLeod et Ruth Hartley.
On imagine mal une jeune femme au regard doux et à la voix timide figurer
dans une prison aux côtés de femmes dures et à la forte carrure. C’est pourtant
le pari que réussit Eleanor.
Sa Marie Allen
est d’abord d’une candeur à faire fondre n’importe quel glacier des Alpes. Le
contraste avec les vicissitudes d’une vie carcérale est saisissant. Mais si le
film nous montre cette innocence non feinte, c’est justement pour mieux retranscrire
l’évolution du personnage de Marie : dès son entrée dans cette prison
quasi-vivante et videuse d’âme, son destin est tracé.
Eleanor, dont l’atout
est de parvenir à saisir l’émotion juste, montre ici qu’elle sait composer à la
perfection des femmes torturées, dans un rôle dramatique qu’une Bette Davis ne
renierait pas. Ou presque : elle l’a décliné...
N°2 : ELIZABETH RICHMOND dans Lizzie
Un film de Hugo
Haas (1957), avec Eleanor Parker, Richard Boone et Joan
Blondell.
Son histoire :
Atteinte de fréquents maux de tête et insomniaque, Elizabeth reçoit des lettres
de menaces d’une certaine Lizzie. Le psychiatre qui lui vient en aide découvre
qu’elle possède trois personnalités séparées : Elizabeth, l’introvertie,
Lizzie, la dévergondée, et Beth, la bienveillante…
Lizzie. Pas
Lizzie Bennet. Non. Lizzie tout court. Dans ce thriller psychologique, Eleanor
renoue avec le jeu d’actrice complexe de Caged.
Mais en 1957, l’actrice a grandi, et avec elle son talent. Car ce n’est pas une, mais trois Eleanor que nous avons devant nous avec Lizzie.
J’ai vu ce film
il y a peu, après l’avoir longtemps cherché, et je n’ai pas été déçu de l’attente. Plutôt que d’explorer l’ensemble des possibilités liées à
la détention de plusieurs personnalités, le film se concentre (à juste titre) sur un seul aspect : la description du comportement
pathologique d’Elizabeth. Il repose donc entièrement sur la performance de son
actrice principale.
Et ça marche, le
mérite en revenant à une Eleanor brillante : le passage d’une facette à l’autre
lui permet de livrer une palette variée et nuancée d’expressions et de
tonalités antagonistes. Je retiens par exemple cette scène où Elizabeth se lève,
va couper la musique d’ambiance avant de se poster devant une fenêtre ;
mais quand elle se retourne, c’est à une Lizzie au sourire dément que le
spectateur fait face…
N°1 : MARJORIE LAWRENCE dans Interrupted Melody
Un film de
Curtis Bernhardt (1955), avec Eleanor Parker et Glenn Ford.
Son histoire :
Depuis son Australie natale jusqu’en Europe et en Amérique, Marjorie, une jeune
cantatrice australienne, grimpe une à une les marches qui la mènent à la
célébrité. Mais lorsqu’elle est atteinte de la polio, sa carrière est
subitement brisée…
C’est peu dire
que je ne suis pas un amateur d’opéra. Quant aux comédies musicales, je n’apprécie
que celles qui ne se reposent pas entièrement sur la qualité de leurs passages
dansés et/ou chantés. Et pourtant…
C’est dans Interrupted Melody, basé sur la
vie de la soprano Marjorie Lawrence, qu’Eleanor Parker m’a le plus ébloui.
Pourquoi ? Tout simplement parce que c’est dans ce film précisément que l’actrice
développe le plus la multiplicité de facettes qui fait son succès. Si dans
Lizzie, elle joue plusieurs personnages en un, Interrupted Melody lui
permet de varier son jeu de manière encore plus subtile, grâce à un scénario en deux parties bien distinctes, et bien aidée par la diversité bariolée des costumes d'opéra, qui la transforment physiquement d'une scène à l'autre.
La vie fournie
de la chanteuse d’opéra est source d’inspiration pour le talent d’Eleanor, qui en explore les
différentes phases : la jeunesse débordante de vie, pour laquelle elle
rejoue une ingénue, en tempérant sa candeur par un certain enthousiasme ; la
femme séduisante et amoureuse, au caractère bien trempé, proche de son
personnage un peu « frippon » dans Scaramouche, un film de cape et d’épée ; et surtout la
femme à la carrière brisée.
Ce dernier aspect de son jeu est le plus marquant, tant elle arrive à dégager de la force dans sa faiblesse : loin du ton timide d’une Mary McLeod, sa voix exprime alors rage et frustration, et l’on découvre alors tout le charisme dont cette actrice est capable. Ce charisme est présent également dans les nombreuses scènes d'opéra, où Eleanor, bien que doublée, parait très crédible dans sa façon de chanter.
Si Pride of the Marines et Lizzie sont ses films qui me parlent le plus, la prestation la plus réussie d’Eleanor Parker est donc sa Marjorie Lawrence d’Interrupted Melody.
Ce dernier aspect de son jeu est le plus marquant, tant elle arrive à dégager de la force dans sa faiblesse : loin du ton timide d’une Mary McLeod, sa voix exprime alors rage et frustration, et l’on découvre alors tout le charisme dont cette actrice est capable. Ce charisme est présent également dans les nombreuses scènes d'opéra, où Eleanor, bien que doublée, parait très crédible dans sa façon de chanter.
Si Pride of the Marines et Lizzie sont ses films qui me parlent le plus, la prestation la plus réussie d’Eleanor Parker est donc sa Marjorie Lawrence d’Interrupted Melody.