Ma revue d’actrices
se poursuit avec pour cette fin de mai un article sur l’une des premières grandes
stars britanniques : Madeleine
Carroll (1906-1987). Si sa carrière hollywoodienne est plus fournie que sa
période anglaise, elle reste aujourd’hui surtout célèbre pour son rôle dans Les 39 marches d’Hitchcock, l’un des
films les plus acclamés du légendaire cinéaste avant son départ en Amérique. En
parfait prototype de la « blonde hitchcockienne », Madeleine Carroll développe,
sous des abords froids relevés par une élégance sophistiquée et un port de
reine, un jeu profond qui appuie sur les émotions, à l’aide d’un regard et d’un
sourire aiguisés à la perfection.
The 39 Steps, le
premier mythe hitchcockien
VF : Les 39 marches. Un film d’Alfred
Hitchcock (1935), avec Madeleine Carroll et Robert Donat.
L’histoire
: A Londres, un homme du nom de Richard Hannay accepte d’héberger chez lui une
femme qui se dit poursuivie. Son assassinat peu après oblige Hannay à fuir à la
fois les meurtriers et la police, qui le
soupçonne du crime.
Une intrigue
d’espionnage, une fuite en train puis dans la lande écossaise, un homme affable
au petit doigt coupé. The 39 Steps
regorge de moments mythiques et, si le scénario lui-même est relativement simple, il
donne l’occasion au réalisateur – un Hitchcock aux prémices d’un talent qui, en
1935, n’a pas encore donné sa pleine mesure – de s’amuser à créer un climat de
thriller. L’atmosphère belle et sombre du film est clairement son point fort.
Le film accuse cependant quelques petits flottements, de légères longueurs,
heureusement compensées par des revirements de situation bien amenés.
Course
poursuite, course contre la montre aussi, le destin d’un personnage qui bascule
en quelques instants. Voilà ce qui advient à Richard Hannay, interprété par un
Robert Donat dont le brio est d’exprimer parfaitement l’angoisse puis la
détermination et même le cynisme d'un homme aux abois. Son physique très dandy anglais, la moustache
fine et le sourcil arqué, joue pour lui et imprime un certain style.
Robert Donat
fait le film, mais celui-ci ne serait plus le même sans Madeleine Carroll, dont
le rôle est certes secondaire, mais apporte une fantastique fraîcheur à
l’intrigue en amenant le film sur une tonalité plus légère, voir comique :
le couple Donat / Carroll pétille d’alchimie, et leurs scènes dans la chambre
d’hôtel sont mes préférées (leur manège les mains liées par des menottes a des
airs de film muet). Madeleine réussit bien l'évolution de l’attitude de son
personnage envers le héros, traduite par des mines très expressives et souvent
drôles ou touchantes. De quoi faire pas mal de captures d’écran pour une
apparition somme toute relativement réduite par rapport à la durée du film. L’actrice
est encore jeune, son rôle n’est pas aristocratique ou de grande dame, mais
elle a déjà dans ses cordes la recette qui fait sa spécificité, ce mélange de
douceur et de passion, cette expressivité contenue, qui d’ailleurs pave la voie aux futures « blondes hitchcockiennes ».
The
General Died at Dawn, conte
noir à l’encre de Chine
VF : Le général est mort à
l'aube. Un film de Lewis Milestone (1936), avec Madeleine Carroll, Gary Cooper
et Akim Tamiroff.
L’histoire
: Dans la Chine des années 30, O’Hara, un aventurier américain affronte un
« seigneur de la guerre », le Général Yang. Alors qu’il tente de
livrer des armes aux ennemis du général, il est piégé par la séduisante Judy
Peary...
The General Died At Dawn. Rien que le titre de ce film est fait pour moi. On retrouve ici la Chine fantasmée, déjà vue avec Marlene Dietrich
(Shanghai Express de Sternberg) ou Barbara
Stanwyck (The Bitter Tea of General
Yen de Capra), celle de la guerre civile entre les seigneurs de la guerre, celle
des années 1920-30. On y voit même encore des scènes de train, une rengaine dès que l'on montre la Chine à l'écran à l'époque...
Le principal
atout de The General Died At Dawn
est sa réalisation et sa photographie. Les scènes d’intérieur évoquent tout à
la fois l’exotisme asiatique (dans une moindre mesure que dans le General Yen de Capra) et un film noir
(un genre qui n’existe pas encore en 1936). On est d’ailleurs ici plus proche
de Sternberg que de Capra. L’esthétique du chef opérateur Victor Milner est
sublimée par des choix de plan mettant en valeur l’expression des émotions des
personnages. Il en ressort un sentiment d’oppression, d’étouffement, bien rendu
grâce au jeu des acteurs.
Akim Tamiroff
(Yang) et Gary Cooper (O’Hara) campent leurs personnages habituels (le méchant
cruel et le héros modèle américain) mais avec suffisamment de nuance pour ne
pas être (trop) caricaturaux. La palme de la performance revient ici surtout à
Madeleine, magnifiée par une mise en scène avantageuse composée de nombreux gros
plans sur son visage. L’actrice apporte au film son cocktail typique de charme
et de classe discrète, attirant l’attention par un jeu silencieux captivant,
rehaussé par le timbre d’une voix cristalline bien adaptée pour les répliques
ironiques ou romantiques. Face à Gary Cooper, le contraste masculin / féminin fait
mouche et, encore une fois, l’alchimie est au rendez-vous.
The
Fan, le
dernier cadeau de la reine
VF : L'éventail de Lady
Windermere. Un film d’Otto Preminger (1949), avec Madeleine Carroll, George
Sanders, Jeanne Crain et Richard Greene.
L’histoire
: L’arrivée dans la haute-société londonienne d’une aventurière, la sulfureuse
Mrs. Erlynne (Madeleine Carroll), met en danger le mariage de l’élégant Lord
Windermere et de son épouse, Lady Margaret Windermere (Jeanne Crain).
Ce film est
souvent boudé pour son manque de ressemblance avec la
pièce d’origine d’Oscar Wilde ou le film muet de Lubitsch. Erreur. Grave erreur !
Car même si l’on est loin de la comédie de mœurs, Otto Preminger, dont le genre
de prédilection est le film noir, a choisi d’adapter le scénario d’origine à sa
manière. Cela donne un résultat difficilement comparable à l’original et que je
trouve pour ma part très réussi.
Si la primauté n’est
pas donné à la comédie, les répliques acides ou ironiques fusent, et l’on se
retrouve plongé dans l’atmosphère d’un univers aristocratique typique. Le choix
de réalisation confère au film une esthétique sombre, qui met l’accent sur le
mystère, le soupçon et la jalousie. La tension entre les protagonistes est cependant
relevée par les dialogues piquants, qui portent une certaine élégance et
parfois une frivolité, authentique (car typique du milieu) et bienvenue (car
distrayante).
Toutefois, le
film restant basé sur une pièce de théâtre, il confie logiquement au jeu des
acteurs les clés de sa réussite. A ce titre, si le couple Jeanne Crain /
Richard Greene est vraiment séduisant et si George Sanders ne cesse de me
surprendre par sa repartie charismatique, c’est Madeleine Carroll qui tire son
épingle (ou plutôt son éventail) du jeu pour nous offrir the performance. Cette Mrs. Erlynne, une « aventurière »
menaçant un mariage, est d’ailleurs l’un de mes principaux coups de cœurs pour
un personnage de film classique. Madeleine a mûri dans son jeu d’actrice par
rapport aux deux films précédents. Non seulement son personnage développe des
manières extrêmement sophistiquées, qui donnent l’impression qu’elle se rit de
ses interlocuteurs à chaque phrase, mais surtout, elle interprète une femme aux
multiples facettes. Tantôt grimée en dame âgée d’une énergie juvénile (et
crédible, comme par exemple une Barbara Stanwyck dans The Great Man’s Lady), tantôt élégante et dangereuse tentatrice
aux objectifs mystérieux, elle brille enfin en femme protectrice dégageant
humilité et tendresse.
Et aussi…
- The Prisoner of Zenda (1937), de John
Cromwell, avec Ronald Colman : J’ai déjà mentionné ce film ici, je ne
m’attarde donc pas dessus. Il reste sans conteste l’un des fleurons de la
carrière de Madeleine, et certainement mon préféré. Jamais son port de reine ne
lui a autant servi, et sa grâce, majestueuse, s’en ressent.
- North West Mounted Police (1940), de John
Cecil B. DeMille, avec Gary Cooper et Paulette Goddard : Madeleine en couleurs
! L’éternelle “sweetheart” anglaise rayonne de toute sa splendeur dans ce
DeMille de facture correcte, même si le rôle, secondaire, ne lui laisse pas
l’occasion de faire grand-chose de plus.