Actrice à la
carrière aussi brève qu’intense, Margaret
Sullavan a eu le privilège de poser sa marque dans des films témoins d’une
époque, les années 1930. Entre nostalgie manifeste de la vieille Europe au
travers d’une Budapest rêvée chez Lubitsch (The
Shop Around the Corner) ou Wyler (The
Good Fairy), et inquiétude pour son devenir dans une Allemagne aux
abois chez Borzage (Three Comrades,
The Mortal Storm), Margaret
figure la muse, qu’elle soit naïve ou déterminée, nécessaire aux hommes pour se
repérer. Puis, elle est aussi le guide des femmes, les courageuses et les
fières – les infirmières de Cry
‘Havoc’ – dans un monde qui a finalement basculé dans la guerre.
The Good Fairy, tribulations
d’une petite fée hongroise
Un film de William Wyler (1935), avec Margaret
Sullavan et Herbert Marshall.
L’histoire :
A Budapest, afin de résister aux avances d’un millionnaire, Luisa Ginglebusher
(Margaret Sullavan), une jeune femme naïve tout juste sortie de son orphelinat,
s’invente un mari. Mais quand ce prétendant indésirable décide d’en faire un
homme riche afin de la séduire, elle doit se résoudre à piocher au hasard dans
l’annuaire le nom d’un inconnu : le Dr. Max Sporum (Herbert Marshall), un
avocat misérable…
Comme dans The Shop Around the Corner cinq
ans plus tard, Budapest est le cadre des « aventures » de Margaret
Sullavan. Et comme chez Lubitsch (mais plus à la manière de ses comédies
musicales), on retrouve chez Wyler cette atmosphère nostalgique, hors du temps,
qui donne une idée de ce que représentait la vieille Europe à Hollywood à cette
époque.
The Good Fairy vaut surtout par la qualité de
l’interprétation de son actrice principale : Margaret y est singulièrement crédible
en jeune fille d’une grande innocence. La candeur de son personnage crée des
décalages comiques qui tirent vers le loufoque sans jamais paraître ridicules
ou forcés. Mieux, elle parvient à déployer tout son charme, mi-romantique,
mi-comique, à grand renfort de mines dont elle a le secret. Vraiment, sa Luisa
Ginglebusher est un gros coup de cœur personnel, probablement l’un de mes
personnages préférés des films des années 30. Le « must » : la
scène où elle se dandine devant un miroir avec sa fourrure de
« foxine », sa silhouette se reflétant à l’infini, est fabuleuse et
symbolise à elle seule toute l’âme de ce personnage attachant.
Ses scènes
remplies de quiproquos avec le personnage millionnaire de Frank Morgan valent
le détour (si vous supportez le jeu très particulier de ce dernier). Quant à
Herbert Marshall, il apporte au film une certaine distinction que sa
« transformation » physique en cours de route ne fait qu’accentuer.
Là encore, on retrouve un acteur typique des comédies « vieille
Europe » de l’époque (Trouble in
Paradise), parfaitement à son aise dans un registre maîtrisé.
Three Comrades, une
étincelle parmi les ombres
VF : Trois camarades. Un film de Frank
Borzage (1938), avec Margaret Sullavan, Robert Taylor, Franchot Tone et Robert
Young.
L’histoire :
Trois amis vétérans de la Première Guerre Mondiale rentrent à Berlin, dans un
contexte de crise et de montée des extrémismes. Leur rencontre avec la belle
Patricia, une jeune femme pétillante mais malade, va bouleverser leur vie.
Voilà typiquement
le genre de film au rythme lent et au scénario très classique, mais qui ne peut
que m’émouvoir, et donc m’inspirer. Le scénario est en somme plutôt creux, mais
il instille l’élément qui permet au film de faire mouche : à savoir, dépeindre
un trio d’amis aux liens étroits et leur adjoindre la présence d’une femme.
Mais contrairement à, par exemple, Design
for Living, où l’amitié doit rivaliser avec la jalousie, Three Comrades s’attache plutôt à
explorer les relations amicales ou amoureuses, toutes différentes, entre ces
hommes et cette femme ; autrement dit, à mettre en scène le bouleversement
de quatre vies dues à une simple rencontre. Et le résultat est au rendez-vous,
car les acteurs font le film (ou plutôt, le réalisateur Borzage, par une mise
en scène simple et poétique, les laisse briller).
Les quatre acteurs
sont en effet en symbiose parfaite. Si Robert
Young est le combattant exalté, celui qui se lève pour ses idées – alors
que l’on entend littéralement le bruit des bottes du nazisme, comme un danger
qui se rapproche, Robert Taylor est
l’âme romantique, le timide, l’innocent gentleman, au cœur droit. Entre les deux,
Franchot Tone, probablement le meilleur
des trois acteurs ici, figure la présence rassurante, l’ami fidèle, la force
calme au discours profond – le poète mélancolique.
Et puis il y a une
femme. Mais quelle femme ! Une Margaret
au sommet, fabuleuse, qui scintille à l’écran au milieu de ces trois hommes,
avec qui elle noue des liens complices aussi forts que différents. Son charme
discret mais profond déferle, et l’on comprend mieux pourquoi chacun de ces
fiers gaillards, soldats vétérans, fondent
en sa présence. Physiquement, elle parait fragile, ce mignon petit bout de
femme élégamment vêtu, mais n’en croyez rien : elle dégage un charisme
splendide, et chaque mot qu’elle prononce de sa voix légèrement enrouée ne fait
qu’ajouter une pierre à l’édifice bâti à l’occasion par l’actrice. J’écris
cela, je regarde mon classement des meilleures actrices, et je vois que cette
splendeur n’est que, à l’heure actuelle, quatrième parmi les meilleures de
cette année-là. Oui, décidément, 1938 est une bonne année.
Cry ‘Havoc’, le
creuset des héroïnes
Un film de Richard Thorpe (1943), avec Margaret
Sullavan, Ann Sothern et Joan Blondell.
L’histoire :
En 1942, pendant la Seconde Guerre Mondiale, la péninsule de Bataan, aux
Philippines, est assiégée par les Japonais. Un groupe de femmes volontaires
mais inexpérimentées vient renforcer le corps des infirmières du lieutenant
Mary Smith (Margaret Sullavan).
Basé sur une pièce
de théâtre, Cry ‘Havoc’ est
sorti plus d’un an après les événements qu’il relate, comme le plus célèbre So Proudly We Hail. Il tire de
ses origines théâtrales des dialogues percutants mais aussi une atmosphère de
huis-clos qui sied bien à un climat de siège (la plupart des scènes sont
filmées dans l’abri souterrain qui sert de dortoir aux infirmières).
Bien évidemment, c’est
le casting qui m’a poussé à voir ce film : j’aime particulièrement les
trois actrices principales, qui toutes ici font preuve de talent.
Margaret Sullavan tient le premier rôle. Son personnage, le
lieutenant Smith, est une infirmière militaire de métier, et par conséquent
possède une autorité naturelle. Margaret lui donne une aura discrète en jouant
une femme déterminée, autoritaire mais qui recèle de profondes blessures. Loin
de ses rôles de naïve, l’actrice est d’une grande crédibilité en officier
opérant en terrain de guerre. Sa grande force est de laisser percevoir les
fêlures de sa carapace par le ton las de sa voix ou la mélancolie de son
regard, quand elle expose la gravité de la situation du siège ou lors des
scènes au téléphone. Une performance très touchante.
Ann Sothern, dont le rôle est a priori plus
secondaire, parvient à briller en volant quasiment la vedette à ses petites
camarades. Elle qui ne sait rien tant que s’imposer d’une pichenette comique
envoyée à son auditoire (son petit rôle hilarant dans Trade Winds) a ici tout le temps qu’il lui faut pour
déployer avec charisme toutes les facettes de son personnage de frondeuse et de
séductrice. Leurs personnages s’opposant frontalement, Ann et Margaret offrent
dans Cry ‘Havoc’ de belles
joutes dont seules les femmes ont le secret…
Quant à Joan Blondell, au rôle nettement en arrière-plan,
elle est tout simplement jouissive dans son interprétation d’une ex
strip-teaseuse qui ne semble pas à sa place dans cet univers, mais s’emploie à
materner ses jeunes compagnes tourmentées. Elle semble s’amuser dans son jeu,
et cela est sympathique à voir…
Parmi les autres
actrices, mention spéciale à Marsha Hunt, qui joue une infirmière plus
expérimentée. Son attitude de grande sœur et de confidente envers les autres
filles la met particulièrement en valeur.
Mais aussi, et non
des moindres…
- Little Man, What Now? (1934), de Frank
Borzage, avec Douglass Montgomery : une performance déjà « classique »
d’une Margaret, mi-sérieuse, mi-comique, qui laisse présager ses sommets
futurs. Un film typique du début des années 30, une fable contant les
mésaventures d’un jeune couple dans l’Allemagne de Weimar.
- The Shop Around the Corner (1940),
d’Ernst Lubitsch, avec James Stewart : ce film est sans aucun doute le
meilleur de la carrière de Margaret ; pour plus d’infos, je vous renvoie
vers l’article du blog consacré au film, ou encore vers ceux traitant
l’année 1940 (meilleurs films, actrices et acteurs). Quand
subtilité, humour et poésie se rencontrent.
- The Mortal Storm (1940), de Frank Borzage, avec James Stewart : là encore je vous redirige vers cet article consacré au top 5 des meilleurs films de l’année 1940. Avant tout un bon film, évocateur de la montée du nazisme, avec une Margaret en harmonie avec Stewart.