L’honorable
Docteur ne s’en déplaise, j’ai moi aussi mes favorites rousses, et la
flamboyante Susan Hayward (1917-1975)
est de celles-là. Etant bien plus porté sur la décennie 1940 que la suivante,
qui est pourtant celle de sa consécration, j’ai eu le plaisir de trouver dans
ses jeunes années des performances absolument réjouissantes, qui ont fait
bondir en peu de temps mon estime pour elle. Alors avant de me plonger un peu
plus en avant dans les 1950s, voici quelques-unes des plus belles perles des années 40 de
Susan Hayward.
Smash-Up: The Story of a Woman, un
film de perdu, une Susan de trouvée
VF : Une vie perdue. Un film de
Stuart Heisler (1947), avec Susan Hayward, Lee Bowman, Eddie Albert et Marsha
Hunt.
L’histoire
: Une chanteuse prometteuse interrompt sa carrière pour se consacrer à son mariage.
Tandis que son époux devient célèbre, elle se morfond et sombre dans l’alcoolisme.
C’est peu dire
que ce type de film n’est pas du tout mon genre favori. Le récit d’une
déchéance devient ennuyeux quand la réalisation n’est pas au rendez-vous. Or rien de bien enthousiasmant tant au niveau
visuel qu’au niveau de l’atmosphère du film (on est loin de l'esthétique du film noir), et l’histoire
est bien trop statique. Sauf que… Le film est littéralement sauvé par son
actrice principale, au point que l'on peut se demander s’il n’était pas voué
uniquement à lui laisser le champ libre pour donner sa performance.
Car il s’agit
bien de ça : on ne voit qu’elle, on n’entend qu’elle et forcément, on ne
retient qu’elle. La quantité de gros plans sur son visage est assez
impressionnant, et reconnaissons que ça vaut le coup : tout l’intérêt du
film est contenu dans ses traits, d’une grande expressivité. L’actrice passe par
toutes les émotions possibles, distribuées les unes après les autres en un
crescendo prévisible mais maîtrisé. Elle parvient même à éviter l’écueil
principal de ce type de performance, à savoir en faire trop : quitte à
être explosive, autant le faire subtilement, et donc le réserver pour les
scènes d’alcoolisme, qui sont à ma grande surprise ses plus touchantes (ce n’est
pas vraiment ma tasse de thé, parole de Général). Probablement parce qu’elle ne
se départit jamais d’une forme de sincérité, qui la rend belle dans ses moments
les plus laids. Et ça, c’est la preuve d’une grande classe.
The
Lost Moment, la
prisonnière du passé
Un film de Martin Gabel (1947), avec Susan
Hayward, Robert Cummings et Agnes Moorehead.
L’histoire
: A Venise, un éditeur s’immisce dans la vie et la maison d’une très vieille
dame dans l’espoir de mettre la main sur les lettres de son amant d’antan, un
célèbre poète. Il se heurte à la méfiance de son austère nièce, Tina.
The Lost Moment possède une atmosphère comme je les
aime, légèrement surannée, qui n’est pas sans rappeler Gaslight ou Rebecca.
Le moment où le héros entre dans cette demeure qui semble sortie du passé, il
semble comme piégé par le temps, et le film joue de cette perte de repères
entre réalité et fantasme, voire fantastique.
Le personnage de
Susan, Tina, incarne cette dualité, puisque la jeune femme guindée, vêtue de
noir, le regard foudroyant, véritable Cerbère de ces lieux, se révèle aussi
parfois, la nuit, sous un tout autre jour, ses boucles détachées et sa verve devenue
toute passionnée. Le contraste entre ces deux facettes est désarmant, d’autant
qu’elle joue les deux avec un certain calme qui ne lui est pas coutumier. Tout est
dans la voix et surtout le regard, véritable vecteur des émotions de l’actrice
vers son public, en harmonie avec l’ambiance du moment, tantôt menaçant et
tantôt envoûtant. En somme, une performance qui gagne à être connue.
House
of Strangers, explosion
à l’italienne
VF : La maison des étrangers. Un
film de Joseph L. Mankiewicz (1949), avec Susan Hayward, Richard Conte et Edward
G. Robinson.
L’histoire
: A sa sortie de prison, Max Monetti entend bien se venger de ses frères, qui
ont trahi son père. Il se remémore les événements qui ont conduit à la chute de
ce dernier, un banquier tyrannique et tout-puissant.
Ce film possède
l’odeur singulière de la Little Italy,
dont la famille Monetti est ici le témoignage quasi pittoresque. A sa tête,
Gino le patriarche (un Edward G. Robinson époustouflant), mi banquier, mi
parrain. Aux côtés de celui-ci, ses fils, et en particulier Max, son préféré
(Richard Conte) : un avocat peu scrupuleux, intelligent, dur et
charismatique. C’est dans cet univers viril et machiste que Susan va s’imposer.
On comprendra donc d’autant plus le choc ressenti...
Car oui,
véritable boule d’énergie, Susan Hayward se hisse dès sa première apparition au
niveau d’un Conte pourtant à son sommet dans le rôle principal. Elle fait de
ce qui aurait pu être un second rôle un petit chef d’œuvre de performance, qui,
sans être le maillon essentiel du film, l’enrichit grandement. Le contraste
avec Jean Peters, que pourtant j’apprécie, dans le (bon) remake façon western The Broken Lance (avec Spencer
Tracy), en atteste. Il faut bien dire que le charisme de la demoiselle est
peut-être déjà à son apogée, tant sa classe physique, sa présence ferme et son
caractère un peu mutin (les caractéristiques que j’aime chez elle) sont
déployés à la perfection. L’alchimie avec Conte est indéniable et procure des
moments savoureux, d’autant qu’elle étale face à lui toute sa sensualité pour
le séduire. L’actrice est à son zénith, clairement.
Et aussi…
- Canyon Passage (1946), de Jacques Tourneur, avec Dana Andrews : un second rôle flamboyant pour une Susan énergique et mise en valeur par la photographie d’un film haut en couleurs. Une bonne alchimie avec Dana Andrews, qui tient sans conteste le film à lui tout seul.
- Tap Roots (1948), de George Marshall,
avec Van Heflin : là encore la couleur sublime sa beauté rousse, mais avec
cette fois un premier rôle à la clef. Sa vigueur et son charme tantôt classe,
tantôt sensuel, font de son portrait d’une jeune Southern Belle le principal attrait d’un film bien réalisé mais au scénario
quelque peu inégal.
- My Foolish Heart (1949), de Mark
Robson, avec Dana Andrews : Susan domine complètement son sujet dans un film de
qualité mais qui tombe dans l’écueil du mélodrame romantique un peu simpliste
et naïf. Il n’empêche que voir Susan Hayward et Dana Andrews ensemble est un immense
plaisir, et que l’actrice y est débordante d’une émotion joliment contenue.