mardi 30 août 2016

MARGARET SULLAVAN, LE PARFUM DES ANNEES BRUNES


Actrice à la carrière aussi brève qu’intense, Margaret Sullavan a eu le privilège de poser sa marque dans des films témoins d’une époque, les années 1930. Entre nostalgie manifeste de la vieille Europe au travers d’une Budapest rêvée chez Lubitsch (The Shop Around the Corner) ou Wyler (The Good Fairy), et inquiétude pour son devenir dans une Allemagne aux abois chez Borzage (Three Comrades, The Mortal Storm), Margaret figure la muse, qu’elle soit naïve ou déterminée, nécessaire aux hommes pour se repérer. Puis, elle est aussi le guide des femmes, les courageuses et les fières – les infirmières de Cry ‘Havoc’ – dans un monde qui a finalement basculé dans la guerre.


The Good Fairy, tribulations d’une petite fée hongroise

Un  film de William Wyler (1935), avec Margaret Sullavan et Herbert Marshall.

L’histoire : A Budapest, afin de résister aux avances d’un millionnaire, Luisa Ginglebusher (Margaret Sullavan), une jeune femme naïve tout juste sortie de son orphelinat, s’invente un mari. Mais quand ce prétendant indésirable décide d’en faire un homme riche afin de la séduire, elle doit se résoudre à piocher au hasard dans l’annuaire le nom d’un inconnu : le Dr. Max Sporum (Herbert Marshall), un avocat misérable…

Comme dans The Shop Around the Corner cinq ans plus tard, Budapest est le cadre des « aventures » de Margaret Sullavan. Et comme chez Lubitsch (mais plus à la manière de ses comédies musicales), on retrouve chez Wyler cette atmosphère nostalgique, hors du temps, qui donne une idée de ce que représentait la vieille Europe à Hollywood à cette époque.

The Good Fairy vaut surtout par la qualité de l’interprétation de son actrice principale : Margaret y est singulièrement crédible en jeune fille d’une grande innocence. La candeur de son personnage crée des décalages comiques qui tirent vers le loufoque sans jamais paraître ridicules ou forcés. Mieux, elle parvient à déployer tout son charme, mi-romantique, mi-comique, à grand renfort de mines dont elle a le secret. Vraiment, sa Luisa Ginglebusher est un gros coup de cœur personnel, probablement l’un de mes personnages préférés des films des années 30. Le « must » : la scène où elle se dandine devant un miroir avec sa fourrure de « foxine », sa silhouette se reflétant à l’infini, est fabuleuse et symbolise à elle seule toute l’âme de ce personnage attachant.

Ses scènes remplies de quiproquos avec le personnage millionnaire de Frank Morgan valent le détour (si vous supportez le jeu très particulier de ce dernier). Quant à Herbert Marshall, il apporte au film une certaine distinction que sa « transformation » physique en cours de route ne fait qu’accentuer. Là encore, on retrouve un acteur typique des comédies « vieille Europe » de l’époque (Trouble in Paradise), parfaitement à son aise dans un registre maîtrisé.


Three Comrades, une étincelle parmi les ombres


VF : Trois camarades. Un film de Frank Borzage (1938), avec Margaret Sullavan, Robert Taylor, Franchot Tone et Robert Young.

L’histoire : Trois amis vétérans de la Première Guerre Mondiale rentrent à Berlin, dans un contexte de crise et de montée des extrémismes. Leur rencontre avec la belle Patricia, une jeune femme pétillante mais malade, va bouleverser leur vie.

Voilà typiquement le genre de film au rythme lent et au scénario très classique, mais qui ne peut que m’émouvoir, et donc m’inspirer. Le scénario est en somme plutôt creux, mais il instille l’élément qui permet au film de faire mouche : à savoir, dépeindre un trio d’amis aux liens étroits et leur adjoindre la présence d’une femme. Mais contrairement à, par exemple, Design for Living, où l’amitié doit rivaliser avec la jalousie, Three Comrades s’attache plutôt à explorer les relations amicales ou amoureuses, toutes différentes, entre ces hommes et cette femme ; autrement dit, à mettre en scène le bouleversement de quatre vies dues à une simple rencontre. Et le résultat est au rendez-vous, car les acteurs font le film (ou plutôt, le réalisateur Borzage, par une mise en scène simple et poétique, les laisse briller).

Les quatre acteurs sont en effet en symbiose parfaite. Si Robert Young est le combattant exalté, celui qui se lève pour ses idées – alors que l’on entend littéralement le bruit des bottes du nazisme, comme un danger qui se rapproche, Robert Taylor est l’âme romantique, le timide, l’innocent gentleman, au cœur droit. Entre les deux, Franchot Tone, probablement le meilleur des trois acteurs ici, figure la présence rassurante, l’ami fidèle, la force calme au discours profond – le poète mélancolique.

Et puis il y a une femme. Mais quelle femme ! Une Margaret au sommet, fabuleuse, qui scintille à l’écran au milieu de ces trois hommes, avec qui elle noue des liens complices aussi forts que différents. Son charme discret mais profond déferle, et l’on comprend mieux pourquoi chacun de ces fiers gaillards, soldats vétérans, fondent en sa présence. Physiquement, elle parait fragile, ce mignon petit bout de femme élégamment vêtu, mais n’en croyez rien : elle dégage un charisme splendide, et chaque mot qu’elle prononce de sa voix légèrement enrouée ne fait qu’ajouter une pierre à l’édifice bâti à l’occasion par l’actrice. J’écris cela, je regarde mon classement des meilleures actrices, et je vois que cette splendeur n’est que, à l’heure actuelle, quatrième parmi les meilleures de cette année-là. Oui, décidément, 1938 est une bonne année.


Cry ‘Havoc’, le creuset des héroïnes


Un  film de Richard Thorpe (1943), avec Margaret Sullavan, Ann Sothern et Joan Blondell.

L’histoire : En 1942, pendant la Seconde Guerre Mondiale, la péninsule de Bataan, aux Philippines, est assiégée par les Japonais. Un groupe de femmes volontaires mais inexpérimentées vient renforcer le corps des infirmières du lieutenant Mary Smith (Margaret Sullavan).

Basé sur une pièce de théâtre, Cry ‘Havoc’ est sorti plus d’un an après les événements qu’il relate, comme le plus célèbre So Proudly We Hail. Il tire de ses origines théâtrales des dialogues percutants mais aussi une atmosphère de huis-clos qui sied bien à un climat de siège (la plupart des scènes sont filmées dans l’abri souterrain qui sert de dortoir aux infirmières).

Bien évidemment, c’est le casting qui m’a poussé à voir ce film : j’aime particulièrement les trois actrices principales, qui toutes ici font preuve de talent.

Margaret Sullavan tient le premier rôle. Son personnage, le lieutenant Smith, est une infirmière militaire de métier, et par conséquent possède une autorité naturelle. Margaret lui donne une aura discrète en jouant une femme déterminée, autoritaire mais qui recèle de profondes blessures. Loin de ses rôles de naïve, l’actrice est d’une grande crédibilité en officier opérant en terrain de guerre. Sa grande force est de laisser percevoir les fêlures de sa carapace par le ton las de sa voix ou la mélancolie de son regard, quand elle expose la gravité de la situation du siège ou lors des scènes au téléphone. Une performance très touchante.

Ann Sothern, dont le rôle est a priori plus secondaire, parvient à briller en volant quasiment la vedette à ses petites camarades. Elle qui ne sait rien tant que s’imposer d’une pichenette comique envoyée à son auditoire (son petit rôle hilarant dans Trade Winds) a ici tout le temps qu’il lui faut pour déployer avec charisme toutes les facettes de son personnage de frondeuse et de séductrice. Leurs personnages s’opposant frontalement, Ann et Margaret offrent dans Cry ‘Havoc’ de belles joutes dont seules les femmes ont le secret…

Quant à Joan Blondell, au rôle nettement en arrière-plan, elle est tout simplement jouissive dans son interprétation d’une ex strip-teaseuse qui ne semble pas à sa place dans cet univers, mais s’emploie à materner ses jeunes compagnes tourmentées. Elle semble s’amuser dans son jeu, et cela est sympathique à voir…

Parmi les autres actrices, mention spéciale à Marsha Hunt, qui joue une infirmière plus expérimentée. Son attitude de grande sœur et de confidente envers les autres filles la met particulièrement en valeur.


Mais aussi, et non des moindres…

- Little Man, What Now? (1934), de Frank Borzage, avec Douglass Montgomery : une performance déjà « classique » d’une Margaret, mi-sérieuse, mi-comique, qui laisse présager ses sommets futurs. Un film typique du début des années 30, une fable contant les mésaventures d’un jeune couple dans l’Allemagne de Weimar.

- The Shop Around the Corner (1940), d’Ernst Lubitsch, avec James Stewart : ce film est sans aucun doute le meilleur de la carrière de Margaret ; pour plus d’infos, je vous renvoie vers l’article du blog consacré au film, ou encore vers ceux traitant l’année 1940 (meilleurs films, actrices et acteurs). Quand subtilité, humour et poésie se rencontrent.


- The Mortal Storm (1940), de Frank Borzage, avec James Stewart : là encore je vous redirige vers cet article consacré au top 5 des meilleurs films de l’année 1940. Avant tout un bon film, évocateur de la montée du nazisme, avec une Margaret en harmonie avec Stewart.