La sémillante Joan Blondell (1906-1979) est l’une des
actrices les plus représentatives du début des années 1930, marquées par deux
phénomènes : l’ère Pré-Code dans
l’industrie holywoodienne et la Grande Dépression dans le monde
« réel ». Ainsi, elle connait son heure de gloire dans des films de
gangsters ou d’escrocs, brillant notamment par son association comique et
sentimentale avec James Cagney, ou encore dans des comédies musicales figurant
le personnage-type de la chorus-girl
désœuvrée et manipulatrice. Actrice joviale à la gouaille aguicheuse, elle s’est
fait une spécialité des rôles de femmes au tempérament affirmé qui ne s’en
laissent pas compter face aux hommes, sans pour autant se départir d’une
féminité très sensuelle et surtout, d’une capacité à susciter l’émotion, bien
aidée en cela par ses grands yeux bleus au pouvoir quasi hypnotique.
Blonde Crazy, la
Belle et le Truand
Un film de Roy Del Ruth (1931), avec Joan
Blondell, James Cagney et Ray Milland.
L’histoire :
Après l’avoir aidée à obtenir un emploi dans un hôtel, Bert, un groom
entreprenant, embarque Anne, une femme de chambre, dans un engrenage de petites
escroqueries, tout en s’efforçant de la séduire.
Blonde Crazy est le film qui permet au duo James Cagney
/ Joan Blondell d’exprimer tout son potentiel, offrant au cinéma Pré-Code l’une
de ses plus belles perles. L’alchimie entre les deux jeunes acteurs est
évidente et, s’ils apparaissent ensemble dans pas moins de sept films, leur
potentiel n’aura cependant jamais été autant exploité qu’ici. La faute
probablement à la fin du Pré-Code, tant leur association en est caractéristique :
lui, le petit escroc malin, aventureux et coureur de jupons ; elle, la working girl ambitieuse, sexy et
indépendante. Ces profils correspondent aux personnages types des deux acteurs
pendant toute la première partie de leur carrière, et pour lesquels ils sont passés à la postérité.
Joan Blondell aura rarement été aussi mise en valeur que dans Blonde Crazy. Des scènes osées pour l'époque renforcent sa capacité d'attraction, tandis que les dialogues lui permettent de montrer l'étendue de sa repartie face à un Cagney plus malicieux que jamais.
Joan Blondell aura rarement été aussi mise en valeur que dans Blonde Crazy. Des scènes osées pour l'époque renforcent sa capacité d'attraction, tandis que les dialogues lui permettent de montrer l'étendue de sa repartie face à un Cagney plus malicieux que jamais.
Le film oscille
entre comédie et drame, alliant l’aura d’impertinence comique qui émane des
deux protagonistes au contexte difficile de la Grande Dépression. Omniprésent
dans les films de Blondell, cet univers de lendemains qui déchantent voit
prospérer les escrocs et amène nos héros à lutter grâce à leur charme et à leur
filouterie. Ces armes bien à eux les rendent attachants et leur permettent
d’espérer atteindre le but de la plupart des personnages de film américains de
cette époque, à savoir une vie meilleure, quoi qu’il puisse leur en coûter.
Blondie Johnson, la
patronne de la pègre
Un film de Ray Enright (1933), avec Joan
Blondell et Chester Morris.
L’histoire :
A la mort de sa mère, Blondie Johnson, une jeune femme sans emploi, décide de
s’enrichir par tous les moyens. A la suite de ses premières escroqueries, elle
se rapproche de Danny, le bras droit du patron de la pègre locale.
Ici, pas de
ressorts comiques, la Dépression produit ses effets les plus noirs, et le ton
est donné d’entrée : l’héroïne quitte son emploi parce qu’elle est
harcelée sexuellement, elle se voit refuser une aide sociale parce qu’elle a
démissionné, et sa mère malade meurt. Difficile de faire plus tragique. « Blondie » Johnson va pourtant se ressaisir en choisissant la
« voie de la facilité », pour paraphraser le discours moralisateur
d’un prêtre et, après de petites escroqueries, elle se met à fréquenter les parrains de la
pègre locale.
Blondie est un
personnage assez fascinant, car c’est l’un des personnages de femme les plus
dominants de tout le cinéma classique. Au pied du mur, dans un milieu masculin et
machiste, elle parvient à devenir indispensable aux hommes les plus dangereux
de la ville, et ce de manière crédible. Elle refuse d'utiliser ses
charmes pour parvenir à ses fins et, en définitive, se révèle plus maligne que ses comparses masculins, jusqu'à tirer les ficelles elle-même. Evidemment, cela implique des sacrifices, et ses
doutes, ses dilemmes et ses choix sont bien soulignés par le scénario.
Joan Blondell,
quant à elle, donne une dimension humaine et fondamentalement sympathique à un
personnage qui aurait pu se révéler vite désagréable à l'écran, ce qui aurait nui au propos du film. Ce rôle est probablement l’un de
ses meilleurs et, fait marquant, bien que sa féminité ne la quitte jamais, elle
joue ici surtout sur son charisme, qui a rarement été aussi développé.
Avouons-le, l’absence d’un véritable alter ego masculin joue à plein : même si Chester
Morris est crédible dans son rôle, son personnage reste au second plan par
rapport à la personnalité de Blondie, ce qui permet de conserver jusqu’au bout
l’image d’une femme forte mais seule, au milieu de toute une galerie d’hommes
sans pitié.
Gold Diggers of 1933, la
Dépression fait son show
Un film de Mervyn LeRoy (1933),
chorégraphies de Busby Berkeley, avec Joan Blondell, Ruby Keeler, Aline
MacMahon, Warren William et Dick Powell.
L’histoire :
Quatre actrices de music-hall sans le sou sont embauchées par un producteur
grâce à l’aide d’un jeune compositeur, qui s’implique dans le spectacle. Mais le
frère de ce dernier ne l’entend pas de cette oreille...
Film emblématique
de la Grande Dépression, Gold Diggers
of 1933 l’est à double titre : il donne voix à des personnages qui
luttent pour vivre comme ils le désireraient (les quatre comédiennes) et, dans les
spectacles de celles-ci, il met en lumière l’état d’esprit de leur public, qui
est aussi celui du film. Certaines phrases ou refrains sont frappants, tels « we want jobs » (nous voulons du
travail) ou « remember my forgotten
man » (« rappelez-vous de mon mari / fils / père que vous avez oublié », autrement dit que vous
avez laissé tomber).
Bien qu’elle ne
soit qu’un des nombreux personnages principaux, Joan détonne dans ce
film : sa personnalité est la plus pétillante, ce qui lui permet de
séduire son audience ; le numéro de fin du « forgotten man »,
l’un des meilleurs du genre, doit amplement son succès à sa capacité à émouvoir
par son regard et sa voix d’une mélancolie à faire pleurer dans les chaumières.
Gold Diggers of 1933 est un bon film car bien équilibré :
les numéros musicaux sont marquants pour le spectateur et participent à l’objet du
film, qui est de parler de son époque de manière ludique ; chacune des
héroïnes a son propre rôle dans le spectacle, en lien avec sa
personnalité ; enfin, les personnages masculins possèdent tous un certain intérêt, et ne sont donc pas de simples supplétifs (Guy Kibbee apporte la
performance comique, Warren William trouve un juste milieu entre sévérité et
empathie, et Dick Powell est au centre de l’intrigue, à la fois intérêt
amoureux d’une des actrices et pièce maîtresse du spectacle).
Et aussi…
- Night Nurse (1931), de William A.
Wellman, avec Barbara Stanwyck : un second rôle qui permet à Joan Blondell de
se mesurer au cocktail explosif du charme et du charisme de la jeune
Barbara Stanwyck ; pari réussi, grâce à leur complicité de jeunes
infirmières qui n’ont pas froid aux yeux.
- Three on a Match (1932), de Mervyn
LeRoy, avec Ann Dvorak, Bette Davis et Warren William : un joli drame qui
raconte les destins opposés de trois jeunes femmes ; Blondell sort du lot
par sa personnalité pétillante ; Davis est un peu en retrait.
- Lawyer Man (1932), de William Dieterle,
avec William Powell : un film avec William Powell est toujours un vrai plaisir, et
le voir en duo avec une Joan en pleine forme est particulièrement réjouissant.
Le scénario est cependant très conventionnel.
- A Tree Grows in Brooklyn (1945), d’Elia
Kazan, avec Dorothy McGuire : une tranche de vie exposée ici de belle manière
par Kazan ; Joan en tante un peu trop permissive apporte la touche de
lumière dans un univers sombre et réaliste.
- Nightmare Alley (1947), d’Edmund
Goulding, avec Tyrone Power : un des monuments de la grande année 1947, où Joan
est l’une des trois femmes de la vie du personnage principal. Il s’agit
d’ailleurs d’une belle performance, l’actrice apportant une dimension tragique
au début du film, alors que le héros semble avoir un avenir radieux (voir aussi
cet article pour une critique plus
approfondie du film sur le blog).
- Lizzie (1957), de Hugo Haas, avec
Eleanor Parker : Joan Blondell a pour moi l’avantage d’avoir évolué avec
plusieurs de mes acteurs et actrices favoris, dont une Eleanor Parker à la triple
personnalité. La performance de Joan a le mérite de souligner le caractère
complexe de la relation entre l’héroïne et sa tante, mais le film est sans
conteste entièrement dominé par Eleanor, dans l’un de ses meilleurs rôles.