dimanche 3 juillet 2016

MYRNA LOY, LA FIANCEE DU CINEMA


Avec Myrna Loy (née Williams, 1905-1993), on entre pour moi dans le panthéon du vieil Hollywood, dans le cercle fermé des Grand(e)s. L’actrice est l’un de mes plus grands coups de cœur et elle figure en (très) bonne place dans mon top personnel. Pourquoi ? Comment dire… Myrna, c’est l’incarnation même de la grâce. Féminine et distinguée, la hauteur aristocratique et élégante de certains de ses personnages (Libeled Lady) n’est là que pour mieux révéler un immense potentiel comique, jamais dénué d’ironie ni de classe. Un don sublimé par une fabuleuse alchimie avec son alter-ego masculin, William Powell, pour former un couple de légende(s) à l’écran. Outre le génial Libeled Lady et le mythique The Best Years of Your Lives, déjà parus sur ce blog, j’ai choisi ici de sélectionner trois films parmi ses sommets, entre drame et comédie, pour mettre en valeur à la fois sa force émotionnelle et son énergie comique.


Manhattan Melodrama, entre crime et loi


VF : L’ennemi public n°1. Un film de W. S. Van Dyke (1934), avec Myrna Loy, William Powell et Clark Gable.

L’histoire : Le procureur Jim Wade (Powell) est confronté à un cas de conscience quand il doit faire face aux actions de son ami d’enfance « Blackie » Gallagher (Gable), un gangster notoire.

Manhattan Melodrama présente l’avantage de réunir un casting fabuleux, du moins avec le recul des ans. Myrna Loy y est accompagnée de deux des acteurs avec lesquels elle a le plus joué : William Powell, avec lequel c’est son premier film, et Clark Gable, l’acteur le plus populaire des années 30.

L’intrigue du film, qui place deux amis d’enfance dans des camps opposés, l’un au service de la loi, l’autre en dehors, est en elle-même bien construite, quoique parfois le scénario peut paraître un brin simpliste et irréaliste. L’essentiel est néanmoins préservé : le suspense, moteur du film avec les relations croisées entre personnages, joués par des acteurs qui, en 1934, viennent de se révéler ou qui sont en train de le faire.

Clark Gable est probablement l’homme fort de Manhattan Melodrama. Il bénéficie d’un rôle puissant, fait pour lui : celui du bandit au grand cœur. Sa prestation pleine d’émotion et de fougue efface la naïveté de l’écriture du personnage.

William Powell n’est pas encore le roi du comique, mais il est en passe de le devenir avec la sortie la même année de The Thin Man (voir plus bas). Ici, il fait ses preuves dans un rôle dramatique puisqu’il lui échoit le rôle le plus difficile à mon sens, celui du procureur incorruptible. Il nous concocte plusieurs moments de pure brillance dans des dialogues avec Gable, surtout (la scène de la prison), et Myrna, déjà.

Pour sa part, Myrna campe une Eleanor Packer touchante et pétillante à souhait (à ne pas confondre avec une certaine Eleanor Parker, rousse elle aussi, et non moins séduisante), une femme prise entre les destins des deux amis. Dans un rôle qui laisse préfigurer son sommet dans Test Pilot, elle déploie toute une panoplie d’émotions d’une grande justesse (souvent relevées par le fameux clignement de cils « à la Myrna »), sans pour autant négliger un apport humoristique indéniable. L’entrée fracassante d’Eleanor dans la voiture de Jim est d’ailleurs l'un des moments phare du film, où elle lui assène un quasi-monologue d’anthologie. De fait, Myrna domine la première partie du film, avant de s’effacer légèrement pour laisser plus de place au duo Gable / Powell.


The Thin Man, naissance d’un couple mythique


VF : L’introuvable. Un film de W. S. Van Dyke (1934), avec Myrna Loy, William Powell et Maureen O’Sullivan.

L’histoire : Un ancien détective, Nick Charles, est appelé à l’aide par une jeune femme dont le père a disparu et semble bientôt impliqué dans une affaire de meurtre. Poussé par son épouse Nora, Nick accepte de s’intéresser à ce mystère…

Film hybride, The Thin Man intègre à une trame de film policier traditionnel des éléments de comédie qui lui donnent une coloration plus légère. L’alternance entre scènes sombres filmées « façon film noir » et gags tenant de la farce lui confère une atmosphère unique.

"I don’t usually look like this. I’ve been Christmas shopping!"

Si de mon point de vue l’enquête menée par le « détective à la retraite » Nick Charles est relativement banale, quoique filmée de manière intéressante, la prestation comique du duo Powell / Loy est en revanche tout simplement lumineuse. La complicité des deux acteurs est telle qu’elle crève l’écran et porte à elle seule le film comme rarement il est possible de le voir. Plus encore, leur comique de geste est si authentique que le couple parait moderne et naturel : notez un nombre impressionnant de grimaces et tirages de langue effectués avec une forme de distinction assez épatante, et une quantité encore plus remarquable de verres d’alcool, qui dénote un couple jeune, fêtard et bon vivant. Mais – encore – toujours avec ce fameux doigté de classe qui rend leur jeu à deux si unique. Le comique de mots est au diapason avec des répliques piquantes déclenchées en rafale de part et d’autre.

Mentionnons par ailleurs la présence de Maureen O’Sullivan dans le rôle de la jeune fille éplorée, toujours aussi charmante (le premier Tarzan, c’est en 1932), en particulier dans certaines bonnes scènes avec William Powell, acteur qui parvient généralement à bien mettre en valeur ses collègues féminines.


Test Pilot, l’envol de la reine


VF : Pilote d’essai. Un film de Victor Fleming (1938), avec Myrna Loy, Clark Gable et Spencer Tracy.

L’histoire : Les exploits et mésaventures d’un pilote d’essai téméraire, Jim, dont les ardeurs sont refrénées tant bien que mal par son ami mécanicien, Gunner, et par sa jeune épouse, Ann.

Pour commencer, Test Pilot est mon genre de film : épique avec les exploits de l’aviateur et émouvant avec la complicité entre Jim et son mécanicien Gunner, il superpose des trames complémentaires et bien amenées, génératrices d’émotions multiples. Bien qu’il se concentre principalement sur le métier de pilote d’essai du personnage de Gable, le film se consacre aussi pleinement au premier rôle féminin, celui de Myrna, et fournit à l’actrice l’occasion rêvée de fournir peut-être la plus belle performance de sa carrière.

Car oui, flanquée des deux monstres sacrés du cinéma de l’époque que sont Clark Gable et Spencer Tracy (sans oublier Lionel Barrymore en second rôle !), Myrna Loy ne dépare pas et, mieux, apporte la prestation la plus marquante du film. Charismatique comme jamais, elle tient tête de sa voix éraillée caractéristique au parangon de virilité que Gable s’efforçait de jouer (avec réussite il faut le dire). Deux scènes sont particulièrement magnifiques : dans l’une, Jim et Ann viennent de se rencontrer et s’affrontent sur fond d’attraction mutuelle (« You turn your head like a big bear – and just gaze! ») ; dans l’autre, Ann et Gunner se rapprochent et partagent leur inquiétude sur le sort de Jim, qu’ils aiment l’un et l’autre (« Three roads face us and there is doom at the end of each », « Every tic-tac of the clock : still living – still living – still living »).

Myrna déploie des trésors d’émotivité avec un tel naturel que l’on ne peut que ressentir les doutes et les craintes des épouses et des proches des aviateurs – comme aussi celles des marins et des militaires, laissées seules à attendre le retour de l’homme aimé, qui peut-être un jour ne reviendra pas. Sur ce plan, il faut également voir l’exemple réussi de The Way to the Stars (Le chemin des étoiles), un très beau film britannique sur la vie dans une base militaire aérienne pendant la Seconde Guerre mondiale.

Outre Myrna, mention spéciale chez les acteurs à Spencer Tracy, qui livre une performance déchirante d’humanité et qui prouve encore une fois qu’il est brillant dans des seconds rôles bien choisis (voir San Francisco, là encore avec Clark Gable, plus la sémillante Jeanette MacDonald).


Mais aussi…

- Love Me Tonight (1932), de Rouben Mamoulian, avec Maurice Chevalier et Jeanette MacDonald : 1932 est l’année qui voit Myrna percer avec des performances remarquables, la première étant ce second rôle succulent où elle incarne une jeune femme en manque d’hommes, vivant dans un château, entourée de vieillards… Davantage de temps d’écran n’aurait pas été de trop !

- The Animal Kingdom (1932), d’Edward H. Griffith, avec Leslie Howard et Ann Harding : Probablement le rôle de la révélation, car difficile de savoir qui domine entre Ann Harding et Myrna Loy, qui compose ici avec brio l’antagoniste du film, réussissant l’exploit d’humaniser et de rendre attachante une femme « vampire » qui s’accroche à Leslie Howard…

- I Love You Again (1940), de W. S. Van Dyke, avec William Powell : L’un des sommets de William Powell en homme subitement amnésique qui ne se rappelle même plus avoir épousé Myrna Loy (!) ; celle-ci, qui souhaite divorcer (!!), est, comme toujours avec Powell, fascinante par son art comique, sobre et subtil.

- Cheaper by the Dozen (1950), de Walter Lang, avec Clifton Webb et Jeanne Crain : Une Myrna en mère de famille plus mûre dans cette adaptation du célèbre roman « Treize à la douzaine », une interprétation typique de sa deuxième partie de carrière, avec en prime une bonne entente avec un Clifton Webb en excellente forme dans le rôle du père.


…et surtout…

- Libeled Lady (1936), de Jack Conway, avec William Powell, Spencer Tracy et Jean Harlow : Pour plus de détails je renvoie à cet article. Mon film préféré avec Myrna. Une vraie pépite dans laquelle elle irradie de charisme en portraiturant un personnage complexe, entre jeune dame sophistiquée et gente demoiselle à conquérir. Cependant, il s’agit plus ici d’un tour de force collectif que d’une domination de la seule Myrna.


- The Best Years of Our Lives (1946), de William Wyler, avec Fredric March, Dana Andrews et Teresa Wright : Là encore, reportez-vous à cet article de mon comparse le « Docteur ». Il s’agit du premier film que j’ai vu de Myrna, et dans lequel elle m’avait bien plu, puisque son personnage d’épouse d’un Fredric March qui doit se réadapter à la vie civile est fort et touchant.