Dans la vaste galaxie que constitue l’âge doré du cinéma hollywoodien, j’ai pour cet article jeté mon dévolu sur quatre actrices, toutes plus belles les unes que les autres, mais qui malgré ou à cause de cela, n’en sont pas moins sous-estimées, plongées dans l’oubli ou vues simplement par le prisme de leur seule apparence.
La première
d’entre-elles est restée célèbre pour sa voix et son visage adolescent qui a fait
rêver des millions de petites filles. La suivante est devenue une star pour avoir
simplement crié de toutes ses forces. La troisième est injustement méconnue. Et
la dernière est vue plus comme un sex-symbol que comme une actrice.
Or, se souvenir
ainsi de ces « quatre belles » n’est certainement pas leur faire
justice, tant elles ont déployé à travers nombre de leurs prestations un
véritable talent, comique ou dramatique, une capacité à émouvoir ou à séduire le spectateur.
Et, surtout, un penchant étonnant à dominer quelques films de toute leur
présence, leur charme ou leur charisme. Sans prétendre à l’exhaustivité, j’ai choisi
ici de retenir trois à quatre performances pour chacune parmi leurs meilleures,
pour illustrer les atouts qui leur sont propres.
DEANNA DURBIN : Rossignol sur un volcan d’allégresse
It Started with Eve (1941) : S’il fallait que vous
choisissiez un premier film à voir de Deanna, ce serait celui-là. Car tout ce
qui fait son charme et son talent, tant comique que musical, y est réuni.
Véritable pile électrique de bonne humeur, elle n’est plus adolescente et joue
enfin réellement sur le mode de la séduction. Son alchimie avec le « beau-père »
joué par Charles Laughton est un régal.
Christmas Holiday (1944) : Dans ce drame à ambiance de
film noir, Deanna Durbin interprète un personnage très « femme fatale »
(et Gene Kelly son époux, un caïd qui croupit en prison !). Le contre-emploi
lui réussit bien, et elle prouve ici qu’elle sait sortir de son registre favori.
Cela ne l’empêche pas de chanter : son rôle est celui d’une chanteuse de
cabaret ! La jeune Deanna des années 1930 laisse ici la place à une
véritable femme, charmeuse et sensuelle, mais qui semble damnée, comme
prisonnière de l’amour pour son mari sous les verrous. Son jeu est plutôt
statique, mais en conservant sa grâce naturelle elle n’en est que plus touchante,
en particulier dans le finale.
Lady on a Train (1945) : Film basé sur l’intrigue
classique à l’époque du héros
(comique) qui mène l’enquête en détective amateur, Lady on a Train offre l’un de ses meilleurs rôles à une Deanna
Durbin à l’apogée de sa féminité séductrice et affirmée. Toujours aussi drôle
par ses mines caractéristiques, qui ne sont plus du tout enfantines, elle se paye le luxe de
dominer de bout en bout le film par son charisme d’enquêtrice déterminée,
maligne, mais maladroite.
FAY WRAY : Reine des cris, princesse de l’image
The Wedding March (1928) : Ce film, l’un des derniers
« grands » du cinéma muet, est excellent, élégamment réalisé (la
Vienne de la Belle-Epoque), et met en valeur son acteur principal (en
somme : c’est du Stroheim !). Mais ce n’est pas tout : lotie
d’un personnage très « jeune première » énamourée de Stroheim, Fay
Wray livre ici probablement la meilleure prestation de sa carrière.
L’expressivité de son visage est sublime, exprime aisément admiration, joie et
peur (déjà !), ce qui convient parfaitement au muet.
Ann Carver's Profession (1933) : J'aurais pu prendre ici dix mille
captures d’écran tellement Fay adopte dans chaque scène une
attitude ou une mine remarquable. Certes, le film est très daté, mais son rôle
de femme active est moderne et empreint d’une fraîcheur qu’elle matérialise à
l’écran par son jeu, encore une fois, d’une grande expressivité. Fay Wray
maîtrise parfaitement l’image et son impact visuel est un immense atout pour le
film, qu’elle saupoudre ici d’un certain charisme assez réjouissant…
The Affairs of Cellini (1934) : Un second rôle surprenant au
premier abord, mais à bien y regarder, une performance remarquable. Fay Wray
joue une jeune fille niaise et sans esprit qui est courtisée par les
personnages principaux. Son innocence extrême est rendue par l’actrice d’une
manière si spontanée qu’elle déboussole les protagonistes masculins, non moins
émoustillés, et qu’elle en devient irrésistiblement comique pour le
spectateur.
It Happened in Hollywood (1937) : Comme entre autres The Artist, ce film raconte les
difficultés d’une vedette du muet (un héros de westerns) pour obtenir le succès
dans le parlant. Sans être un chef d’œuvre, il permet à Fay Wray de dominer chacune
de ses scènes dans le rôle de l’actrice qui, elle, monte en gamme avec
l’arrivée du parlant, alors même que son temps d’écran est (trop) limité. Son
émotivité sert le propos du film, d’autant qu’elle l’accommode d’une prestance sereine
qui ajoute à sa beauté élégante, rarement aussi frappante.
JEAN PETERS : Charisme unique et impromptu
Revue du Général :
La principale raison de sa faible notoriété est la durée de sa carrière
(1947-1954). Et pourtant, la sensuelle brune Jean Peters a su développer sous son
charme discret un fort potentiel de « charisme contenu » (qui me
rappelle un peu celui de Deborah Kerr, la spécialiste), malheureusement trop
peu exploité par Hollywood. Elle laisse néanmoins derrière elle quelques perles,
qui toutes sont emplies d'une certaine originalité.
Anne of the Indies (1951) : Dans un rôle étonnant de
femme pirate, qui avait tout pour faire trébucher n’importe quelle actrice,
Jean Peters s’impose comme une révélation. Non seulement elle est crédible en
flibustière, mais en plus elle fait preuve d’un réel charisme de meneuse
d’hommes. Elle commande d’une grosse voix, est impitoyable avec les équipages
capturés et adopte une démarche très masculine. Le plus remarquable est qu’elle
parvient à faire cohabiter cette prestation démonstrative et quasi virile avec
des raisonnements et une sensibilité bien plus féminins, sans pour autant faire
perdre à son personnage son aura de pirate. Une prestation bien rare pour
l’époque.
Niagara (1953) : Film qui permet à Marylin Monroe de briller par
son jeu, Niagara donne l’occasion à
Jean Peters de prendre le contre-pied de la blonde glamour et fatale, en petite
brune dynamique et inquisitrice. Elle parvient à tirer le meilleur d’un rôle a
priori assez limité (qui aurait pu se limiter à celui, très conventionnel, de
la « brave fille » inintéressante) en donnant à son personnage le
caractère nécessaire pour elle aussi dominer ses partenaires masculins. Son
regard « spécial Jean Peters » est déployé à merveille et pétille
d’intelligence et de défi. Difficile de lui préférer Marylin (pourtant volcanique), ce qui est en soi
un petit exploit !
Pickup on South Street (1953) : Coup de cœur personnel, la
meilleure prestation de Jean Peters est aussi un coup de maître. Ultrasensuelle
(en particulier dans la scène du début du film qui a lieu dans un métro bondé),
elle capte l'attention d'un regard hypnotique, charme à la façon d'une femme
fatale vénéneuse et populaire, et offre une alchimie intense avec Richard Widmark, qui délivre lui aussi une excellente partition.
LANA TURNER : De voluptueuse à vénéneuse
Slightly Dangerous (1943) : Dans cette comédie où elle
incarne une jeune vendeuse qui se fait passer pour la fille amnésique d’un
millionnaire, Lana offre une prestation qui tient tantôt d’une Marylin Monroe
(la capacité de séduction frivole assumée), tantôt d’une jeune Barbara Stanwyck
(la scène du début où elle affronte son nouveau patron, qui tombe sous son
charme). Elle domine ici son sujet (et les hommes !) comme rarement dans
sa carrière. En revanche, le film s’essouffle sur la fin. Dommage.
The Postman Always Rings Twice (1946) : LE rôle mythique à retenir
de Lana Turner. Certes, elle souffre de la comparaison au début du film avec
les grandes femmes fatales du film noir, quoique son apparition quasi divine laissant
sans voix John Garfield vaille son pesant d’or. Mais elle se reprend dans la
deuxième partie en stupéfiant le spectateur avec un mélange d’indifférence
froide, d’érotisme latent et de défiance dans le regard, qui, conjugué avec
l’excellente prestation de Garfield, permet au film de figurer parmi les classiques
du genre.
The Bad and the Beautiful (1952) : Ses rôles des années 1950
sont plus mélodramatiques et me conviennent moins, cependant elle reste la
bonne surprise de celui-ci, signé Minnelli, qui est avant tout un morceau de
bravoure de Kirk Douglas, impressionnant en producteur de films prêt à tout
pour parvenir à ses fins. Jouant une actrice manipulée et désillusionnée, elle
apporte à son rôle une émotion juste et vraiment troublante, qui donne de la
force au film en faisant contrepoids au personnage de Douglas, monstrueux.