Continuons la
revue de mes actrices fétiches, avec cette fois-ci comme un parfum d’exotisme. Merle Oberon, née Estelle Merle O’Brien
Thompson (1911-1979), a hérité de ses origines anglo-indiennes la classe d’une
lady et la majesté d’une maharani. Soucieuse d’échapper au sort de bon nombre d’actrices
cantonnées à des rôles « ethniques », elle s’est fait fort d’incarner
des figures toutes britanniques, dont une reine d’Angleterre et une héroïne de
la littérature victorienne. Dotée d’une fabuleuse présence à l’écran, Merle
s’est particulièrement distinguée dans des rôles à forte charge émotionnelle,
alliant l’intensité d’un charisme physique à un pouvoir de séduction unique
dans le cinéma d’alors.
These
Three, le
Paradis perdu
VF : Ils étaient trois. Un film
de William Wyler (1936), avec Merle Oberon, Miriam Hopkins et Joel McCrea.
L’histoire
: Martha et Karen, deux jeunes femmes récemment diplômées, fondent une école
pour filles dans une petite ville. Le trio qu’elles forment avec le séduisant
Dr. Joe Cardin prospère en parfaite harmonie jusqu’à ce que le mensonge d’une
élève transforme leur paradis en enfer.
Pendant
longtemps, je l’ai cherché en vain. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que
l’attente valait la peine. Forcément, imaginez donc : un Wyler avec au
casting Merle Oberon et Miriam Hopkins ! These Three présente en outre une intrigue bien charpentée,
construite d’une part sur les relations entre les personnages du trio, et d’autre
part autour des conséquences des manigances d’une élève (jouée par une Bonita
Granville délicieusement peste). Même si la pièce sur laquelle le film est
basé ajoute une dimension homosexuelle, la trame choisie par les scénaristes
reste suffisamment pertinente pour se concentrer sur l’essentiel : comment
vont réagir trois personnes en symbiose parfaite quand leur monde s’écroule à cause d’une injustice. Le thème de la rumeur dévastatrice est extrêmement
puissant et le film en explore plusieurs facettes.
William Wyler, encore à ses débuts, vient alors de réaliser The Good Fairy (1935), avec Margaret Sullavan, où déjà, mais dans un registre comique, la réalisation s’efforce de mettre en relief l’âme des personnages. C’est encore le cas dans These Three, où la mise en scène rassurante d’un apparent bien-être ne fait que mieux ressortir, par contraste, les émotions violentes que subissent les personnages par la suite.
William Wyler, encore à ses débuts, vient alors de réaliser The Good Fairy (1935), avec Margaret Sullavan, où déjà, mais dans un registre comique, la réalisation s’efforce de mettre en relief l’âme des personnages. C’est encore le cas dans These Three, où la mise en scène rassurante d’un apparent bien-être ne fait que mieux ressortir, par contraste, les émotions violentes que subissent les personnages par la suite.
L’alchimie à l’écran
entre Merle, Miriam et Joel McCrea est évidente. Et en particulier, Merle et
Miriam sont parfaites pour rendre compte
de l’amitié profonde de ces deux jeunes femmes. Leur jeu est un ballet fait de
regards, de sourires et surtout de gestes – le simple toucher de doigts révèle
une émotion. Le film bénéficie grandement d'avoir deux interprètes féminines à ce niveau d'expressivité et de sensibilité.
Wuthering
Heights, la
fougue des maudits
VF : Les Hauts de Hurlevent. Un
film de William Wyler (1939), avec Merle Oberon, Laurence Olivier, David Niven
et Geraldine Fitzgerald.
L’histoire
: Elevé par le maître du manoir des Hauts de Hurlevent, Heathcliff, un enfant
des rues, subit la haine du fils de son sauveur, Hindley, tout en nouant des
liens profonds avec sa fille, Cathy. Après s’être longtemps absenté,
Heathcliff retrouve une Cathy tiraillée entre des désirs contraires.
Je vous renvoie
ici à cet article bien plus détaillé sur le film. Encore un Wyler, et des
meilleurs, qui plus est concocté autour d’une histoire adaptée d’un des fleurons
de la littérature anglaise. Outre la réalisation, géniale par son style
visuellement « romantique », voire gothique (merci Gregg Toland), la
cerise sur le pudding est notre Merle : dans une forme oscarienne, elle
pulvérise l’écran d’un charisme ténébreux, joute allègrement avec Laurence
Olivier et compose un personnage comme rarement elle l’a fait. Sa Cathy est si
agaçante et si attachante à la fois qu’on ne peut l’oublier. Si ça ne tenait qu’à
moi, 1939 aurait vu une petite statuette changer de mains.
Lydia, marivaudage à quatre temps
Un film de Julien Duvivier (1941), avec Merle
Oberon, Joseph Cotten, Alan Marshal et Edna May Oliver.
L’histoire
: Lydia McMillan, une vieille dame célibataire qui a voué sa vie entière à des
causes philanthropiques, est invitée par un ancien prétendant à retrouver les
hommes qui ont compté dans sa jeunesse, et à se souvenir avec eux de leurs
rendez-vous manqués.
Ah !, Lydia. Ce n’est certainement pas
le meilleur film de Merle, puisqu'il se perd parfois dans le plus pur style
mélodramatique larmoyant et franchement sentimental. Mais il vaut le
détour. Car oui, vous tous désormais quasi amoureux de Merle, voici le film fait pour elle, qui vaut
(principalement) pour elle, et dans lequel elle s’évertue à montrer toute sa
panoplie d’actrice.
Lydia est le personnage « à la Merle »,
mais en puissance mille : une jeune fille bien née, gâtée, courtisée par
tous les hommes du monde (au moins quatre ; mais ça me semble bien trop
peu…), qui rêve de son prince charmant et enjolive ce qui lui arrive, mais doit
se faire à la réalité (ou au destin, c’est selon). On y retrouve pêle-mêle des
éléments d’interprétation de tous ses films un tant soit peu mélodramatiques (c’est-à-dire
la plupart), de Wuthering Heigths
(la jeune femme mi-rêveuse, mi-capricieuse) à These Three (la joie de vivre, la jeune femme amoureuse, les
scènes de larmes) en passant par The
Scarlet Pimpernel (les airs de grande dame, les expressions de surprise).
Le résultat va
du moins bon (des mines trop exagérées, quelques gamineries, parfois justifiées
mais peu crédibles) à l’excellent (ses scènes en vieille dame – qui réussissent
bien à d’autres actrices, Madeleine Carroll et Barbara Stanwyck m’en sont
témoins – et les tête-à-tête avec Joseph Cotten). Ajoutez à cela une
photographie contrastée comme je les aime, une alternance entre flashbacks et
scènes du présent bien réussie, et évidemment une Merle au sommet de sa beauté
(je ne le nie pas, ça compte : elle ensorcèle la caméra). On obtient un
joli film, sans prétention (la version française du même Duvivier serait
parait-il plus profonde, à vérifier), que tout fan de Merle Oberon se doit de voir en ce qu’il
la montre dans son entièreté, dans ses moments de grâce comme dans son habituelle tendance à surjouer ses moments candides ou larmoyants.
Night
Song, symphonie
en aveugle
VF : La chanson des ténèbres. Un
film de John Cromwell (1947), avec Merle Oberon, Dana Andrews et Ethel
Barrymore.
L’histoire
: Cathy Mallory, une élégante mondaine, s’éprend d’un pianiste aveugle, doué
mais tourmenté. Pour gagner sa confiance, elle décide de se faire passer
elle-même pour une aveugle.
Là encore, Night Song est un film très
mélodramatique. Mais malgré quelques longueurs, j’aime ce film. Pour commencer, son objet : dépeindre
une dame qui tente de se faire passer pour non voyante pour amadouer un
pianiste aveugle, voilà qui me plaît. Qui plus est, ce pianiste un peu bourru est joué
par Dana Andrews, suivi comme son ombre par son acolyte Hoagy Carmichael (il y
a dans l'air un je ne sais quoi de The Best Years
of Our Lives).
C’est dans ce
film que Merle réussit l'un de ses plus éblouissants morceaux de bravoure, puisqu'elle fait le film à elle seule. Elle semble comme compenser la cécité du personnage
d’Andrews par un regain de sensualité, toute à son entreprise de séduction. Dans
un film où le quiproquo est tissé dans de la dentelle, Merle rayonne comme
jamais et ajoute de la subtilité à un scénario qui en manquait par son jeu tout
en retenue. Ou quand la classe s’allie à la beauté.
Et aussi…
- The Scarlet Pimpernel (1934), de Harold
Young, avec Leslie Howard : entre charme mondain et frivolité d'apparat, une Merle pleine de classe aristocratique dans ce
film de cape et d’épée empreint d’humour britannique,
survolé par un Leslie Howard en gentleman vengeur au sommet de sa forme.
- The Dark Angel (1935), de Sidney
Franklin, avec Fredric March et Herbert Marshall : un très joli film porté par
un génial Fredric March. Merle surjoue parfois, mais livre une prestation
ravissante et d’une grande sensibilité pour l’un de ses premiers rôles d’importance.
Le film par lequel je l'ai découverte.
- The Lodger (1944), de John Brahm, avec Laird
Cregar et George Sanders : un second rôle, mais quel rôle ! Voici Merle en
mode jolie demoiselle en détresse alors que Jack l’Eventreur terrorise Londres.
Ce film n’est pas loin du chef d’œuvre, en particulier pour sa qualité
cinématographique et un Laird Cregar époustouflant.